Pendant plus de deux heures, Dennis Muilenburg a été interrogé et critiqué souvent de façon virulente.
Le patron de Boeing (BA) n’a pas réussi à convaincre mardi que la sécurité, plutôt que l’argent, était la priorité du constructeur, au cours d’une audience tendue devant des sénateurs américains en colère et des familles des 346 personnes mortes dans les écrasements du 737 MAX, l’avion-vedette du constructeur.
Pendant plus de deux heures, Dennis Muilenburg a été interrogé et critiqué — souvent de façon virulente — par nombre d’élus, qui ont dénoncé l’attitude de Boeing dans cette affaire, un an jour pour jour après la tragédie de Lion Air, suivie en mars par l’écrasement d’Ethiopian Airlines.
Ses excuses aux familles, la voix cassée par l’émotion, n’ont pas suffi à susciter la clémence des sénateurs.
Droit comme un i, souvent tendu, M. Muilenburg a été pressé de questions précises sur les démarches qui ont mené à l’autorisation de vol du 737 MAX, le dernier né d’une prestigieuse lignée d’avions née à la fin des années soixante.
Particulièrement sur la sellette, les relations très étroites entre l’autorité de régulation qui a donné son feu vert (la FAA) et le constructeur aéronautique, mais aussi le manque de transparence entourant le système automatique MCAS, qui devait empêcher le MAX de piquer du nez et qui a été mis en cause dans les deux accidents.
« Boeing est venu à mon bureau quelque temps après les accidents et a déclaré qu’ils étaient dus aux erreurs des pilotes. En vérité ces pilotes n’ont jamais eu une chance. Leurs familles ne savaient pas qu’ils étaient dans des cercueils volants parce que Boeing avait décidé de dissimuler le MCAS aux pilotes », a fustigé le sénateur démocrate du Connecticut Richard Blumenthal.
Déstabilisé
« Nous ne pouvons pas nous permettre que la compétition dans (le secteur) des avions commerciaux tire les choses vers le bas dès qu’il est question de sécurité », a renchéri sa collègue Maria Cantwell.
« En dernier ressort, c’est vous le responsable », a enfoncé le sénateur républicain du Texas Ted Cruz.
Dennis Muilenburg est apparu déstabilisé par ces attaques venant des élus, alors qu’il dirige un géant de l’industrie américaine d’une importance cruciale dans le tissu économique du pays.
« Nous devons et nous allons faire mieux. Nous faisons des erreurs et il y a des choses que nous ne faisons pas bien », s’est défendu le patron.
Il a ensuite répété que la sécurité était la priorité de Boeing. Mais les parlementaires ont accusé le constructeur — sur la base de documents internes dévoilés avec retard — d’avoir accéléré le développement et la certification du MAX pour faire face à la concurrence d’Airbus, qui avait pris de l’avance sur ce créneau très lucratif.
Selon plusieurs élus, des pressions « extraordinaires » ont été exercées sur les ingénieurs de Boeing et sur la FAA qui, dans un souci d’efficacité selon elle, a confié au constructeur aéronautique la certification de certains systèmes clés du 737 MAX, dont le MCAS.
Les explications et les excuses de M. Muilenburg n’ont pas non plus convaincu les familles des victimes, présentes dans la salle, les portraits de leurs proches disparus à la main.
« Ce sont des larmes de crocodile », a fustigé Chris Moore, dont la fille, Danielle, est décédée dans l’accident d’Ethiopian Airlines. « Les choses ont été précipitées pour ce qui est de la certification du MAX. Boeing a poussé la FAA à aller vite parce qu’il était en compétition avec Airbus » et son A320neo lancé un an auparavant.
Pour sa femme Clariss, « le MAX ne devrait plus être autorisé à voler ».
Les Moore, qui vivent au Canada, racontent que leur vie s’est arrêtée le jour de la disparition de leur fille.
C’est également ce que confie Nadia Milleron, dont la fille est morte elle aussi dans l’écrasement d’Ethiopian. « Dennis Muilenburg doit démissionner. Tout le conseil d’administration doit démissionner », lance-t-elle.
Les spéculations se sont multipliées récemment sur l’avenir à la tête de Boeing de M. Muilenburg, après qu’il s’est vu retirer les fonctions de président du conseil d’administration. Sa performance devant les sénateurs mardi devrait continuer à alimenter ces rumeurs.
Kevin McAllister, le patron des avions commerciaux, a été limogé et est le seul cadre dirigeant à avoir été sanctionné depuis le début des déboires du MAX.
M. Muilenburg n’en a pas fini avec les élus. Il est attendu devant une commission de la Chambre des représentants mercredi à 10H00.
Ses auditions tombent au moment où l’avionneur cherche à regagner la confiance du grand public et à faire lever l’interdiction de vol du 737 MAX.
La crise de cet avion est une des plus graves dans les 103 ans d’histoire de Boeing. Elle lui a déjà coûté une dizaine de milliards de dollars, déclenché de multiples enquêtes des autorités américaines et une cascade de plaintes des familles de victimes.
L’incertitude plane toujours sur la date de remise en service du MAX, même si Boeing table sur la fin de l’année.