Imitant leurs homologues américaines, les universités québécoises produisent légions de «start-up».
Imitant leurs homologues américaines, les universités québécoises produisent légions de start-up. Avec de nombreux incubateurs et accélérateurs, elles se sont donné les moyens de leurs ambitions. À quand les Facebook, Reddit et Snapchat nés sur des campus québécois ?
Sonder, qui offre des solutions d’hébergement dans plusieurs dizaines de marchés, compte maintenant quelque 1 100 employés. Elle a obtenu plus de 360 millions de dollars américains en financement. Ce succès montréalais est né sur le campus de l’Université McGill.
«Notre PDG, Francis Davidson, qui a étudié à McGill, a eu l’idée de créer Sonder en louant son logement montréalais durant l’été, pendant qu’il ne l’utilisait pas, raconte Mason Harrison, le directeur des communications de l’entreprise que Les Affaires a joint à San Francisco. Outre l’idée, je pense que c’est tout à fait juste de dire que le McGill Dobson Centre for Entrepreneurship a joué un très grand rôle dans la création et l’accélération de Sonder.»
Même son de cloche du côté de Maxime Gauthier Bourbonnais, PDG de Merinio, une start-up qui offre des solutions de gestion de la main-d’oeuvre dans les secteurs où il y a beaucoup de fluctuations dans l’emploi de personnel, notamment le tourisme. «C’est sûr que je ne serais pas rendu là aujourd’hui si je n’étais pas passé par le MT Lab de l’UQAM et le Centech (deux autres incubateurs et accélérateurs de Montréal). Le Centech, par exemple, est très sélectif. C’est difficile d’y entrer, mais j’y ai appris énormément. C’est un apprentissage très terre à terre. Tu te formes auprès d’entrepreneurs à succès et tu apprends à « voir les vagues venir et à les gérer ».» «Grâce au MT Lab et au Centech, j’ai aussi décroché des bourses pour environ 70 000 $, dont une du ministère de l’Économie et de l’Innovation que je n’aurais pas obtenue autrement, ajoute le PDG de Merinio, qui compte actuellement 15 employés à temps plein et dont le marché est maintenant international. J’ai aussi pu rencontrer plusieurs joueurs qui sont devenus mes clients également.»
Un puissant accélérateur de croissance
«Nous produisons une entreprise en forte croissance par mois», lance Richard Chénier, directeur général du Centech. Affiliée à l’École de technologie supérieure (ÉTS), l’organisation «a pour mission de lancer des entreprises, explique son directeur général. Les universités sont faites pour stimuler l’idéation et la création, mais pour bâtir des entreprises, elles sont très mauvaises. C’est notre rôle. Bien sûr, nous travaillons ensemble, mais il y a un certain « mur de Chine » entre nous deux».
L’un des plus anciens incubateurs technologiques du Canada, fondé en 1996, le Centech sélectionne quelque 100 entreprises par année pour son programme «Accélération» et une quarantaine sur deux ans qui poursuivent dans le programme «Propulsion». Dans tous les cas, les start-up reçoivent du mentorat, sont abritées, ont accès à des coachs, des experts, des équipements à la fine pointe de la technologie et tout un réseau d’investisseurs. Parmi les réussites, on dénombre Effenco, qui réduit la pollution des véhicules lourds et qui équipera 1 100 camions à ordures de la Ville de New York de sa technologie, le Groupe Azur, qui fournit des solutions infonuagiques, et Sollum Technologies, qui développe des solutions d’éclairage artificiel pour l’agriculture, et bien d’autres.
La réputation du Centech n’est plus à faire : l’incubateur se retrouve dans le top 20 des incubateurs d’affaires universitaires (le World Top 20 University Business Incubators) de UBI Global, publié début novembre. L’organisation est dorénavant loin d’être le seul accélérateur et incubateur universitaire québécois. Ce que M. Chénier compare d’ailleurs à un effet de mode. «Il n’y a pas trop d’incubateurs et d’accélérateurs, il y en a trop qui sont mauvais, explique-t-il. C’est une expertise en soi.»
Parmi les «bons», il cite le MT Lab, de l’UQAM. «Ils ont réussi, en se basant sur l’une des forces de l’Université du Québec à Montréal, le tourisme, à connecter des joueurs de l’industrie aux start-up.»
Des ponts entre l’industrie et l’université
Logé dans l’UQAM, ce «lab» est destiné aux industries du divertissement, du tourisme et de la culture. Tout jeune, le MT Lab a accueilli sa troisième cohorte de 15 start-up en mai dernier. «Nous sommes entre l’incubateur et l’accélérateur, explique son directeur général, Martin Lessard. Nous essayons de combler l’écart entre l’incubateur, qui part de l’idée jusqu’à la « vallée de la mort », et l’accélérateur, qui commence quand l’idée a déjà de la traction. Cette fameuse « vallée de la mort », c’est là où tout devient difficile, c’est le moment où le produit ou le service doit prouver son adéquation au marché.»
La Sépaq, Air Canada, Air Transat, Loto-Québec et le Musée de la civilisation, à Québec, comptent parmi les partenaires du MT Lab. Ceux-ci déboursent 50 000 $ par année pour choisir au sein de la cohorte et en fonction de leurs axes d’innovations prioritaires, les start-up qui deviennent des fournisseurs potentiels.
Parmi leurs succès, Merinio, mais aussi Stay22, une application montréalaise qui offre de l’hébergement en fonction des événements, et Stimulation déjà vu, qui crée des signatures olfactives.
Comme tout incubateur, accélérateur ou «lab» qui se respecte, le MT Lab offre l’accès à un réseau, à des mentors, à des experts, mais n’offre pas de bourses. «On ne sentait pas ce besoin-là», explique M. Lessard.
La formule semble plaire. L’appel de candidatures pour la quatrième cohorte sera lancé le 25 novembre, et le MT Lab doit agrandir ses locaux de 3 000 pieds carrés cet hiver.
M. Lessard ajoute qu’à la fin octobre, un premier «appel à expérimentation» a été fait, dans le but de «mettre en place une solution d’automatisation des enregistrements des voyageurs en hôtel, avec la possibilité d’investir jusqu’à 20 000 $ pour tester la solution».
Combler les besoins
«C’est certainement le rôle des universités de répandre les connaissances dans la société», dit Renjie Butalid, directeur associé du McGill Dobson Centre for Entrepreneurship, que Les Affaires à également joint à San Francisco. Questionné sur l’intérêt que nos institutions d’enseignement supérieur doivent consacrer aux incubateurs et aux accélérateurs, il se montre on ne peut plus clair. «Au 21e siècle, nous, les universités, sommes des engins de croissance économique. Nous aidons à créer de l’emploi. Par exemple, en aidant l’entreprise Sonder, qui rivalise avec nulle autre qu’Airbnb, nous lui avons permis d’obtenir des dizaines de millions de dollars en financement.»
«Le principal besoin des start-up, c’est d’avoir accès à un réseau, explique Manaf Bouchentouf, directeur exécutif et de l’accompagnement entrepreneurial au sein du Pôle entrepreneuriat, repreneuriat et familles en affaires à HEC Montréal. Bien sûr, elles veulent du financement, des conseils, mais puisqu’il n’y a pas de « guichet unique » pour les start-up, nous devons jouer ce rôle. De plus, c’est simple de faire participer toutes les facultés nécessaires, de créer des ponts dans l’université, selon les besoins des entrepreneurs.» Par ailleurs, pour le directeur exécutif, ses programmes viennent enseigner à l’entrepreneur ce que c’est que de porter la «casquette de dirigeant», d’apprendre la gestion.
À HEC Montréal, on dénombre au moins six programmes, qui vont de l’incubation à l’accélération, dont quatre sont dirigés par le Pôle entrepreneuriat, repreneuriat et familles en affaires de HEC Montréal et deux par l’École des dirigeants de HEC Montréal. La plupart de ces programmes, mis à part le Parcours entrepreneurial Rémi-Marcoux, sont ouverts à tous, peu importe leur université d’origine.
«Nous couvrons tout le spectre entrepreneurial», affirme M. Bouchentouf, qui cite parmi ses réussites Potloc, Humanitas Solutions, Dataperformers, OVA, qui se spécialise en réalité virtuelle et augmentée, ou encore Bridgr, une plateforme qui a pour mission d’aider à transformer l’industrie manufacturière en numérisant les usines. Parmi les programmes offerts par HEC Montréal, des nouveautés. D’abord, le Creative Destruction Lab (CDL-Montréal) accueillera sa troisième cohorte de 50 start-up, à la fin octobre. Importée de Toronto, le concept veut réunir mentors, entrepreneurs, et surtout, des investisseurs.
«Ça fonctionne très bien dans la Silicon Valley», raconte Julien Billot. L’ancien PDG de Groupe Pages Jaunes Canada est maintenant directeur du CDL-Montréal et de NextAI Montréal, qui a débuté ses activités au mois de février dernier.
«L’objectif avec NextAI, c’est de voir émerger des entreprises liées à l’intelligence artificielle, dit-il. Les entreprises sont hébergées et vont recevoir 25 000 $. Les besoins de nos start-up sont très variés, certaines cherchent un accès simplifié à des experts, pensons à Element AI, d’autres veulent du mentorat, certaines veulent venir s’installer à Montréal, alors que d’autres savent qu’elles devront avoir accès à du financement très bientôt, et cherchent à faire partie d’une cohorte d’incubateur ou d’accélérateur bien en vue». Ça ouvre des accès à tout un réseau de financiers et de fonds de capital de risque.
M. Billot cite Local Logic, qui offre des solutions technologiques de pointe pour l’industrie immobilière, Heyday, qui conçoit des robots conversationnels, ou Optina Diagnostics, qui lutte contre la maladie d’Alzheimer, parmi ses plus grandes fiertés parmi les alumni des premières cohortes du CDL-Montréal.
Le modèle d’affaires
Il y a sans doute autant d’incubateurs et d’accélérateurs qu’il y a de modèle d’affaires différents. À Concordia, District 3 (D3) est par exemple financé par son université, par le ministère de l’Économie et de l’Innovation et par des donateurs privés, dont André Desmarais, France Chrétien Desmarais et la Fondation Naim S. Mahlab. Le tout lui permet, raconte Xavier-Henri Hervé, son directeur et fondateur, d’«avoir incubé et accéléré plus de 500 start-up» depuis sa création, il y a six ans, et d’embaucher du personnel. «Nous sommes 19 employés à temps plein et 9 à temps partiel», dit-il.
D3 s’enorgueillit du fait que les start-up qu’il soutient – dont Cann Forecast, qui utilise l’intelligence artificielle pour optimiser la gestion des eaux municipales, et Impactful Health, qui développe des solutions d’emballages actifs pour prolonger la durée de conservation des poissons frais – «ont reçu plus de 47 M $ en financement».
L’incubateur se prépare d’ailleurs à lancer un «nouveau» D3, qui sera consacré à la génétique et à la biologie synthétique. «Le défi, explique M. Hervé, c’est de valoriser l’expertise montréalaise», et québécoise. L’ouverture des installations scientifiques dernier cri du «BioHub» de D3 est prévue au printemps 2020.
Hors Montréal
Il n’y a pas que la métropole qui crée des incubateurs ou des accélérateurs pérennes. Le modèle de l’Université de Sherbrooke est d’ailleurs particulièrement intéressant. À l’Accélérateur de création d’entreprises technologiques (ACET), «nous faisons de nos équipes de start-up des entrepreneurs, affirme son PDG, Ghyslain Goulet. Nous accompagnons nos [jeunes pousses innovantes] à toutes les étapes : commercialisation, ressources humaines, gestion, propriété intellectuelle et autres. De plus, nous sommes le seul incubateur qui détient son propre fonds d’investissement, ACET Capital. Ça amène beaucoup de crédibilité, ça a un effet de levier».
«Nous prenons 5 % du capital lors de l’acceptation du projet, en contrepartie des services, explique-t-il. Dans le premier fonds, ACET Capital 1, mis en place en 2013, nous avons investi dans 16 start-up.» Son successeur, ACET Capital 2, est doté d’une somme de 7,6 M $ qui provient de 21 investisseurs privés, de la Banque Nationale et du gouvernement du Québec.
Forcé de choisir parmi ses succès, M. Goulet cite Immune Biosolutions, qui fabrique des anticorps à partir de jaunes d’oeufs. L’ACET a également appuyé Lumed (logiciels d’aide à la décision pour les hôpitaux), Ingéniarts (solutions pour l’alimentation des véhicules électriques) et Classcraft (ludification des salles de classe). Ces entreprises sont accompagnées à moyen et à long terme, souvent dès la phase d’amorçage. Un programme concernant la phase de croissance a également été lancé cette année. «À l’heure actuelle, nous n’avons pas d’échéancier» pour la durée de l’accompagnement, précise M. Goulet.
Il suffit de se déplacer un peu en Estrie pour trouver un autre incubateur ou accélérateur universitaire : le Centre d’entrepreneuriat Dobson-Lagassé, affilié à l’Université Bishop’s.
«Nous allons entamer notre 22e année, dit John Aylen, directeur général intérimaire. Même si nous sommes une université anglophone, la plupart de nos entrepreneurs sont francophones. Et ils ne sont pas obligés d’êtres issus de Bishop’s. Notre but, c’est de créer un réseau d’affaires en Estrie qui peut aider nos étudiants à comprendre les implications de se lancer en affaires ou, même, de trouver un emploi. Nos étudiants vont se servir de ce réseau afin de se pratiquer, de présenter des projets et des plans d’affaires.»
À Québec, l’Université Laval s’est dotée d’Entrepreneuriat Laval, qui incube, accélère et facilite l’idéation des entreprises issues de ses rangs. L’institution a lancé La Centrale, «un lieu à la fois physique et virtuel» où sont réunis de nombreux outils et services d’appui et d’accompagnement des start-up, en décembre 2018. «La Centrale est une porte d’entrée, explique Maripier Tremblay, présidente du CA d’Entrepreneuriat Laval et responsable de l’Académie de la relève entrepreneuriale-CDPQ (pour Caisse de dépôt et placement du Québec). Pour les étudiants, ce n’est pas toujours évident de savoir où aller pour recevoir des appuis, dit-elle. Nous devons valoriser l’entrepreneuriat, même si ce n’est pas «ce» projet-là qui fonctionne. Nous voulons former les leaders de demain.»
Un fonds de capital de risque géré pour et par des étudiants
Ayant étudié à Stanford, aux États-Unis, Raphaël Christian-Roy s’est inspiré de ce qui se fait chez nos voisins du Sud, avec deux comparses, afin de créer Front Row Ventures, le premier fonds de capital de risque au Canada dirigé par des étudiants, pour des projets étudiants.
«Nous n’avons pas réinventé la roue, dit-il, mais nous savons que, comme en Israël ou aux États-Unis, les plus grandes entreprises technologiques ont été inventées par des étudiants. Notre hypothèse, c’est qu’il y a beaucoup de potentiel qui dort sur nos campus. Mais ils ne reçoivent pas de financement, parce que ce sont des étudiants.»
Puisque, selon lui, il n’y a rien de mieux qu’un étudiant pour dénicher les meilleures start-up dans les universités, il a, lui et son équipe, réussi à convaincre Real Ventures, un fonds de capital de risque reconnu, de le suivre dans une aventure de projet pilote. En quatre ans, présents sur dix campus québécois, ils ont obtenu 600 000 $ et ont investi dans dix entreprises.
L’opération a été couronnée de succès. Plus de 75 postes à temps plein ont été créés par les entreprises du portefolio de Front Row Ventures depuis qu’elles ont reçu leur investissement. Front Row Ventures est aussi passée à l’étape de lever entre 5 M $ et 10 M $ et d’étendre ses activités sur 40 campus dans les autres provinces canadiennes. Dans les six derniers mois, l’entreprise a d’ailleurs constitué une équipe d’investissement de plus de 25 personnes sur neuf campus universitaires en Ontario.
«Nous trouvions qu’il y avait beaucoup d’accélérateurs et d’incubateurs, dit le cofondateur de Front Row Ventures, mais nous trouvions qu’il y avait assez peu de capital de risque offert.»