Énergie verte: le plan Biden aura un double impact au Québec
François Normand|Publié le 30 septembre 2021L’adoption de ce projet de loi représente un enjeu de taille pour l’industrie québécoise de la production d’énergie renouvelable, car il comprend des mesures fiscales pour accélérer la production d’énergie verte aux États-Unis. (Photo: 123RF)
S’il voit le jour dans sa forme actuelle, un vaste projet de loi proposé par l’administration démocrate de Joe Biden aura sans doute un impact sur les producteurs d’énergie renouvelable du Québec, et ce, aussi bien aux États-Unis que sur le marché québécois, affirment des sources de l’industrie.
Pièce maîtresse de la politique du président Biden pour relancer l’économie, ce projet de loi évalué à 3 500 milliards de dollars américains (4 466 G$CA) comprend des mesures pour la santé, l’éducation et la lutte aux changements climatiques (incluant des investissements de 1 000 G$US en infrastructures).
Au moment de mettre cet article en ligne, une grande incertitude persistait toujours sur son adoption — du moins dans sa forme actuelle — en raison de tractations au Congrès américain.
Car, même si les démocrates contrôlent le Sénat et la Chambre des représentants, l’aile plus à gauche du parti veut monnayer son appui aux dépenses en infrastructures par une bonification des mesures sociales, rapporte le Wall Street Journal.
Du côté des républicains, une vingtaine de sénateurs appuient les investissements en infrastructures proposés par la Maison-Blanche, et des élus du parti à la Chambre des représentants pourraient aussi le faire, selon le quotidien new-yorkais.
Cet appui de congressistes républicains pourrait donc aider Joe Biden à faire adopter son plan de relance de 3 500 G$US, estiment certains analystes.
L’adoption de ce projet de loi représente un enjeu de taille pour l’industrie québécoise de la production d’énergie renouvelable, car il comprend des mesures fiscales pour accélérer la production d’énergie verte aux États-Unis.
Le plan démocrate comprend par exemple la prolongation de 10 ans du crédit d’impôt pour la production d’énergie solaire et de son stockage — appelé lnvestments tax credits (ITC), aux États-Unis.
Or, pour bénéficier de ces mesures financées avec des fonds publics, les producteurs d’énergie verte et leurs fournisseurs actifs au sud de la frontière devront proposer des projets avec davantage de contenu américain.
Bref, Joe Biden est prêt à mettre beaucoup d’argent sur la table, mais à la condition que les Américains en profitent avant tout.
Les avantages surpassent les inconvénients
Michel Letellier, président et chef de la direction d’Innergex, un producteur québécois d’énergie renouvelable actif au sud de la frontière, estime que cette politique forcera son entreprise à s’approvisionner davantage sur le marché américain en biens et en services.
«C’est clair que ça va mettre une pression sur nos fournisseurs» qui sont situés au Canada, dit le patron de la PME qui exploite des parcs d’énergie éolienne et solaire ainsi qu’une centrale hydroélectrique au fil de l’eau aux États-Unis.
Innergex a un bureau d’affaires à San Diego, en plus d’avoir des fournisseurs et des investisseurs américains impliqués dans ses projets.
C’est la raison pour laquelle Michel Letellier ne s’inquiète pas outre mesure de l’impact de l’exigence accrue de contenu américain pour les projets d’Innergex aux États-Unis.
De plus, il fait valoir que les avantages pour Innergex surpassent de loin les inconvénients.
«Il va certes falloir s’ajuster un peu au niveau stratégique aux États-Unis, dit Michel Letellier. En revanche, pour nous, ce projet de loi représente de nouvelles occasions d’affaires extraordinaires.»
Le producteur québécois d’énergie renouvelable, Boralex, qui exploite des parcs solaires et des centrales hydroélectriques aux États-Unis, suit également de très près l’évolution du projet de loi démocrate aux États-Unis.
Pour l’instant, l’entreprise indique qu’il est trop tôt pour dire si les mesures proposées par l’administration Biden —dont les détails sont inconnus pour l’instant— auront des «impacts notables» sur ses projets en développement sur le marché américain.
«Une chose est certaine, les impacts positifs des mesures contenues dans l’Infrastructure Bill seront beaucoup plus importants pour nous que les impacts négatifs potentiels», fait toutefois remarquer la directrice des affaires publiques et des communications, Isabelle Fontaine.
Elle souligne que le plan démocrate contient de nombreuses mesures qui permettront de propulser le développement des énergies renouvelables.
«Ces mesures vont augmenter la demande en électricité et la pénétration des énergies renouvelables dans le réseau américain, générant des opportunités pour le développement de projets d’énergie renouvelable aux États-Unis et pour l’exportation d’énergie renouvelable canadienne», ajoute Isabelle Fontaine.
L’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER) voit aussi poindre à l’horizon d’importantes occasions d’affaires aux États-Unis avec les mesures proposées par l’administration Biden, même si certaines visent à encourager les achats locaux.
«En ce sens, les mesures de relance économique post-COVID-19 américaines devraient, si elles aboutissent, relancer un nouveau cycle de développement éolien et solaire qui aura une grande ampleur», indique le PDG de l’AQPER, Gabriel Durany.
Le Québec manquera-t-il de capitaux ?
Ce dernier voit aussi un autre impact potentiel du plan démocrate sur le Québec, mais qui représente cette fois un risque.
S’il voit le jour dans sa forme actuelle, le plan Biden mobilisera des quantités importantes de capitaux pour stimuler la production d’énergie renouvelable aux États-Unis durant la décennie —sans parler des projets à venir en Europe.
Comme la disponibilité des capitaux dans le monde n’est pas illimitée, d’autres juridictions pourraient pâtir d’une pénurie de fonds pour développer des projets énergétiques, à commencer par le Québec.
Dans ce contexte, comment en effet le Québec pourra-t-il se montrer assez attractif et prévisible pour attirer l’attention des investisseurs étrangers?, se demande l’AQPER.
«Ce type d’annonce [aux États-Unis] soulève l’enjeu de notre capacité, en tant que juridiction, à attirer les capitaux et les ressources nécessaires à la transition énergétique québécoise et au soutien de notre industrie des énergies renouvelables», souligne Gabriel Durany.
En février, l’AQPER a publié sa Feuille de route 2020 dans laquelle elle affirme que le Québec doit investir de 10 à 13 G$CA d’ici 2030 afin d’atteindre ses objectifs climatiques.
Son analyse s’appuie sur les travaux de firme d’analyse et de conseil en énergie Dunsky. En juin 2019, elle a présenté un rapport au ministère de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques un rapport traçant les grandes lignes d’une décarbonisation de l’économie québécoise.