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L’aérospatial en quête d’une croissance «durable»

Philippe Jean Poirier|Publié le 17 juillet 2024

L’aérospatial en quête d’une croissance «durable»

Sur papier, Montréal est déjà reconnue la «capitale mondiale de l’aviation civile». (Photo: JP Valery pour Unsplash)

Pendant que l’Europe ouvre la porte à des discours de «décroissance» — avec le mouvement antiaérien «flygskam» ou la proposition de l’ingénieur français Jean-Marc Jancovici de permettre un maximum de quatre vols à vie par habitant — l’industrie aérospatiale canadienne et québécoise fait plutôt le pari d’une croissance «durable», en s’alignant sur un objectif canadien de carboneutralité pour 2050.

«La transition écologique ne mène pas à une décroissance du secteur», nous a expliqué la PDG d’Aéro Montréal, Mélanie Lussier, en automne dernier. Elle pense plutôt que ça «force» le secteur à se décarboner et à «penser différemment». Selon elle, la ville du futur est bientôt à nos portes, avec «une flotte d’hélicoptères électriques se promenant du toit d’un building à un autre», à mesure que se déploiera la mobilité aérienne avancée. «Ce sont des choses qu’on imaginait quand on était jeunes», s’enthousiasme-t-elle.

Cette position s’aligne sur le discours de croissance tenu par Kurt Edwards, directeur général de l’International Business Aviation Council, lors d’une allocution devant le Conseil des relations internationales de Montréal, en octobre dernier. «L’industrie aéronautique a toujours été un leader durable, sans vraiment le savoir, a-t-il alors déclaré. Nos efforts constants pour bâtir des avions qui consomment toujours moins d’essence ont mené à des gains en efficacité de 40% en 40 ans». Selon lui, il est tout à fait possible d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050 en misant sur quatre leviers: concevoir des technologies de propulsion plus efficaces, optimiser les routes et les services de navigation aérienne, développer des carburants durables et, dans une moindre mesure, compenser les émissions.

Une Zone d’innovation pour consolider le secteur

Sur papier, Montréal est déjà reconnue la «capitale mondiale de l’aviation civile». Or, pour Fassi Kafyeke, responsable du dossier de ZI à Aéro Montréal, les succès du passé ne sont pas garants des succès du futur. «Nous avons un secteur aérospatial qui est bien implanté et qui est le plus grand exportateur industriel du Québec, a-t-il rappelé lors d’une entrevue menée l’année dernière. Ce qu’il faut se rendre compte, a-t-il toutefois ajouté, c’est que l’aérospatial est en train de changer radicalement.»

Le directeur principal des technologies stratégiques et de la conception avancée pour Aéro Montréal fait remarquer que les grands constructeurs ont commencé à délaisser le marché des avions «classiques» pour développer de nouvelles technologies pour réduire «radicalement» l’empreinte environnementale du transport aérien. «L’industrie québécoise doit s’assurer de maîtriser les nouvelles technologies d’électrification et de propulsions hybrides, à l’hydrogène et avec des carburants alternatifs. Pour rester dans la course, nous devons prendre ce virage technologique le plus vite possible.»

Fassi Kafyeke surveille aussi la mobilité avancée. «Ça va arriver très vite et c’est un marché qu’on ne peut pas ignorer. Il n’y a pas encore de joueurs dominants dans le monde. Donc, là aussi, nous devons nous préparer à être des joueurs significatifs dans ce domaine.» La création d’une Zone d’innovation en aérospatiale (Espace Aéro), en mai dernier, devrait par ailleurs permettre au Québec de se positionner sur les thèmes de la décarbonisation et la mobilité avancée.

S’ouvrir à la «disruption»

Pour Julien Mauroy, président de la firme de consultation ChangeCourse, l’industrie aérospatiale ne doit pas seulement innover avec de nouvelles technologies, mais aussi avec de nouveaux modèles d’affaires. «Les conditions prévisibles pour lesquelles les aéronefs et leurs infrastructures ont été conçus n’existent plus», a-t-il expliqué, lors de la conférence Les futurs de la mobilité aérienne, tenue en novembre 2023 à l’incubateur Centech de l’ÉTS. Le président de ChangeCourse fait deux prédictions: d’une part, les changements climatiques compliqueront les déplacements aériens, en raison de la hausse de la température et de modification des régimes de vents. Ensuite, l’industrie aéronautique ne peut plus tenir pour acquis le traitement «favorable» des gouvernements envers eux. «L’énergie renouvelable se présente en quantité limitée et l’aéronautique devra se battre avec d’autres secteurs pour avoir sa part», explique-t-il.

Suivant cette logique «disruptive», Julien Mauroy invite les leaders de l’industrie à réfléchir activement à des scénarios de stabilisation ou de décroissance du trafic aérien, afin d’en saisir les occasions. «Si on prend moins souvent l’avion, on voudra que ce soit une expérience unique, illustre-t-il. Au Québec, nous sommes forts dans l’expérientiel, dans le secteur du divertissement et du tourisme, c’est quelque qui pourrait être exploité dans le transport aérien.»

Julien Mauroy insiste sur les conséquences très concrètes que pourrait avoir un ralentissement de l’industrie aérospatiale. «Je travaille actuellement avec une PME qui fabrique des pièces pour un grand constructeur d’avions. Ce client réfléchit à l’éventualité de vendre moins de composantes; si ça produit, peut-il développer un service de maintenance?» illustre-t-il. L’idée est d’imaginer dès maintenant comment redéployer ses effectifs dans un secteur qui connaîtra de grands bouleversements dans les années à venir.

L’industrie aérospatiale au Québec, en quelques chiffres:  

– 37 200 emplois;

– 18 milliards de chiffre d’affaires annuel;

– 230 entreprises et plus;

– 80% de la production aérospatiale exportée hors du Canada (1er secteur d’exportation au Québec).

(Source: CAMAQ)