Les émissions moyennes de CO2 des nouvelles voitures devront être sous 95 grammes par kilomètre dès l'an prochain.
Les constructeurs automobiles se préparent dans la douleur à se plier dès l’an prochain à des normes d’émissions de CO2 drastiques en Europe, une avancée tardive, mais nécessaire face à l’urgence climatique qui met des emplois en danger.
95 grammes
« La principale menace pour l’industrie automobile n’est pas le Brexit ou de possibles droits de douane américains, ce sont les règlements de l’Union européenne pour limiter les émissions de CO2 », affirme Euler Hermes, dans une étude publiée vendredi.
Dès l’an prochain, les constructeurs devront afficher sur leur flotte de voitures neuves vendues en Europe des émissions moyennes de CO2 inférieures à 95 grammes par kilomètre.
« C’est un défi énorme », car cela va les contraindre à « réduire les émissions de CO2 de 20 % entre 2019 et 2020, alors qu’ils ont mis 10 ans pour les réduire de 25 % », estiment les experts d’Euler Hermes.
Chaque gramme en excès coûtera 95 euros multipliés par le nombre de voitures vendues dans l’UE. En février, Xavier Mosquet, spécialiste automobile du cabinet de conseil BCG, avait évoqué des amendes pouvant aller de 500 millions à 1 milliard d’euros par constructeur.
La pression ne se relâchera pas les années suivantes, puisqu’une réduction supplémentaire de 37,5 % des émissions de CO2 s’appliquera à l’horizon 2030 avec un objectif intermédiaire de -15 % en 2025.
Électrification à marche forcée
Sous la pression du lobby automobile allemand, le chiffre de 95 grammes sera en réalité ajusté en fonction de la masse des véhicules vendus. En clair, les fabricants de grosses voitures (notamment les marques haut de gamme) pourront émettre un peu plus. Ceux qui vendent beaucoup de citadines devront être encore plus vertueux.
Malgré tout, les constructeurs français Renault et PSA, les plus vertueux en Europe derrière Toyota, devraient avoir moins de difficultés à entrer dans les clous que les allemands BMW et Mercedes, d’après des experts.
En tout cas, pour tous, le sujet du CO2 « est la priorité numéro Un », estime Vittoria Ferraris, analyste pour S&P Global Ratings.
Pour franchir l’obstacle, leurs options sont limitées. Certains constructeurs vont retirer de leur gamme des motorisations, voire des modèles de voitures, trop peu performants, explique Laurent Petizon, expert automobile pour Alix Partners.
Mais ils vont surtout devoir lancer une multitude de nouveaux modèles hybrides (essence-électrique) ou 100 % électriques, souligne-t-il : « les constructeurs avaient investi 25 milliards d’euros dans l’électrification sur ces huit dernières années, ça va être dix fois plus, 250 milliards, dans les huit prochaines ».
Rentabilité en berne
Pour que l’industrie respecte les règles, il faut que les véhicules hybrides et électriques représentent une immatriculation sur quatre d’ici à 2021, calcule Euler Hermes. Cela signifie un triplement par rapport à aujourd’hui.
« Encore faut-il que les gens achètent ces véhicules », poursuit M. Petizon. Ces deux dernières années, la ruée sur les véhicules essence, conséquence du « dieselgate », et l’engouement pour les 4×4 urbains (VUS) a provoqué une hausse des émissions de CO2.
Les technologies « propres » vont augmenter le coût des véhicules d’environ 7 % d’ici à fin 2020 et de 15 % d’ici à 2025, estime Heuler Hermes.
Si les constructeurs ne répercutent pas ces coûts sur leurs prix, leurs marges vont s’effondrer, mais s’ils augmentent les tarifs des voitures neuves ce sont les volumes de ventes qui vont chuter. Dans tous les cas, « les profits vont baisser et les actionnaires des groupes automobiles vont perdre de l’argent », assure Ferdinand Dudenhöffer, directeur du Center automobile research.
Emplois menacés
Cette pression réglementaire tombe au pire moment pour les constructeurs, déjà confrontés aux conséquences des guerres commerciales du président américain Donald Trump, à la baisse du marché chinois et au début de retournement des marchés américain et européen.
En 2020, « l’exclusion du marché des voitures les moins performantes en CO2 va se traduire par des arrêts d’usines, tous les constructeurs européens y réfléchissent », avait mis en garde début mars au salon de Genève, le patron de PSA Carlos Tavares, épinglant « l’amateurisme » de décisions politiques qui prennent « le risque majeur d’amener toute l’industrie dans une impasse ».
Par ailleurs, le mouvement vers les voitures électriques va faire chuter l’activité des usines européennes de moteurs thermiques tout en dopant l’activité des batteries, exclusivement entre les mains des groupes asiatiques.
Euler Hermes prévoit pour 2020 une hausse de 2,6 % du prix des voitures, une baisse de 3,1 % du marché et estime que 60 000 emplois sont en danger.
Certains constructeurs fragiles ne franchiront pas la marche. Après le retrait d’Europe de General Motors, qui a vendu Opel à PSA en 2017, des analystes spéculent sur un retrait de Ford alors que Fiat Chrysler, qui n’a pas suffisamment investi, fait l’objet de rumeurs de rachats.