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Le Québec entrepreneur: nous n’avons encore rien vu

Robert Dutton|Édition de la mi‑janvier 2019

CHRONIQUE. Toute nouvelle entreprise et toute carrière d'entrepreneur commencent par un rêve. Certains de ces rêves ...

Chronique — Toute nouvelle entreprise et toute carrière d’entrepreneur commencent par un rêve. Certains de ces rêves deviennent des projets. Pas tous, bien sûr. Puis certains de ces projets deviennent des entreprises. Certaines survivront, d’autres pas.

Au bout du compte, il faut beaucoup de rêves pour qu’une seule entreprise naisse, réussisse et dure.

Du rêve au projet à la réalité : c’est un peu ce que documente l’Indice entrepreneurial québécois (IEQ), compilé depuis dix ans par la Fondation de l’entrepreneurship, l’Institut d’entrepreneuriat québécois et la firme Léger. L’IEQ est le produit d’une enquête qui détermine quelle proportion de personnes a l’intention de lancer une entreprise (le rêve), combien ont entrepris des démarches (le projet) et combien sont effectivement propriétaires ou copropriétaires d’une entreprise, voire de plusieurs (la réalité).

Sans surprise, les intentions sont beaucoup plus nombreuses que les projets, à leur tour plus nombreux que les propriétaires : 19 % des Québécois en sont à l’étape de l’intention, alors que 9 % en sont à l’étape des démarches, et que 6 % sont propriétaires. Je dis sans surprise, mais en fait je me serais attendu à une attrition plus importante entre le rêve, le projet et la propriété.

Quand on décortique un peu les derniers résultats de l’IEQ, on ne peut arriver qu’à une conclusion : le Québec est de plus en plus entrepreneurial. Mais en plus, j’ai l’intime conviction qu’on n’a encore rien vu.

L’ambition entrepreneuriale, reflet d’une culture

La prévalence du rêve entrepreneurial est en lien direct avec la culture d’une collectivité. On aspire plus volontiers à une carrière valorisée par le milieu. Pour caricaturer, les pré-boomers valorisaient l’ambition cléricale (la vocation religieuse), les boomers ont valorisé l’ambition libérale (médecin, avocat), et les générations X et Y valorisent l’ambition entrepreneuriale.

Selon l’IEQ, la proportion de Québécois exprimant l’intention de se lancer en affaires a plus que doublé depuis 2012. Ce doublement s’explique par trois facteurs principaux : l’arrivée à l’âge adulte des Y, qui ont grandi dans cette nouvelle culture entrepreneuriale (37 % des 18-34 ans ont l’intention de se lancer en affaires) ; la spectaculaire progression de l’intention entrepreneuriale chez les jeunes femmes (33 %) ; et la forte propension à vouloir se lancer en affaires de l’ensemble des immigrants (40 %), dont le parcours personnel a déjà démontré leur tolérance au risque.

Bien sûr, la prévalence des projets et celle des propriétaires d’entreprise n’ont pas suivi cette croissance explosive. Pas encore. Elle a été beaucoup plus stable, voire en léger déclin, peut-être à cause d’un marché de l’emploi effervescent. Peut-être aussi parce que les boomers-entrepreneurs commencent à vendre ou à fermer leurs entreprises.

Ce décalage n’est pas nécessairement un mauvais signe. Passer de l’intention à la démarche, puis au lancement ou à la reprise d’une entreprise, demande non seulement du courage, de la persévérance et des finances, mais également du temps. Il y a donc un nécessaire déphasage entre l’intention et sa concrétisation. L’explosion récente du nombre de Québécois ayant l’intention de se lancer en affaires permet donc d’espérer dans un avenir plus ou moins proche une hausse marquée du nombre de projets, puis du nombre d’entrepreneurs avérés. Petit à petit, les Y atteindront l’âge idéal pour lancer ou reprendre une entre- prise, soit la trentaine et la quarantaine.

Passer de la culture aux actes

Il y a donc au Québec un vivier d’entrepreneurs comme on n’en avait pas vu depuis des générations – si même il y en a eu des comparables. Ils sont le produit d’un bouillon de culture entrepreneuriale, pour lequel on doit sans doute remercier des entrepreneurs au succès exemplaire, mais aussi des médias qui en ont parlé de façon positive, des politiciens qui les ont donnés en exemple, des enseignants qui, du primaire jusqu’à l’université, ont d’abord cessé de diaboliser tout ce qui avait trait à l’entreprise, puis au contraire en ont parlé en termes positifs.

Pour moi qui suis en contact étroit avec des entrepreneurs depuis une bonne quarantaine d’années, je vois le résultat très concret de cette évolution. De mes postes d’observation à HEC Montréal et son Pôle entrepreneurial, je côtoie des dizaines de jeunes entrepreneurs ou des étudiants qui manifestent une ambition, une volonté entrepreneuriales marquées. Toutes, tous ne réussiront pas. Mais toutes, tous sont animés par une intense flamme entrepreneuriale. Je vois en eux une énergie, une ténacité, une volonté de réussir qui m’impressionnent chaque jour. Je l’ai déjà raconté, j’en vois qui se privent de l’essentiel pour investir dans un projet tout ce qu’ils ont d’énergie, d’intellect et de ressources financières. La plupart le font pour des motifs qui dépassent la seule réussite matérielle. Elles et ils veulent changer le monde. Changer la vie des gens grâce à un produit innovant ; changer l’impact sociétal des entreprises ; souvent, très souvent, en mettant au centre de leur projet le respect – du client, de l’environnement, et, plus que tout, des collaborateurs.

J’en suis persuadé : le développement de l’entrepreneuriat québécois va continuer de se développer. En quantité, certes ; mais plus encore, en qualité.