Mauvaise nouvelle pour le climat, bonne nouvelle pour la Bourse?
Olivier Schmouker|Publié le 10 novembre 2021Le chaud et le froid soufflent sans cesse sur le climat. (Photo: Getty Images)
De nos jours, il n’y a plus une journée sans nouvelle sur les changements climatiques. Des nouvelles qui soufflent parfois le chaud, parfois le froid.
Ce mercredi en a été un exemple parfait. Il y a eu le froid à Glasgow, en Écosse, alors que le premier projet de résolutions communes de la COP26 n’a reçu qu’un accueil mitigé. Un froid tel que le premier ministre britannique Boris Johnson a évoqué sur place un potentiel «échec» de la conférence sur les changements climatiques, un échec susceptible de déclencher la «colère» des populations, a-t-il averti.
Il y a aussi eu le chaud, avec la première sortie publique de Valérie Plante depuis sa réélection à la mairie de Montréal, lors d’un dîner-conférence organisé par le Conseil des relations internationales de Montréal (Corim). «Montréal se positionne plus que jamais comme un leader mondial en matière de développement durable, et j’en veux pour preuve l’annonce faite la semaine dernière concernant l’arrivée prochaine, ici-même, d’un des principaux bureaux de l’International Sustainability Standards Board (ISSB)», a-t-elle lancé, tout sourire. De fait, cet organisme a pour mission d’établir les normes que se devront de respecter les entreprises du monde entier lorsqu’elles déclareront ce qu’elles font concrètement en matière d’environnement, de social et de gouvernance. Et c’est donc à Montréal que ces normes fondamentales vont voir le jour…
Une question se pose, évidente : toutes ces nouvelles qui soufflent le chaud et le froid finissent-elles par avoir une incidence sur nous? Par exemple, sur notre comportement en tant qu’investisseur? Oui, à la Bourse, la valeur des actions fluctue-t-elle en fonction de l’actualité liée aux changements climatiques?
Cette interrogation, quatre chercheurs se la sont récemment posée : David Ardia, professeur de science de la décision aux HEC Montréal, Keven Bluteau, professeur de finance à l’Université de Sherbrooke, ainsi que deux professeurs de finance de l’Université de Gand (Belgique), Kris Boudt et Koen Inghelbrecht. Ensemble, ils ont effectué un véritable travail de moine pour s’en faire une juste idée:
- Ils ont compilé tous les articles de huit quotidiens américains, dont le New York Times, en lien avec l’actualité environnementale, entre 2010 et 2018. Et ils ont évalué le degré de négativité de ces nouvelles.
- Ils ont enregistré, pour la même période de temps, la performance boursière des entreprises du S&P 500, l’indice basé sur 500 grandes sociétés cotées sur les Bourses des États-Unis. Et ce, après avoir rangé chacune d’elles dans la catégorie des entreprises “vertes”, “brunes” ou “neutres”. Pour être “vertes”, il fallait figurer parmi les 25% les moins polluantes (le classement se fait en fonction du nombre de tonnes de gaz à effet de serre (GES) qui sont nécessaires à l’entreprise pour générer 1 M$US de revenus). Pour être “brunes”, il fallait au contraire figurer parmi les 25% les plus polluantes.
- Puis, ils ont regardé dans leur étude s’il y avait la moindre corrélation entre ces deux bases de données.
Comment ont-ils regardé ça? À l’aide d’un indice qu’ils ont mis au point eux-mêmes, le «Media Climate Change Concerns» (MCCC), qui permet d’évaluer le degré de préoccupation générale concernant les changements climatiques lorsqu’une nouvelle environnementale “inattendue” survient. L’indice MCCC prend en compte l’attention médiatique, la négativité de la nouvelle “inattendue” et le risque associé à celle-ci.
Le résultat de cette analyse est sans équivoque. Lorsque les préoccupations concernant les changements climatiques croissent de manière inattendue, les cours des actions des entreprises “vertes” augmentent tandis que celles des entreprises “brunes” diminuent. «Plus précisément, les investisseurs vendent les actions des sociétés “brunes” pour acheter des actions de sociétés “vertes” ou “neutres”», dit David Ardia, des HEC Montréal.
Du coup, l’engouement boursier pour les entreprises “vertes” de ces dernières années a une explication parfaitement logique. Notant que l’avenir de la planète se fait de plus en plus sombre, les investisseurs se disent que les gouvernements vont nécessairement réagir par l’imposition de mesures de plus en plus contraignantes pour les entreprises polluantes. Vont donc mieux s’en sortir, à l’avenir, les entreprises considérées comme “vertes”.
À cela s’ajoute le fait que les investisseurs se disent, dans un même élan, que l’engouement actuel pour les actions des sociétés “vertes” est une tendance porteuse, et qu’il serait impardonnable de ne pas en tirer profit. On assiste ainsi à un phénomène dénommé «greenium», qui correspond à une «prime verte mesurable» dont jouissent les sociétés “vertes” cotées en Bourse par rapport aux sociétés comparables qui, elles, ne sont pas “vertes”. Autrement dit, le «greenium» traduit l’effet d’entraînement qui amène les investisseurs à verdir leurs portefeuilles les uns après les autres, pour la simple raison que ceux qui le font empochent un gain inusité.
Faut-il conclure de tout cela que plus les nouvelles sont mauvaises pour le climat, plus il est logique d’investir en Bourse dans des sociétés “vertes”? Le professeur de finance de l’Université de Sherbrooke, Keven Bluteau, ne le croit pas. D’une part, comme le dit l’adage bien connu, parce que le passé n’est pas garant du futur : «Ce n’est pas parce que les actions des sociétés “vertes” ont connu une belle performance ces derniers temps que cela va nécessairement se poursuivre dans les mois et les années à venir», dit-il.
D’autre part, parce que le phénomène «greenium» va finir, en toute logique, par se tarir. Le raisonnement est le suivant:
- Tant qu’il y aura des mauvaises nouvelles “inattendues” concernant le climat, les actions des sociétés “vertes” vont voir leurs valeurs grimper. Le point important, ici, c’est l’aspect “inattendu” de ces nouvelles : «Il faut vraiment une nouvelle que personne, ou presque, n’avait anticipé. Un exemple frappant est celui de l’annonce par Donald Trump de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris», explique Keven Bluteau.
- Mais dès lors que les mauvaises nouvelles climatiques vont s’accumuler sans susciter de véritable “choc” ou “surprise”, oui, dès lors que les gens et les gouvernements vont s’y habituer et réagir de moins en moins, l’engouement pour les sociétés “vertes” va s’émousser. Par suite, la valeur de leurs titres boursiers va se mettre à plafonner. «Les rendements attendus par les investisseurs vont aller en diminuant à partir de ce moment-là, et avec eux leur intérêt pour ces titres boursiers», poursuit-il.
Acheter “vert”? Vendre “vert”? Bien malin qui pourrait le dire, et les deux co-auteurs québécois de l’étude s’en gardent bien. Avec raison, de toute évidence. «La seule certitude, c’est que l’incertitude à propos des changements climatiques est porteuse pour les actions en Bourse des sociétés “vertes”», résume David Ardia, des HEC Montréal.