Comment le Port de Montréal résiste aux ports américains
François Normand|Édition de la mi‑juin 2022Martin Imbleau, PDG de l’Administration portuaire de Montréal (Photo: Bénédicte Brocard)
Le Port de Montréal misera sur son efficacité et sa manutention faible en carbone pour se démarquer des grands ports de la côte est américaine, qui misent plutôt sur des volumes élevés qui engendrent de l’inefficacité économique et environnementale.
«Le nerf de la guerre, c’est le facteur d’utilisation; il faut que les navires soient utilisés au maximum», affirme le PDG de l’Administration portuaire de Montréal (APM), Martin Imbleau, en entrevue à Les Affaires pour expliquer la vision à long terme de son organisme.
Alors que les chaînes d’approvisionnement mondiales sont en crise et que le juste-à-temps est en déclin, les entreprises du nord-est de l’Amérique du Nord sont à la recherche de solutions logistiques efficaces pour commercer avec l’Europe et l’Asie.
Le Port de Montréal — qui manutentionne environ 100 milliards de dollars canadiens de biens par année pour les marchés du Québec, de l’Ontario et d’une partie du Midwest américain — rivalise principalement avec les ports de Newark (New Jersey) et de New York.
Entre 2008 et 2019, la quantité de conteneurs transitant par le port de Montréal a augmenté de 18 %, selon les données du gouvernement du Québec. Or, les volumes des ports de la côte est des États-Unis (dont Newark/New York) ont progressé de 51 %. Si cet écart de croissance se maintient, cette situation pourrait même marginaliser à long terme le Port de Montréal et la voie maritime du Saint-Laurent en Amérique du Nord, estiment certains observateurs.
Toutefois, ce n’est pas la quantité de conteneurs qui transitent dans un port qui compte pour une économie, mais plutôt la rapidité à laquelle ils sont manutentionnés et l’effet de ce processus sur l’environnement, insiste Martin Imbleau.
À ses yeux, la croissance rapide des volumes de conteneurs des ports de la côte est cache deux angles morts:une inefficacité économique et environnementale, ainsi qu’un déséquilibre majeur entre l’offre et la demande de marchandises aux États-Unis.
«Ça crée plus de trous dans la balance commerciale américaine», affirme le patron de l’APM.
Des navires partent vides pour retourner en Asie
De plus, contrairement au Port de Montréal, de nombreux navires repartent les cales vides des ports de la côte est en direction de l’Asie, car les importations sont largement supérieures aux exportations des États-Unis.
En 2021, le déficit commercial américain (biens et services) a d’ailleurs atteint un sommet historique de 859,1 milliards de dollars américains (1080,1 G$CA), d’après le Bureau of Economic Analysis. Le Canada a quant à lui enregistré un excédent de marchandises de 6,6 G$CA l’an dernier, selon Statistique Canada.
Les hausses des volumes des ports de la côte est peuvent être impressionnantes. Pourtant, le Port de Montréal n’a pas du tout envie de reproduire cette stratégie, même si ses volumes d’importation pouvaient par exemple bondir du jour au lendemain de 10 % à 15 %.
«Nos chiffres seraient extraordinaires, mais le Québec et le Canada s’appauvriraient, insiste Martin Imbleau. Il faut plutôt se concentrer sur la balance commerciale, pas sur le bilan du Port de Montréal.»
C’est la raison pour laquelle la stratégie du Port de Montréal est d’accroître ses volumes de conteneurs relativement au même rythme que la croissance de l’économie du Québec et de l’Ontario.
Décongestion et décarbonation
Pour autant, l’APM ne souhaite pas perdre du trafic maritime au profit de ses concurrents.
L’administration doit donc continuer de convaincre les entreprises canadiennes et étrangères de faire transiter leurs marchandises par Montréal au lien de Newark ou New York.
Plusieurs axes sont privilégiés par le Port de Montréal pour y arriver, dont la décongestion et la décarbonation.
La décongestion passe par une plus grande fluidité des marchandises sur son territoire, aussi bien pour le transport par camion (nouvelle bretelle d’accès) que par train (prolongement de son réseau ferroviaire, qui est connecté à celui du Canadien National et du Canadien Pacifique).
La mise en service prévue en 2026 d’un nouveau terminal à Contrecoeur (au nord-est de la métropole) s’inscrit aussi dans cette stratégie de décongestion. Cette zone améliorera la fluidité du commerce avec l’Europe et l’Asie, mais aussi avec le sud des États-Unis, par le réseau du CN, qui descend jusqu’en Louisiane via des villes comme Saint-Louis et Memphis.
Le déclin du juste-à-temps impose aussi de nouveaux modèles d’affaires afin que le Port de Montréal et les entreprises québécoises demeurent compétitifs. Et cela passe par la création de centres collectifs de transbordement et d’entreposage dans la région métropolitaine.
«Il faut absolument mutualiser le risque», affirme Martin Imbleau, en précisant que la construction de centres sur une base individuelle — et non pas collective, comme il le propose — entraînerait des coûts importants pour les entreprises québécoises.
Pour se décarboner, le Port de Montréal mise sur l’électrification de ses activités (par exemple, en branchant de plus en plus à l’électricité les navires à quai) et l’utilisation accrue, au fil des ans, d’hydrogène vert, par exemple, pour les camions actifs sur son territoire.
Cette stratégie énergétique ne vise pas seulement à décarboner les activités portuaires; elle cherche aussi à être en phase avec les consommateurs qui veulent de plus en plus de biens ayant une faible empreinte carbone, incluant leur manutention, explique Martin Imbleau. «Ils vont vouloir acheter des produits qui auront passé par le Port de Montréal, car l’empreinte carbone y sera moindre. J’en suis complètement convaincu», dit-il.