Québec investit 1,2 G$ pour l’hydrogène vert et les bioénergies
François Normand|Publié le 25 mai 2022Toute proportion gardée, l’ampleur des investissements de la stratégie de Québec se compare à celle des différentes annonces faites en Europe. (Photo: 123RF)
Après des mois de gestation, Québec accouche de sa Stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies 2026, qui prévoit des investissements publics de 1,2 milliard de dollars (G$). À terme, le gouvernement espère générer des investissements publics et privés qui pourraient atteindre près de 10 G$, et diminuer ainsi les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonathan Julien, et le ministre de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques, Benoit Charrette, ont présenté ce mercredi la stratégie en marge du Colloque annuel de l’Association québécoise de production d’énergie renouvelable (AQPER), portant sur la transition énergétique.
L’hydrogène vert est produit principalement par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable. Quant aux biocarburants, ils sont conçus avec de la biomasse (matière première d’origine végétale, animale ou issue de déchets), et ils sont souvent incorporés dans les carburants fossiles comme l’essence.
Pour mettre en œuvre cette stratégie, le gouvernement Legault investira donc 1,2 G$ au cours des cinq prochaines années (2021-2026), dont 250 millions de dollars (M$) pour l’hydrogène vert et 950 M$ pour les biocarburants.
Les investissements potentiels estimés à 10 G$ qui découleront de la stratégie incluent donc cette somme de 1,2 G$, de même que les futurs investissements privés.
En entrevue à Les Affaires, le ministre Julien a expliqué que la stratégie est importante pour aider le Québec à atteindre ses cibles climatiques, soit une réduction des gaz à effet de serre (GES) de 37,5% d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990.
«Sur un horizon 2030, c’est la stratégie qui va permettre de la manière la plus efficiente d’atteindre certaines de nos cibles de GES», affirme-t-il au bout du fil.
L’impact de la stratégie sur les cibles climatiques
Le gouvernement estime que les projets pour produire de l’hydrogène vert et des biocarburants ont le potentiel de contribuer aux cibles québécoises de deux manières :
• Par une diminution potentielle de plus de 4 millions de tonnes de CO2 par année, soit 13 % des réductions requises pour atteindre la cible québécoise de réduction des émissions de GES en 2030.
• Par une diminution potentielle de la consommation de produits pétroliers de près d’un milliard de litres par année, soit 16 % de la cible de réduction de la consommation de produits pétroliers en 2030.
Le ministre a tenu à préciser que cette production d’énergies propres était destinée pour le marché québécois, et non pas pour l’exportation. Bref, les entreprises étrangères sont invitées à venir produire et consommer de l’hydrogène vert et des bioénergies au Québec.
Par ailleurs, la stratégie de Québec se décline sur trois axes.
Axe 1 (environnement d’affaires) — le gouvernement a deux objectifs : développer les infrastructures de production et de distribution, ainsi qu’accroître l’utilisation de l’hydrogène vert et des bioénergies.
Axe 2 (connaissances et innovation) — le gouvernement a deux objectifs : améliorer les connaissances et leur diffusion, ainsi que de développer des solutions et des procédés innovants.
Axe 3 (collaboration, information et promotion) — le gouvernement a deux objectifs : accroître l’engagement des acteurs publics et privés pour le développement des filières de l’hydrogène vert et des bioénergies, ainsi que favoriser la mobilisation des communautés locales et autochtones envers le développement des filières.
Toute proportion gardée, l’ampleur des investissements de la stratégie de Québec se compare très avantageusement à celle des différentes annonces faites en Europe.
Par exemple, la France investira 7,2 milliards d’euros (10,2 G$CA) pour développer l’hydrogène vert. L’Allemagne et le Royaume-Uni injecteront pour leur part respectivement plus 8 milliards d’euros (plus de 11,4 G$CA) et 4 milliards de livres sterling (6,7 G$CA) dans cette filière.
Joint par Les Affaires, Gabriel Durany, PDG de l’AQPER, a salué la publication de la Stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies.
«On l’accueille bien et on l’attendait! Ça fait partie de nos demandes de notre Feuille de route 2030», dit-il.
L’AQPER apprécie particulièrement l’engagement de Québec de créer « les conditions favorables, attractives et prévisibles », en plus d’appuyer financièrement les entreprises qui œuvrent dans ce secteur.
L’association aime également que le gouvernement ait identifié des produits d’hydrogène vert qui sont commercialisables à court terme, comme dans les industries qui consomment par exemple déjà de l’hydrogène gris (produit à parti de carburants fossiles).
Pas assez de mesures en efficacité énergétique
Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, trouve que la publication de cette stratégie est un développement positif, notamment parce que la vision de Québec sur l’hydrogène « est plus nuancée » que celle de l’Ontario ou du gouvernement fédéral.
En revanche, cette spécialiste de l’énergie déplore que la stratégie québécoise n’accorde pas suffisamment de place à l’efficacité énergétique.
Comme l’hydrogène vert et les biocarburants sont plus dispendieux, les futures entreprises consommatrices doivent absolument être plus efficaces au niveau de leur consommation, et ce, afin que leur facture d’énergie n’explose pas.
«Si on ne fait pas ça, il y aura des coûts importants pour les utilisateurs», dit-elle. Et, à ses yeux, appuyer financièrement les utilisateurs pour compenser à terme les écarts de prix (à partir de fonds publics) n’est pas une solution viable à long terme.
Mieux vaut miser sur la compétitivité des entreprises, et cela passe par l’efficacité énergétique, selon elle.
Si l’hydrogène vert est un carburant intéressant pour décarboner l’économie, ça ne sera jamais une panacée, prévient Johanne Whitmore, en citant deux études.
Elle donne l’exemple de la firme Dunsky, qui a préparé une étude pour le compte du ministère québécois de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques.
Au mieux, conclut-elle, l’hydrogène demeura une portion relativement petite de l’ensemble du bilan énergétique (environ 3 % de la consommation totale) à l’horizon 2050, et ce, en raison de barrières économique et technique.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) va dans le même sens, selon Johanne Whimore.
Ainsi, selon cet organisme qui relève de l’ONU, la consommation d’hydrogène devrait augmenter d’ici 2050 et au-delà dans des scénarios limitant vraisemblablement le réchauffement climatique à 2°C ou moins.
En revanche, la part médiane d’hydrogène dans le total la consommation énergétique finale est de 2,1 %, en 2050, et de 5,1 %, en 2100.