EXPERTE INVITÉE. Bien que quelques décideurs politiques aient clairement exposé les risques ...
EXPERTE INVITÉE. Bien que quelques décideurs politiques aient clairement exposé les risques liés au climat auxquels le système financier est confronté, des questions subsistent. En effet, personne ne peut prédire quand surviendra l’explosion de la «bulle spéculative du carbone», comment elle surviendra et quels en seront les impacts. Les risques, pour certains acteurs, sont incontestables. L’industrie de l’assurance (les assureurs, les réassureurs et tous les instruments financiers basés sur l’assurance) est évidemment très exposée aux catastrophes induites par le réchauffement climatique.
D’autres risques, tels que celui des «actifs bloqués» (stranded asset), sont moins flagrants, mais peut-être plus inquiétants. Différents actifs seront rendus obsolètes, non performants ou inutilisables – et nous ne parlons pas seulement ici des maisons qui se trouvent maintenant en zone inondable – à cause des changements climatiques ou de la lutte menée pour les contrer.
Ce phénomène n’est toutefois pas attribuable exclusivement aux changements climatiques. En fait, le progrès technologique «immobilise» régulièrement des actifs. Les ampoules électriques ont détruit la valeur des lampadaires à gaz. Plus récemment, les permis de taxi ont aussi été «bloqués» par les applications mobiles Uber.
Revenons sur la définition de l’actif bloqué. Les actifs – plus précisément, l’espérance de gain que l’on attribue durant leur vie utile – forment la base du système financier. Lorsqu’un actif ne fonctionne plus, de manière abrupte ou pas, il doit être enregistré dans les états financiers d’une entreprise en tant que perte de profit. Pour comprendre en quoi un actif est «bloqué», il est utile de comprendre comment les investisseurs évaluent le risque et les pertes potentielles dues au risque. En utilisant une technique de modélisation connue sous le nom de «valeur à risque», les investisseurs peuvent estimer combien un ensemble d’investissements pourrait perdre, en fonction des conditions du marché, sur une période de temps donnée. Cette méthode statistique de gestion des risques permet de quantifier la perte potentielle d’une action ou d’un portefeuille, ainsi que la probabilité de cette perte potentielle, permettant ainsi aux entreprises, aux investisseurs et aux régulateurs d’évaluer le montant des actifs ou assurances nécessaires pour couvrir les pertes éventuelles.
Donc, si les investisseurs et les entreprises tiennent systématiquement compte des risques liés au climat dans leurs évaluations, nous ne devrions pas nous inquiéter des actifs immobilisés, car une grande volatilité climatique est déjà prise en compte.
Pourtant, l’idée que les investisseurs et les entreprises connaissent, comprennent et évaluent de manière globale les risques liés au climat est également fausse. La récession mondiale de 2008 a montré que le marché peut mal évaluer les risques de manière systématique, en particulier lorsque les risques sont nouveaux. Bien que le risque climatique ne soit pas nouveau dans certains secteurs économiques et catégories d’actifs, tels que l’immobilier, les infrastructures, le bois, l’agriculture et le tourisme, les entreprises de ces secteurs, entre autres, peuvent soit ne pas connaître leur exposition aux risques liés au climat, soit ne pas la divulguer de manière adéquate.
La non-disponibilité exhaustive des données et la publication d’informations inégales au niveau de l’entreprise rendent les risques liés au climat difficiles à éviter et à chiffrer. Si le marché ne parvient pas à fixer correctement le prix du carbone, une croissance plus faible et des rendements d’actifs plus faibles risquent d’influer systématiquement sur l’ensemble du système financier.
La solution pour éviter une explosion douloureuse de la bulle du marché du carbone paraît assez simple : mettre un prix sur le carbone et accroître la transparence des risques. La création d’un prix du carbone est un outil politique bien connu, mais qui risque d’être insuffisant. Les régulateurs devraient aussi envisager d’imposer aux entreprises de divulguer leurs risques liés aux changements climatiques, ainsi que de faire pression sur les investisseurs institutionnels pour qu’ils divulguent et expliquent comment ils évaluent les risques climatiques associés aux actifs détenus dans leurs portefeuilles.
Il y a quelques mois à peine, la Banque du Canada a annoncé qu’elle commencerait à quantifier les risques liés au climat pour l’économie canadienne. Mieux vaut tard que jamais, car une approche dite «conservatrice» comporte paradoxalement le maximum de risques.
En l’absence d’exigences organisationnelles et gouvernementales solides pour prendre en compte les risques liés au climat, des émissions de carbone mal comptabilisées pourraient bloquer de nombreux actifs abruptement, menant potentiellement à une chute rapide de la Bourse. Il n’y a plus de contrebalance entre le climat et l’économie. En fait, l’économie dans un avenir proche risque de se reposer sur les politiques climatiques.
EXPERTE INVITÉE
Laura O’Laughlin est vice-présidente au cabinet de consultation Groupe d’analyse. Elle est aussi fondatrice de l’Institut des générations, un organisme sans but lucratif qui s’intéresse à l’équité entre les générations.