Seulement en décembre, la CNESST a émis pas moins de 18 dérogations dans un rapport remis au consortium RLF, formé de Pomerleau, Eurovia QC et Dodin QC, touchant principalement la ventilation du chantier. (Photo: ministère des Transports du Québec)
La CNESST est préoccupée pour la sécurité des travailleurs et du public dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Et elle en a informé à plusieurs reprises au cours des derniers mois le maître d’œuvre du chantier de la réfection de l’ouvrage, Renouveau-La Fontaine (RLF), a pu constater Les Affaires.
Seulement en décembre, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a émis pas moins de 18 dérogations, dans un rapport remis au consortium RLF, formé de Pomerleau, Eurovia QC et Dodin QC, touchant principalement la ventilation du chantier, ainsi que «la qualité» et la «la quantité» d’air dans celui-ci, notamment dans le tube Sud où se concentrent actuellement l’essentiel des travaux. Quelques-uns de ces manquements, observés au mois d’octobre, n’avaient toujours pas fait l’objet d’améliorations, notait la Commission.
«L’ensemble de la situation démontre que le maître d’œuvre n’utilise pas les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques de la ventilation du chantier pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur», conclut la CNESST dans ce rapport rédigé une semaine avant Noël.
«Malgré de nombreuses visites et conversations, poursuivent les inspecteurs de la Commission, le maître d’œuvre ne se mobilise pas afin de régler rapidement la situation. La gestion de la santé et de la sécurité est déficiente, ce qui peut affecter la sécurité des travailleurs et du public», répètent-ils, cette fois dans un document produit au début du mois de février.
En décembre, les inspecteurs notaient que dans le tube Nord, la circulation bidirectionnelle des véhicules avait une répercussion sur le sens de la circulation de l’air et que du brouillard se créait, «ce qui n’était pas le cas avant le début du chantier». Le maître d’œuvre du projet avait alors «réitéré qu’il n’avait pas de plan de ventilation pour le tube réservé à la circulation». À ce moment, il avait également affirmé à la CNESST que les tours de ventilation originales du tunnel étaient fermées.
En février, le consortium dit cette fois le contraire, affirmant que ces mêmes tours n’avaient jamais été fermées, et qu’aucune modification n’avait «été faite sur le système de ventilation existant». Le représentant de RLF dit alors que le système de ventilation «existant demeurait adéquat et efficace», écrit la CNESST.
Depuis cette visite de la Commission, plusieurs sources ont confirmé à Les Affaires que le directeur de la santé et de la sécurité de Renouveau La Fontaine, ainsi qu’au moins une autre personne affectée à la santé et la sécurité des travailleurs et du public dans l’ouvrage, avaient quitté leurs fonctions.
Des demandes formulées au ministère des Transports du Québec depuis plusieurs jours, afin de connaître les circonstances exactes de ces départs, ainsi que pour obtenir des explications à propos des conclusions de la CNESST sur la santé des travailleurs et du public, sont restées lettre morte au moment d’écrire ces lignes.
Grand taux de roulement
Rappelons qu’au mois d’août dernier, le méga-chantier avait été interrompu pendant près de deux semaines en raison de moisissures dans le corridor central de service, situé entre les deux tubes. La CNESST avait été saisie du dossier après que des travailleurs eurent refusé d’y poursuivre leurs activités. À la demande de la CNESST, la Direction régionale de santé publique de Montréal est d’ailleurs impliquée dans le dossier depuis cet épisode.
En décembre, la CNESST indiquait dans ses rapports que malgré des dérogations émises en octobre et en novembre, «aucun plan de ventilation n’a encore été établi pour le corridor central». Elle constate également «que des enceintes avec portes-rideaux sont toujours installées à différents endroits du corridor» et «qu’aucun début d’air n’est ressenti à l’intérieur de ces zones». Un plan a finalement été soumis en février.
«Plusieurs de nos travailleurs nous demandent de ne pas aller sur ce chantier. Et dès qu’il y a une occasion, ils vont sur un autre chantier. Certains l’appellent le tunnel de l’enfer», dit Evan Picotte, responsable en prévention et sécurité du travail au Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International).
«Oui, il y a un certain changement qui s’est fait, mais il arrive à force de répétitions, à force de plaintes et d’acharnement», poursuit-il, ajoutant qu’à la fin de l’été, le roulement de personnel sur le chantier était d’environ 30%
Un taux de roulement est également observé à la FTQ Construction, qui dénonce les conditions de travail sur le chantier. «À partir du moment où les travailleurs ont signifié qu’il y avait des problèmes au niveau de la ventilation, que certains souffraient, manquaient d’endurance ou avaient des maux de tête, ç’a pris du temps avant qu’on améliore la situation. Pour moi, ce n’est pas normal. Ça, c’est une mauvaise organisation du travail et une mauvaise planification des travaux», dit de son côté Simon Lévesque, responsable santé et sécurité pour le syndicat.
«Si l’organisation des travaux n’est pas bonne, la productivité ne sera jamais bonne et les travailleurs seront toujours à risque», poursuit-il.
«Nous pouvons féliciter les représentants en santé et sécurité (RSS) sur place et les acteurs syndicaux qui ont mis en lumière les dangers afin qu’une prise en charge survienne de la part de RLF», dit pour sa part Félix Ferland, responsable santé et sécurité à la CSN Construction. Ce dernier affirme qu’une «nette amélioration» a été constatée dernièrement.
Des «documents vierges»
Tant pour les tubes Sud et Nord que pour le corridor central de service, la CNESST a également demandé l’automne dernier à RLF de tenir un registre pour la compilation des résultats «de la qualité de l’air, de la quantité de l’air et du sens de l’air».
À leur retour sur le chantier cet hiver, les inspecteurs de la Commission ont constaté que ce registre avait été élaboré, comme demandé. Cependant, rappellent-ils au maître d’œuvre du chantier, le registre «doit être complété» et que «celui soumis ne comporte aucune donnée et il s’agit d’un document vierge».
Toujours en février, la CNESST constate l’absence d’un plan de contrôle «des flux d’équipements effectués au niveau du tube Sud». Cela, ajoute la Commission, «peut occasionner l’augmentation de la concentration de monoxyde de carbone dans l’air et occasionner des risques d’intoxication».
«Ce qu’on veut, c’est le résultat. On se fout un peu de ce qui va arriver aux travailleurs, se désole Evan Picotte. Le défi principal, maintenant, est la mise en application des procédures et des plans qu’ils [le consortium] ont mis en place. Quand nous allons transférer dans l’autre tube, on verra s’ils ont appris de ce qui s’est passé dans le tube Sud.»
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