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Les actifs nord-américains de Bonduelle sous contrôle québécois

François Normand|Publié le 30 juin 2022

Les actifs nord-américains de Bonduelle sous contrôle québécois

Bonduelle Americas Long Life (BALL) compte 13 usines en Amérique du Nord, dont quatre au Québec (Bedford, Sainte-Martine, Saint-Césaire et Saint-Denis-sur-Richelieu). (Photo: BALL)

C’est fait: Bonduelle Americas Long Life (BALL), filiale de la française Bonduelle, passe sous le contrôle du Fonds de solidarité FTQ et de la Caisse de dépôt et placement du Québec, avec 65% du capital. L’entreprise s’attaquera en priorité au marché nord-américain du flexitarisme (un régime végétarien comportant quelques exceptions) en pleine croissance, en faisant notamment des acquisitions.

Les deux investisseurs institutionnels et l’entreprise familiale française, inscrite à la Bourse de Paris (BON ; 16,06 euros), ont confirmé ce jeudi qu’ils en étaient arrivés à une entente et qu’ils avaient reçu le feu vert des autorités réglementaires canadiennes et américaines, soit un peu plus d’un mois après avoir entamé des «négociations exclusives», à la fin du mois de mai.

Ces derniers jours, les trois acteurs dans cette transaction ont d’ailleurs accordé des entrevues exclusives à Les Affaires afin d’expliquer la vision et la stratégie de la nouvelle entreprise au Canada et aux États-Unis.

BALL compte 13 usines en Amérique du Nord, dont quatre au Québec (Bedford, Sainte-Martine, Saint-Césaire et Saint-Denis-sur-Richelieu).

Elle transforme et commercialise des légumes en conserve et surgelés. La société produit pour des marques de distributeurs, en plus de commercialiser sous les marques de commerce Del Monte et Arctic Gardens.

Dans les prochains mois, l’entreprise, dont le siège social est à Brossard sur la Rive-Sud de Montréal, changera de nom et d’image de marque — un dévoilement officiel sera fait cet été ou cet automne.

Toutefois, d’ici là, BALL gardera le nom de Bonduelle.

 

La recette gagnante: capitaux et expertise

Même si le Fonds et la Caisse contrôlent désormais l’entreprise agroalimentaire avec 65% du capital, ils ont l’intention de garder en place l’actuelle équipe de direction, dirigée depuis longtemps par Daniel Vielfaure, directeur de Bonduelle Amériques.

«C’est un plan d’affaires qui est ambitieux et on y croit. On a la bonne équipe et le bon partenariat pour la croissance future», souligne Kim Thomassin, première vice-présidente et cheffe, Québec, à la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Même son de cloche du côté de Dany Pelletier, premier vice-président — placements privés et investissements d’impact au Fonds de solidarité FTQ. «On a besoin d’expertise pour croître. On est là pour appuyer l’équipe de direction en place, c’est très clair pour nous», dit-il.

Ces investissements permettront de sécuriser des emplois au Québec, dans les usines et au siège social, et d’en créer d’autres dans les années à venir, souligne pour sa part Daniel Vielfaure.

«On a un plan d’investissement que je vais présenter aux nouveaux actionnaires, et il y a des sommes importantes pour des usines au Canada», dit-il.

Les deux investisseurs institutionnels québécois détiendront chacun 32,5% du capital de BALL (pour un total de 65%), tandis que Bonduelle gardera 35% des parts de son ancienne unité d’affaires.

Bonduelle Americas Long Life est évaluée à 850 millions de dollars canadiens (M$ CA), ce qui représente un multiple de 8,2 fois les BAIIA (bénéfices avant intérêts, impôts et amortissement).

Lors de son exercice 2020-2021, la société a réalisé des revenus de 943M$ CA.

En mai, Bonduelle avait indiqué qu’elle amorçait des «négociations exclusives» avec le Fonds de solidarité FTQ et la CDPQ. En septembre 2021, Bonduelle avait annoncé qu’elle amorçait une revue stratégique de ses activités afin de céder en totalité ou en partie les actifs de BALL.

Depuis cinq ans, la valeur de l’action de Bonduelle à la Bourse de Paris a fondu de moitié, pour s’établir à 16,06 euros (21,54$ CA), ce mercredi à la fermeture des marchés.

 

Sur la photo, l’employée Noëlla Fontaine. Pour Daniel Vielfaure, ces investissements permettront de sécuriser des emplois au Québec. (Photo: BALL)

«Convergence d’objectifs stratégiques»

En entrevue avec Les Affaires, Guillaume Debrosse, directeur général du Groupe Bonduelle, a indiqué que la conquête du marché nord-américain nécessitait de plus en plus de capitaux, notamment pour faire des acquisitions.

Par conséquent, outre la convergence des valeurs, c’est la raison pour laquelle Bonduelle a voulu s’associer au Fonds de solidarité FTQ et à la Caisse de dépôt et placement du Québec dans cette nouvelle aventure.

«Il y a une convergence d’objectifs stratégiques qui crée de la valeur à long terme», insiste-t-il.

Cette création de valeur s’appuiera sur la capacité de BALL à répondre à la demande croissante pour le flexitarisme en Amérique du Nord (et ailleurs dans les pays développés), un marché alimentaire en consolidation.

Ce régime alimentaire en grande partie végétarien — il comporte quelques exceptions et n’exclut pas totalement la viande – est un marché beaucoup plus important que les segments nichés du végétarisme et du végétalisme.

«On veut accompagner cette transition alimentaire qui consiste à moins consommer de protéines animales, avec plus de végétaux dans son assiette», explique Guillaume Debrosse, en donnant des estimations prometteuses.

Ainsi, dans ses marchés dits matures (essentiellement, les pays développés), Bonduelle estime qu’environ 30% des consommateurs sont actuellement des flexitariens.

Ils représenteront la moitié des consommateurs en 2030, soit un bond de 20 points de pourcentage en huit ans. Et, en 2050, les flexitariens devraient représenter 75% des consommateurs.

 

BALL réalise la majorité de ses ventes aux États-Unis

Actuellement, Bonduelle Americas Long Life réalise 53% de son chiffre d’affaires au Canada et 47% aux États-Unis. Outre ses quatre usines au Québec, BALL en exploite cinq aux États-Unis et quatre au Canada (trois en Ontario et une en Alberta).

BALL affirme être est le plus important transformateur de légumes en conserve et surgelés au Canada, et un très important transformateur en légumes surgelés aux États-Unis. En revanche, au sud de la frontière, ses parts de marché sont minimes dans le segment des conserves.

Selon les données de l’entreprise, le marché nord-américain des légumes surgelés générait des ventes de 4,6 milliards de dollars américains (ou 5,9G$ CA) en 2020.

Dans le cas de la conserve, le segment des légumes et des légumineuses s’élevait à 6,1G$ US, tandis que celui en fruit en coupe et en conserve atteignait 3,1G$ US.

En Amérique du Nord, Bonduelle Americas Long Life fait face à la fois à la concurrence d’entreprises américaines (par exemple, Seneca Foods, Lakeside Foods et Hanover Foods) et européennes (par exemple, Ardo et Gelagri).

Comme la plupart des entreprises du secteur voient le potentiel du flexitarisme sur leur écran radar, BALL fera face à une vive concurrence pour accaparer de nouvelles parts de marché, même si la demande sera forte.

Chose certaine, les nouveaux actionnaires ont l’intention de faire des acquisitions pour y arriver.

Aussi, les revenus de 943M$ de Bonduelle Americas Long Life sont appelés à croître rapidement. Questionnés à ce sujet, les principaux intéressés n’ont pas voulu donner leur cible de revenus futurs, même s’ils en ont de leur côté.

 

Gérer les risques climatiques

S’il y a plusieurs opportunités d’affaires dans les années et les décennies à venir, il y a aussi des risques, à commencer par le risque climatique et les conditions météorologiques, fait valoir Kim Thomassin.

«On souhaite les meilleures conditions météorologiques: du soleil et parfois de la pluie, car, en fin de compte, cela a un impact sur ce qu’on fait.»

Bien au fait de ce risque, Guillaume Debrosse affirme que l’industrie peut gérer ce risque.

Comment? En diversifiant les zones géographiques de production de végétaux, en utilisant des semences plus résistantes aux aléas de Dame nature et en s’appuyant sur l’agrotechnologie (par exemple, la rotation des cultures afin d’éviter l’épuisement des sols).

«Ça permet de mieux gérer ce risque-là de plusieurs manières», assure-t-il.