Éloïse Harvey, chef de l’exploitation pour EPIQ Machinerie (Photo: courtoisie)
Des manufacturiers qui achètent des intrants en Asie stockent davantage en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales. Mais elles stockent aussi davantage pour les achats faits au Québec.
« On voit beaucoup d’accumulation de stocks afin de produire ou de distribuer », affirme Daniel Vendette, président de C2.0, une firme de conseil en chaîne d’approvisionnement qui compte de nombreux clients au Québec.
Il y a environ deux ans, les clients de cette PME gardaient en moyenne des stocks pour une période de deux à trois semaines. Aujourd’hui, elles le font plutôt pour quatre à six semaines, fait remarquer Daniel Vendette.
Il faut dire que, depuis janvier 2020, les entreprises manufacturières du Québec ont vu leurs chaînes d’approvisionnement perturbées à maintes reprises, ce qui a occasionné des retards de livraison, de production et de commercialisation. Blocus ferroviaire, pandémie de COVID-19 (et son incidence sur la disponibilité des conteneurs), grèves au port de Montréal, inondations en Colombie-Britannique, guerre en Ukraine… les tuiles ont été nombreuses.
Mieux gérer l’incertitude logistique
On peut donc comprendre pourquoi des entreprises stockent davantage, même si leurs approvisionnements sont québécois, à quelques heures de camion tout au plus.
C’est la stratégie qu’a adoptée Bionest, une entreprise de Shawinigan spécialisée dans les solutions pour le traitement des eaux usées dans les secteurs résidentiel, commercial, municipal et communautaire. Pierre Saint Laurent, PDG de la PME qui compte 150 employés sur trois continents, voit plusieurs avantages à acheter davantage de pièces à la fois auprès de ses fournisseurs québécois, afin de sécuriser ses approvisionnements.
« Ça permet d’éviter les bris d’approvisionnement, les arrêts de production et les retards de livraison auprès de la clientèle », dit-il.
L’entrepreneur précise toutefois que son entreprise stocke uniquement les pièces stratégiques (faites sur mesure), mais pas les « commodités », c’est-à-dire des pièces à faible valeur ajoutée que Bionest peut se procurer assez facilement.
Par rapport à la fin de 2019, les stocks de l’entreprise ont augmenté d’au moins 25 % sur le plan de la valeur en dollars, précise Pierre Saint Laurent.
Comme la PME n’avait pas l’habitude d’avoir des stocks importants, elle a dû acheter des abris temporaires afin de gérer l’accumulation de pièces stratégiques. « Ce ne sont pas des investissements substantiels, car cela nous a coûté entre 50 000 $ et 100 000 $ », note le patron de Bionest.
EPIQ Machinerie mise elle aussi sur une stratégie d’accroissement de ses stocks auprès de ses fournisseurs québécois.
« À la fin de 2021, nous avons pris cette décision pour la première fois », affirme Éloïse Harvey, chef de l’exploitation de cet équipementier de machinerie lourde pour l’industrie de l’aluminium en Amérique du Nord.
L’entreprise de Saint-Bruno-de-Montarville, sur la Rive-Sud de Montréal, a pris cette décision d’acheter à l’avance des composants clés (des moteurs ou des pompes, par exemple) pour deux raisons.
D’une part, afin de réduire les délais de livraison de ses équipements à sa clientèle.
D’autre part, afin de se « protéger » contre une hausse des coûts du prix des matières premières. Cela permet à la PME de limiter une augmentation des prix facturés à ses clients – un avantage temporaire, admet toutefois Éloïse Harvey.
L’entrepreneure précise qu’elle prend un risque en stockant davantage.
Puisque EQIP Machinerie fabrique de la machinerie sur demande, elle pourrait se retrouver avec des stocks de composants non vendus. En revanche, selon Éloïse Harvey, les avantages surpassent de loin les inconvénients.
Miser sur la méthode ABC
Laurent Deirmendjian, directeur principal chez KPMG Canada et spécialiste des chaînes d’approvisionnement, estime que la gestion des stocks doit être optimale afin de réduire l’effet sur les liquidités des entreprises.
C’est la raison pour laquelle il préconise la méthode ABC.
Cette approche consiste à gérer de manière sélective des stocks en fonction de la valeur de consommation de chaque article stocké. Et elle fonctionne dans toutes les situations où une entreprise doit fabriquer des produits selon un ordre de priorité.
Cela dit, les approvisionnements faits au Québec ne nécessitent pas de stocker autant que ceux faits en Asie, insiste Laurent Deirmendjian. « Si j’achète au Québec, j’ai moins besoin de stocker, car les délais sont plus courts », rappelle-t-il.
Selon lui, il faut aussi considérer un autre facteur important : l’instabilité. En effet, plus la chaîne d’approvisionnement est susceptible de connaître des retards importants, plus il faut accroître les stocks pour les intrants stratégiques, même dans le cas de ceux qui sont achetés au Québec.