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Le juste-à-temps est en déclin, selon le port de Montréal

François Normand|Publié le 06 avril 2022

Le juste-à-temps est en déclin, selon le port de Montréal

Les nombreuses perturbations qui ont secoué les chaînes d’approvisionnement depuis deux ans – de la pandémie de COVID-19 à la guerre en Ukraine – ont changé durablement la donne en matière de logistique, notamment au port de Montréal. (Photo: courtoisie)

La perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales annonce la fin du mode de gestion en juste-à-temps dans sa forme actuelle. Les entreprises ont donc intérêt à stocker davantage pour gérer leurs opérations en mode «juste-au-cas» afin de réduire leurs risques logistiques, affirme le PDG de l’Administration portuaire de Montréal, Martin Imbleau.

Lors d’une allocution prononcée ce mercredi devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), il a expliqué que les nombreuses perturbations qui ont secoué les chaînes d’approvisionnement depuis deux ans – de la pandémie de COVID-19 à la guerre en Ukraine – ont changé durablement la donne en matière de logistique.

« Il va donc falloir redéployer, mais aussi restructurer les chaînes d’approvisionnement pour leur dire clairement : je crois que nous sommes arrivés à la fin du just-in-time », a déclaré Martin Imbleau devant un auditoire de gens d’affaires et de représentants d’organisations internationales, qui s’étaient déplacés pour l’entendre.

Inspiré du constructeur automobile japonais Toyota (et facilité par la révolution informatique et technologique des années 1990), le juste-à-temps est une méthode de gestion de la production en flux tendu.

Elle consiste donc à gérer la production d’une entreprise manufacturière en fonction des commandes et non pas des stocks, et ce, en produisant ou en achetant seulement (ou uniquement) la quantité nécessaire au moment précis où une chaîne de production en a besoin.

Ainsi, depuis une trentaine d’années, les entreprises ont réduit graduellement leur niveau d’inventaire, en misant sur ce type d’approvisionnement qui arrivait au bon moment dans leur processus de production.

Ce mode de gestion de la production nécessitait des chaînes d’approvisionnement fluides, et cette approche a fonctionné une trentaine d’années avec un certain succès, souligne le PDG du port de Montréal.

 Or, à ses yeux, ce paradigme dans sa forme actuelle n’est plus tenable.

« Ce qu’on réalise aujourd’hui, c’est quand il y a des perturbations des chaînes d’approvisionnement, cela a des conséquences graves économiques, sociales, environnementales, mais aussi sécuritaires », dit-il.

 

Retour des inventaires et des entrepôts

Selon lui, les entreprises vont recommencer à constituer des inventaires et à construire des entrepôts.

« En fait, on constate depuis deux ans que l’on passe d’un monde en juste-à-temps à un mode en juste-au-cas. Et les entreprises du Québec l’ont aussi compris », dit-il, en ajoutant que l’inventaire semble être devenu la nouvelle « devise planétaire ».

Depuis le début de la pandémie, plusieurs entreprises du Québec qui avaient des chaînes d’approvisionnement mondiales ont en effet commencé à stocker des composants stratégiques, mais sans renoncer pour autant au juste-à-temps, a constaté Les Affaires.

Cette stratégie d’inventaire permet de réduire les délais d’approvisionnement, de production et de commercialisation. Si cette approche engendre des coûts de stockage et de manutention, des retards pour livrer des biens finis entraînent également des coûts.

Il y a donc un arbitrage à faire du côté des entreprises entre un moindre mal.

Phénomène qu’on voyait rarement auparavant : des PME québécoises ont également commencé à stocker des pièces pour leurs achats faits uniquement Québec, et ce, toujours afin de réduire les risques de perturbation de leur chaîne logistique (approvisionnement, production, commercialisation).

C’est dire à quel point les chaînes d’approvisionnement locales et mondiales sont perturbées.

En entrevue à Les Affaires après son allocution, Martin Imbleau a expliqué qu’il ne croyait pas à la disparition du mode de gestion en juste-à-temps, tout comme il n’entrevoit pas non plus un retour d’importants inventaires, comme dans les années 1980.

« On aura plutôt un mode de gestion hybride », estime-t-il.

Cela dit, ce stockage et cette manutention supplémentaires entraînent des coûts supplémentaires pour les entreprises, ce qui gruge leurs liquidités – un phénomène qui inquiète d’ailleurs de plus en plus certains banquiers, selon des sources de l’industrie.

Martin Imbleau pense qu’une accentuation du mode de gestion en «juste-au-cas» pourrait même créer des pressions inflationnistes, alors que les prix sont déjà à la hausse en général.

C’est la raison pour laquelle il estime que des organisations comme Exportation et développement Canada (EDC) ont un rôle à jouer pour aider les entreprises internationalisées à réduire leur risque logistique, mais sans affaiblir leur santé financière.

 

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