(Photo: archives Les Affaires)
SPÉCIAL 95 ANS D’INNOVATION. À la fin des années 1970, le gouvernement du Québec fait un triple constat: les Québécois investissent peu à la Bourse, les entreprises ont du mal à se financer et les plus nantis disent payer trop d’impôts. Le Régime d’épargne-actions (REA), une nouvelle mesure fiscale avantageuse, viendra changer le visage de l’économie, en plus d’offrir au journal des années fastes.
Le REA naît en 1979 dans le but d’encourager l’investissement des particuliers dans les entreprises québécoises. Ce régime, conçu par Jacques Parizeau, alors ministre des Finances au sein du gouvernement péquiste de René Lévesque, permet aux contribuables de déduire le coût d’actions d’entreprises québécoises achetées en Bourse de leur revenu imposable, une déduction qui pouvait aller, pour certaines années et certains revenus, jusqu’à 150% du prix. En plus d’élargir de façon significative l’actionnariat au Québec, le REA a largement contribué à la solidification d’entreprises québécoises, telles que Cascades, Couche-Tard ou Transcontinental.
Marqueur d’autonomie
«Le REA, c’est un geste tout à fait marquant, parce qu’il montrait l’autonomie de la politique fiscale québécoise, dit Luc Godbout, titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques et professeur à l’Université de Sherbrooke. Les autres provinces canadiennes n’avaient pas la possibilité de mettre en place leurs propres mesures fiscales.»
Le fiscaliste se souvient de la place que Les Affaires donne à l’information liée au régime: «Il y avait effectivement beaucoup d’importance qui était mise sur les nouvelles capitalisations boursières québécoises, dit-il. Le régime était expliqué, tout comme l’évolution de certaines petites entreprises de l’époque.»
Selon Paul-André Linteau, historien et professeur émérite de l’Université du Québec à Montréal, le REA engendre un engouement pour l’investissement, qui se transpose rapidement dans la popularité du journal. «Avec le Régime d’épargne-actions, les gens commencent à investir en Bourse, et je suis sûr qu’une partie du nouveau lectorat appartient à cette nouvelle classe moyenne émergente qui s’intéresse à l’économie. Le journal s’est transformé avec ces nouveaux besoins-là.»
Jean-Paul Gagné, rédacteur en chef du journal dans les années 1980, a vécu cette période de popularité hors du commun de l’intérieur. «Une fois qu’on avait fait un article pour annoncer l’existence de telle émission et parler de l’entreprise émettrice, je vous jure, le lendemain, l’action avait monté d’une piastre! Le surlendemain, de deux! On a vraiment participé à l’effervescence de la montée du prix des actions au début des années 1980», dit-il.
Il garde un souvenir particulièrement marquant de l’entrée en Bourse de la première PME industrielle à faire une émission publique, Cascades, dirigée à l’époque par Bernard Lemaire. «La première émission d’actions de Cascades a été faite en décembre 1982. Grâce au goût du risque de Bernard Lemaire, qui a besoin de financement et qui ne recule devant aucune occasion, et à McNeil Mantha, un courtier en valeurs mobilières de taille modeste, mais très innovateur par les produits qu’il distribue, des étudiants en finance de l’Université de Sherbrooke ont pour travail de rédiger un prospectus pour une émission publique d’actions par une PME. L’entreprise qui leur servira de modèle est Cascades», écrivait Jean-Paul Gagné dans son hommage à Bernard Lemaire, décédé en novembre dernier.
Des entreprises et des investisseurs
La tendance était lancée. De nombreuses autres petites entreprises feront le saut, jusqu’à la caricature. Beaugarte, une discothèque et resto-bar de Sainte-Foy, avait entre autres profité du REA pour se lancer. «Il y a eu beaucoup d’émissions d’actions de petites entreprises qui n’auraient pas dû aller en Bourse, dit Jean-Paul Gagné. Ça n’avait aucun sens, qu’un bar avec un chiffre d’affaires de quelques millions fasse une émission d’actions.»
Le public est lui aussi happé par l’engouement. «Tellement, qu’il y avait des gens qui venaient faire la queue aux bureaux du journal pour l’acheter avant qu’il sorte en kiosque, dit l’ancien rédacteur en chef. J’ai dit non à ça, je ne voulais pas que certains lecteurs aient de l’information privilégiée par rapport à d’autres.»
La ferveur se poursuivra jusqu’au krach boursier de 1987, après quoi de nombreux investisseurs se débarrassent de leurs actions, parfois à perte, dit Jean-Paul Gagné. Le REA continuera d’exister tout de même, nonobstant l’élection d’un gouvernement libéral en 1985. En 2003, le gouvernement Charest impose un moratoire sur le REA et le ranime en 2005 sous le nom Action-croissance PME. En 2009, le régime connaît un remaniement et devient le Régime d’épargne-actions II. Il expire en 2014.
«S’il y avait un legs à retenir de ce programme, aujourd’hui, c’est le côté bénéfique, concret, qu’il a eu sur certaines entreprises, dit Luc Godbout. Des entreprises comme Cascades et Couche-Tard, elles sont extrêmement reconnaissantes envers le REA. Ça leur a permis de passer à un autre niveau.»
En 1987, l’effondrement des Bourses mondiales…
L’appétit pour l’investissement des Québécois qui a marqué la décennie 1980 connaît un frein monumental en 1987, alors qu’un krach secoue les Bourses dans le monde. C’était le 19 octobre, jour que l’histoire a depuis surnommé « Black Monday », le lundi noir. L’indice Dow Jones chute subitement de 22,62 %. « La Bourse québécoise n’échappe pas à la tourmente. Les titres phares du Québec inc. culbutent dès les premières minutes de transaction : Cascades, Canam Manac et Bombardier dégringolent de 25 % à 35 % », écrivaient nos journalistes en 2017 dans un article commémorant les 30 ans de la crise. – Sophie Chartier
Inscrivez-vous à notre infolettre thématique:
Finances personnelles — Tous les vendredis
Inspirez-vous des conseils de nos experts en planification financière et de toutes les nouvelles pouvant affecter la gestion de votre patrimoine.