Ottawa choisira les avions de Boeing, sans appel d’offres
La Presse Canadienne|Publié le 29 novembre 2023(Photo: La Presse Canadienne/Justin Tang)
Le gouvernement fédéral annoncera bientôt qu’il a choisi de s’approvisionner auprès de Boeing pour moderniser sa flotte d’avions CP-140 Aurora de l’Aviation royale canadienne, et ce, sans processus d’appel d’offres.
Une source gouvernementale bien au fait du dossier a confirmé mercredi ces informations auprès de La Presse Canadienne. Elle s’exprimait sous le couvert de l’anonymat puisqu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement de ces questions.
Une deuxième source gouvernementale a précisé que plusieurs milliards de dollars étaient en jeu dans cette entente.
L’entreprise québécoise Bombardier espérait décrocher ce contrat d’approvisionnement militaire, sans succès.
La source qui a confirmé que le choix final s’est arrêté sur le constructeur américain Boeing a parlé d’une «décision politique difficile», mais d’une «bonne décision sur le plan de l’approvisionnement».
On a aussi soutenu que d’attendre la conclusion d’un processus d’appel d’offres pour ficeler l’entente d’approvisionnement aurait engendré des délais supplémentaires. Selon cette source, cela aurait pu faire manquer à Ottawa une fenêtre d’opportunités d’avancer sur le dossier de la flotte vieillissante de l’Aviation royale canadienne.
«On a étudié ce que Bombardier proposait», a affirmé cette source, qui a ajouté que «de gros points d’interrogation» demeuraient dans le scénario où ce joueur de l’aéronautique établi à Montréal aurait été privilégié.
Au fil des évaluations qui ont été faites, notamment par le biais de la Défense nationale, un «scepticisme» ressortait quant à la «faisabilité» de la proposition de Bombardier, a-t-on résumé, mentionnant les contraintes de temps imparti et de budget.
La deuxième source fédérale a souligné qu’un des facteurs clés de la décision était de démontrer que les avions peuvent être obtenus à un prix concurrentiel. Cette personne a suggéré, en coulisses, que le fait que des alliés du Canada aient déjà opté pour un modèle d’avion éprouvé pouvait être vu comme une preuve de faisabilité dudit aéronef.
Officiellement, les élus libéraux étaient moins loquaces au sujet de la décision de leur gouvernement. Le premier ministre, Justin Trudeau, n’a pas voulu confirmer la nouvelle. «Les ministres vont partager des informations à des moments appropriés», a-t-il répondu aux journalistes agglutinés en mêlée de presse.
Le chef du Bloc Québécois, Yves-François Blanchet, a qualifié la décision d’écarter un appel d’offres «d’inacceptable». «Le Québec, qui est le haut lieu de l’aérospatiale et de l’aéronautique au Canada, va être profondément fâché contre le gouvernement libéral qui méprise nos expertises locales et nationales au bénéfice d’un lobby américain.»
Le sénateur conservateur Pierre-Hugues Boisvenu juge que le fédéral aurait dû favoriser une entreprise canadienne. «Moi, je pense qu’il faudrait que les retombées économiques soient d’abord au Canada, aussi bien pour l’avionnerie que les navires.»
«On construit nos navires au Canada, a-t-il ajouté. Ce n’est pas des étrangers qui les construisent. Je pense qu’il faudrait avoir une approche similaire pour l’avionnerie pour garder l’expertise chez nous. »
Le plaidoyer de Bombardier
Le grand patron de Bombardier, Éric Martel, demande depuis des mois sur toutes les tribunes que le fédéral fasse un appel d’offres pour le remplacement des CP-140 Aurora.
L’entreprise montréalaise a toujours maintenu que son appareil répondait au besoin de l’Aviation royale canadienne et qu’un processus d’appel d’offres permettrait de le démontrer.
Le secteur de la défense est identifié comme une avenue de croissance à long terme pour Bombardier.
Éric Martel a déclaré au Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes, cette semaine, que le processus d’approvisionnement était «profondément défectueux et manquait de transparence».
Bombardier n’a pas souhaité réagir tant que la décision d’Ottawa n’a pas été annoncée de manière officielle.
Les premiers ministres du Québec et de l’Ontario ont, eux aussi, demandé conjointement au fédéral de lancer un appel d’offres.
La position de Bombardier et du gouvernement Legault ne fait toutefois pas l’unanimité dans l’industrie québécoise tandis que Boeing est un donneur d’ordre important pour de nombreux fournisseurs du pays.
L’un deux, le président et chef de la direction d’Héroux-Devtek, Martin Brassard, avait dit à La Presse Canadienne qu’il craignait que le dossier du remplacement des CP-140 Aurora traîne en longueur, lors d’une entrevue en novembre.
L’homme d’affaires estime que le ministère de la Défense nationale a l’expertise nécessaire pour juger si cela est nécessaire ou non. «Ils ont pris une décision. Ils ont sûrement analysé les besoins, les requis. Nous, notre « job », ce n’est pas de leur dire de quoi ils ont besoin.»