Terres rares : l’autonomie vis-à-vis de la Chine sera longue
François Normand|Publié le 22 janvier 2020L'Amérique du Nord doit créer une nouvelle chaîne d’approvisionnement intégrée, et ce, de l’extraction à la production.
Les États-Unis et le Canada veulent réduire leur dépendance aux terres rares de la Chine. Or, ce processus sera très long, car l’Amérique du Nord doit créer une nouvelle chaîne d’approvisionnement intégrée, et ce, de l’extraction à la transformation à la production.
Les terres rares regroupent 17 minerais stratégiques qui entrent dans la fabrication des téléphones intelligents, des éoliennes ou des voitures électriques. Plusieurs activités sont requises pour créer une chaine intégrée et assurer l’autonomie de l’Amérique du Nord.
Il faut des mines (le Canada n’en a aucune), mais aussi des usines pour transformer le minerai en oxyde, créer des alliages, fabriquer des composants (des aimants permanents, par exemple) et produire des équipements (des moteurs de voitures électriques, par exemple).
Des investissements colossaux sont donc nécessaire pour bâtir une telle industrie, mais il faut surtout une vision à long terme, qui ne peut pas être confiée uniquement à des intérêt privés.
«Il faut qu’il y ait une volonté du gouvernement de créer une industrie», affirme Serge Perreault, géoscientifique principal à la SOQUEM, une société d’État qui essaie de mettre en valeur le gisement de terres rares de Kwyjibo sur la Côte-Nord.
En novembre, le gouvernement Legault a justement lancé une «réflexion gouvernementale» sur les minéraux critiques et stratégiques, incluant les terres rares.
Par contre, le Québec et le Canada sont à des années lumières de pouvoir se doter d’une industrie intégrée, affirme Kiril Mugerman, président et chef de la direction de Ressources Géoméga, une PME de Boucherville qui possède le gisement de terres rares de Montviel, dans la région du Nord-du-Québec.
«Plus vite on produira des oxydes en Amérique du Nord, plus vite on attirera des entreprises capables de faire des alliages», insiste-t-il.
En 2020, l’entrepreneur construira une usine en Montérégie pour recycler et traiter d’anciens aimants permanents de terres rares que l’on retrouve notamment dans les voitures électriques et les éoliennes.
Géomega tentera de développer son gisement de Montviel uniquement quand l’Amérique du Nord abritera des transformateurs et des producteurs.
Pourquoi la domination chinoise inquiète Ottawa et Washington
Depuis les années 1990, la Chine domine la chaîne de valeur mondiale, même si une dizaine de pays produisent des terres rares, selon l’United States Geological Survey (USGS).
En 2018, la production chinoise s’est élevée à 120 000 tonnes (71% de la production mondiale), très loin devant l’Australie (20 000) et les États-Unis (15 000). La Chine contrôle aussi 40% des réserves mondiales.
Durant une trentaine d’années, la domination des Chinois n’a pas vraiment inquiété les décideurs politiques et économiques dans le monde, car les exportations de terres rares de la Chine étaient stables.
Or, cette situation a changé en septembre 2010, quand Pékin a utilisé ses minerais stratégiques pour faire pression sur le Japon.
À la suite d’une dispute en mer de Chine, Pékin a suspendu pendant quelques semaines ses exportations vers le Japon, après que la marine japonaise eut arraisonné un navire de pêche chinois à proximité d’îlots disputés par les deux pays.
La confiance des pays importateurs a aussi été ébranlée l’an dernier, à commencer par les États-Unis.
En mai 2019, le président Xi Jinping a fait une visite très médiatisée chez JL Mag Rare-Earth, un producteur chinois d’aimants permanent de terres rares. Or, cette visite visait à envoyer un message clair aux Américains, selon Ryan Castilloux, directeur d’Adamas Intelligence, une firme spécialisée dans ces minerais stratégiques.
En entretien au Financial Times, il a déclaré que Pékin indiquait ainsi à Washington «que les Chinois savent non seulement que les terres rares sont importantes pour les industries américaines de haute technologie, mais aussi pour le secteur de la défense».
Or, les États-Unis ne peuvent tout simplement pas se permettre de mettre à risque leurs approvisionnements de terres rares, alors que la rivalité militaire avec la Chine s’accentue en Asie-Pacifique depuis quelques années.
Vers une industrie nord-américaine
Le Canada a l’expertise technologique pour mettre en place une chaîne d’approvisionnement intégrée, selon un rapport de la Chambre des communes, publié en 2014.
Par contre, on assistera probablement à la création d’une industrie continentale «en s’associant avec les Américains», estime Christopher Grove, président de Commerce Resources, une minière de Vancouver qui détient le gisement de terres rares Ashram, au Nunavik, au nord de Shefferville.
Dans ce scénario, le Canada se spécialiserait dans l’extraction, la transformation du minerai et la création d’alliage, tandis que les États-Unis s’occuperaient davantage de la fabrication de composants de pointe et de la production de biens finis.
Chose certaine, le téléphone de M. Grove ne dérougit pas depuis qu’Ottawa et Washington ont indiqué l’an dernier vouloir accroître l’autonomie de l’Amérique du Nord par rapport à la Chine.
Il est d’ailleurs très optimiste pour la suite des choses (la mine pourrait voir le jour dans trois ans, si les études de faisabilité sont concluantes), car une vingtaine d’entreprises l’ont contacté pour avoir plus d’information à propos du projet Ashram.
«Toutes ces entreprises, dont des sociétés américaines, européennes et japonaises, nous ont toute dit la même chose : elles ne veulent plus continuer à dépendre des importations de la Chine.»