Pour son programme phare Artémis, qui doit ramener des astronautes sur la Lune, la NASA a opéré une réorganisation fondamentale. (Photo: 123RF)
Tandis que la Chine, l’Inde et le Japon ont désormais chacun réussi à se poser sur la Lune, les États-Unis ont eux confié à des entreprises privées américaines la tâche de renouveler l’exploit, plaçant entre leurs mains une partie de la réputation spatiale du pays.
Une entreprise texane doit entamer mercredi une mission vers la Lune, qui pourrait marquer le premier alunissage américain depuis la fin du programme Apollo, il y a plus de cinq décennies.
Après l’échec en janvier d’une première entreprise américaine (Astrobotic), l’enjeu est d’autant plus grand pour la société Intuitive Machines.
Alors pourquoi avoir choisi de se reposer sur le secteur privé?
Pour son programme phare Artémis, qui doit ramener des astronautes sur la Lune, la NASA a opéré une réorganisation fondamentale.
Pendant la Guerre froide, l’agence spatiale américaine dépensait sans compter et se chargeait de superviser chaque mission jusqu’au dernier écrou. Le nouveau paradigme adopté parie lui sur l’économie de marché et la concurrence entre entreprises, afin d’accomplir des exploits pour une fraction seulement des coûts passés.
Cette approche a déjà porté ses fruits, mais comporte également des risques, notamment que les États-Unis se laissent dépasser par leur rival principal, la Chine.
Le succès SpaceX
Les missions d’Intuitive Machines et d’Astrobotic pour livrer du matériel scientifique sur la surface lunaire font partie d’un programme baptisé CLPS, auquel participent plusieurs autres sociétés.
La NASA l’a développé en donnant la priorité à des tentatives d’alunissages plus fréquentes et pour un coût moindre, a expliqué à l’AFP Scott Pace, directeur de l’Institut de politique spatiale à l’Université George Washington.
L’agence spatiale a été encouragée par l’essor fulgurant de SpaceX, l’entreprise du milliardaire Elon Musk, qui constitue désormais l’un des fournisseurs favoris de la NASA.
«La fiabilité dont jouit aujourd’hui SpaceX résulte de nombreuses explosions de fusées en cours de route», a relevé Scott Pace. Des explosions que la NASA, financée par l’argent public, ne pourrait pas se permettre.
Les véhicules de SpaceX sont actuellement la seule manière pour les astronautes de se rendre dans la Station spatiale internationale (ISS) depuis le sol américain.
La NASA avait également chargé Boeing de développer un taxi spatial vers l’ISS, mais le véhicule n’est toujours pas certifié. L’entreprise d’Elon Musk a ainsi battu à plate couture Boeing, pourtant parti favori.
Pour les experts, c’est la preuve que la bonne option est d’en avoir plusieurs.
Alors que chaque décollage de la navette spatiale coûtait à la NASA plus de 2 milliards de dollars américains (ajusté à l’inflation), selon une étude, le coût moyen d’un siège à bord d’une fusée de SpaceX revient à 55 millions de dollars américains, selon un audit.
Vers Artémis
Désormais, plutôt que de commander à ses partenaires industriels des engins en leur expliquant exactement comment les construire, la NASA décrit aux entreprises ses besoins, et les laisse développer leur propre proposition.
À l’ère d’Apollo, la NASA a reçu plus de 300 milliards de dollars américains, selon une analyse de Casey Dreier, de l’organisation Planetary Society. Soit bien plus que les 93 milliards devant être dépensés pour Artémis d’ici 2025.
Mais l’approche comporte également certains inconvénients.
La NASA a ainsi passé contrat avec SpaceX pour un alunisseur chargé de déposer ses astronautes sur la surface lunaire, mais le système envisagé par l’entreprise, qui répond aussi à ses propres intérêts, est complexe.
Le vaisseau Starship, dont une version doit devenir l’alunisseur en question (et qui n’a encore jamais volé sans exploser), devra être ravitaillé en carburant une fois dans l’espace avant de pouvoir se rendre vers la Lune.
De tels transferts de carburant en apesanteur pourraient se révéler fort utiles pour faciliter des missions vers Mars — le but ultime de SpaceX — mais le développement de cette technologie pourrait retarder le retour des Américains sur la Lune.
Selon la NASA, ce retour est prévu pour 2026, mais le calendrier pourrait encore subir des retards. La Chine, elle, prévoit d’envoyer des humains sur la Lune en 2030.
Les Chinois «n’ont pas à se préoccuper de toutes les manigances qu’on peut voir aux États-Unis, où le paysage politique est très polarisé et où les menaces de paralysies budgétaires» se succèdent, relève en outre G. Scott Hubbard, ancien responsable à la NASA.
Quoiqu’il en soit, l’agence américaine ne peut désormais plus revenir sur ce partenariat poussé avec le secteur privé.
Un précédent programme lunaire appelé Constellation, conçu dans les années 2000 sur un modèle ressemblant davantage à celui d’Apollo, avait été annulé pour cause de restrictions budgétaires — laissant aujourd’hui à l’agence spatiale peu d’alternatives à cette nouvelle stratégie.