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«Chauffeur inc.»: un «désastre» pour l’industrie du camionnage

La Presse Canadienne|Publié le 09 février 2024

«Chauffeur inc.»:  un «désastre» pour l’industrie du camionnage

Le président et chef de la direction de TFI International, Alain Bédard, qualifie le phénomène connu sous le nom de «chauffeur inc.» de «désastre» pour les entreprises de camionnage, car les rivaux qui enfreignent les règles obtiennent un avantage concurrentiel. (Photo: La Presse Canadienne)

Le patron de la plus grande entreprise de camionnage du Canada affirme que les classifications fautives généralisées des conducteurs nuisent aux entreprises comme la sienne ainsi qu’aux conducteurs, un problème ressenti avec encore plus d’acuité dans une période difficile pour l’économie canadienne. 

Le président et chef de la direction de TFI International, Alain Bédard, qualifie le phénomène connu sous le nom de «chauffeur inc.» de «désastre» pour les entreprises de camionnage, car les rivaux qui enfreignent les règles obtiennent un avantage concurrentiel.

«Nous perdons du volume parce que le marché est mou et que nous sommes confrontés à une concurrence déloyale dans le cas de chauffeur inc.», a-t-il déclaré aux analystes lors d’une conférence téléphonique vendredi.

«C’est un désastre que nous vivons au Canada et personne ne fait rien pour y remédier», a-t-il ajouté.

«Chauffeur inc.» fait référence à la classification fautive des travailleurs comme indépendants, ce qui signifie que l’entreprise ne verse pas d’avantages sociaux et n’assure pas de protections de base du travail.

Les soi−disant entrepreneurs qui conduisent pour une seule entreprise et n’exercent aucun contrôle sur leurs horaires sont illégaux — et risqués, car les travailleurs ne bénéficient pas de droits de base tels que l’indemnisation des accidents du travail, les heures supplémentaires, les congés payés ou les indemnités de départ.

Même si Ottawa a pris certaines mesures pour atténuer le problème, les camionneurs et les propriétaires souhaitent que des mesures supplémentaires soient prises. Ils affirment que la crise continue de s’aggraver dans un contexte de retard dans l’application des mesures, ce qui entraîne un recul des profits et du bien−être des travailleurs dans un secteur déjà connu pour ses marges extrêmement minces et ses horaires épuisants.

«Ils ne versent aucun avantage à leurs chauffeurs», a déclaré M. Bédard. L’avantage concurrentiel de «chauffeur inc.» pourrait s’atténuer lorsque la demande reprendra après une année difficile. «Mais ce sera un problème à long terme pour nous tant que personne à Ottawa, au Québec ou à Toronto ne fera rien pour y remédier», a-t-il fait valoir.

 

Une «approche axée sur l’éducation» 

L’année dernière, le bureau du ministre fédéral du Travail a affirmé que le gouvernement se concentrait sur une «approche axée sur l’éducation pour mettre fin à cette pratique discriminatoire».

«Les employeurs qui continuent d’enfreindre sciemment la loi après avoir été informés et sensibilisés seront tenus responsables», a déclaré Hartley Witten, attaché de presse du ministre du Travail, Seamus O’Regan, dans un courriel en mai dernier.

L’Association du camionnage du Québec (ACQ) dit avoir déposé en novembre dernier un mémoire auprès de plusieurs ministres du gouvernement du Québec présentant les propositions de modifications législatives pour endiguer le stratagème. L’ACQ a aussi rencontré le mois suivant le ministre fédéral des Transports, Pablo Rodriguez.

Selon des modélisations présentées en novembre par l’ACQ et appuyées par le cabinet Cain Lamarre, c’est près de 2 milliards de dollars qui n’ont pas été versés en cotisations à l’État québécois depuis les débuts du phénomène il y a 12 ans.

Entre janvier 2019 et mars 2020, la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario (WSIB) a audité 204 entreprises de camionnage et a constaté que 47% d’entre elles sous−déclaraient les revenus des conducteurs, ce qui peut être un indicateur clé d’une mauvaise classification.

Le président de l’Alliance canadienne du camionnage, Stephen Laskowski, a félicité Emploi et Développement social Canada pour avoir intensifié les mesures de répression contre les contrevenants dans le sud de l’Ontario au cours des deux dernières années.

«C’est un nivellement par le bas, et c’est aussi très utilisé pour maltraiter les nouveaux arrivants au Canada», a-t-il déclaré à propos de «chauffeur inc.».

M. Laskowski a également appelé à des amendes plus importantes et à des mesures de répression encore plus sévères pour dissuader les classifications fautives.

Le budget fédéral de l’année dernière prévoyait un financement pour modifier le Code canadien du travail afin d’améliorer la protection de l’emploi des travailleurs sous réglementation fédérale en renforçant les interdictions de classification erronée des employés, a déclaré la porte−parole de l’Agence du revenu du Canada, Hannah Wardell.

L’automne dernier, l’ARC a lancé la deuxième étape d’une campagne éducative destinée aux «entreprises de prestation de services personnels», une classification fiscale spéciale pour les entrepreneurs qui «seraient considérés comme un employé du payeur si ce n’était de l’existence de la société».

«Les informations recueillies au cours de ces deux phases pilotes aideront à orienter les futures activités de formation et de conformité de l’ARC», a affirmé Mme Wardell dans un courriel l’année dernière.