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Ports engorgés: des effets sur les expéditeurs et consommateurs

La Presse Canadienne|Publié le 22 août 2022

Ports engorgés: des effets sur les expéditeurs et consommateurs

Une grave pénurie de camionneurs marque une autre entrave dans la chaîne. (Photo: La Presse Canadienne)

Bob Ballantyne a cassé un cordon sur ses stores au début du mois de juillet et son réparateur à Ottawa n’a toujours pas été en mesure de remplacer la partie cassée. Il lui a dit qu’avec les problèmes de chaîne d’approvisionnement, il ne peut pas obtenir la pièce dont il a besoin.

Bob Ballantyne n’est pas seul. La pandémie a envoyé des ondes de choc dans la chaîne d’approvisionnement mondiale et les arriérés s’accumulent alors que les volumes de fret diminuent en Amérique du Nord cette année.

Les retards proviennent de plusieurs points d’étranglement le long de la chaîne, notamment des entrepôts saturés, des pénuries de personnel et la capacité ferroviaire. En fin de compte, les temps d’attente plus longs et les coûts supplémentaires sont répercutés sur les consommateurs.

Au premier semestre de 2022, les volumes de conteneurs au port de Vancouver ont chuté de 7% par rapport à la même période un an plus tôt. Cependant, les conteneurs sont restés sur ses quais pendant près de six jours en moyenne, soit presque deux fois plus longtemps qu’en 2019 et une augmentation de 41% par rapport à 2021.

Ce «temps de séjour» a augmenté en juillet à plus de six jours et demi. Pendant ce temps, les cargos sont restés au mouillage pendant 9,6 jours en moyenne avant d’accoster dans le plus grand port du pays en raison des accumulations du mois dernier. Ce temps d’attente est deux fois plus long que l’année dernière.

«C’est comme des briques Lego, souligne Robert Lewis-Manning, président de la Chamber of Shipping of British Columbia. Ils sont entassés et il n’y a plus de place pour les mettre.»

À Montréal, le deuxième plus grand port du Canada, les conteneurs attendent quatre fois plus longtemps que la moyenne de 2019 et la rotation des navires est également bien supérieure au niveau de 2019 et à celui d’il y a un an.

Le manque d’espace d’entreposage dans les centres de distribution en périphérie de Toronto, Montréal et Vancouver est une des raisons de cet engorgement.

«Les entrepôts de l’Ontario et du Québec sont en grande partie pleins, ajoute Robert Lewis-Manning. Le problème, c’est qu’il y a quelque chose derrière qui ne peut pas aller là où il doit aller. Et c’est peut-être une partie essentielle d’une opération de fabrication. En fin de compte, le consommateur en paiera le prix.»

Les frais de stockage, les pénalités de prolongation de contrat et les frais de «surestaries», émis par une compagnie maritime lorsque le fret dépasse le temps imparti à un terminal, finissent par apparaître dans le prix de détail, en plus des taux de fret plus élevés et des heures supplémentaires des travailleurs.

Des importateurs qui «surcorrigent»

Ironiquement, les retards provoqués par des entrepôts pleins sont en partie le résultat de la réponse des importateurs aux précédentes perturbations de la chaîne d’approvisionnement.

«Lorsque les gens anticipent une pénurie ou une contrainte de capacité, ils surcorrigent. Et cela amplifie en fait le défi», affirme Peter Xotta, chef des opérations à l’Autorité portuaire de Vancouver Fraser, citant ce qu’il a appelé un «effet coup de fouet».

«Si les marchandises arrivent deux mois plus tard que prévu, il se peut que vous manquiez cette fenêtre pour les barbecues, parasols et meubles de jardin que vous cherchiez en juin», souligne le vice-président à la performance portuaire et au développement durable du Port de Montréal, Daniel Dagenais.

Une fois la fenêtre de vente terminée pour ces produits saisonniers, ils doivent soit être stockés physiquement jusqu’à l’année suivante, soit faire l’objet de fortes remises.

Canadian Tire a affirmé plus tôt ce mois-ci que ses niveaux de marchandises avaient augmenté de 18% par rapport à l’année précédente, ce qui signifie qu’elle a moins de flexibilité pour stocker des articles hors saison.

Les expéditeurs et les exploitants de transporteurs maritimes considèrent le chemin de fer comme un goulot d’étranglement critique.

Les volumes de céréales ont diminué l’an dernier en raison d’une sécheresse, mais les compagnies ferroviaires «avaient encore des problèmes», indique John Corey, président de la Freight Management Association of Canada.

Le rendement en grains, souvent la principale source de revenus des produits de base pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP), devrait revenir à la moyenne historique cette année, ce qui soulève des questions sur les autres expéditions qui pourraient être mises de côté pour faire face à la plus grande récolte.

«La quantité de capacité ferroviaire qu’il y a avec diverses lignes ferroviaires, c’est vraiment ce qui a un impact important», ajoute Peter Xotta.

Les intervenants, des exportateurs de blé et de canola aux producteurs de bois d’œuvre, sont inquiets, car la demande en céréales, en potasse et en charbon canadiens augmente en raison des pénuries causées par l’invasion russe de l’Ukraine.

«Toutes ces importations asiatiques qui arrivent par conteneurs et les exportations en grande partie en vrac qui se dirigent vers l’Asie sont toutes en concurrence pour ce même service ferroviaire», complète Robert Lewis-Manning.

«Je pense que nous allons voir un vrai gâchis sur la côte ouest», ajoute-t-il.

Pénurie de camionneurs

Une grave pénurie de camionneurs marque une autre entrave dans la chaîne. Le secteur a enregistré des postes vacants record au premier trimestre, avec 25 560 postes de chauffeur non pourvus entre janvier et mars, selon Trucking HR Canada.

De plus, les retombées des ports américains fortement en retard comme Los Angeles et Long Beach à proximité ajoutent encore à la congestion portuaire, tandis que les pénuries de main-d’œuvre dans les entrepôts engorgent également le flux de marchandises.

«Vous arrivez à un point où une goutte de plus et vous commencez à déborder. Et nous avons commencé à déborder», déplore le président de la Fédération maritime du Canada, Chris Hall.

Les deux principales lignes ferroviaires du Canada ont investi de l’argent dans la mise à niveau du réseau et de nouveaux wagons tout en s’efforçant d’embaucher des travailleurs après avoir licencié des milliers de personnes au cours de la première année de la pandémie.

Le CN et le CP espèrent embaucher plus de 3800 travailleurs cette année, dont quelque 1850 sont déjà à bord depuis le 31 décembre. Le marché du travail, en particulier pour les chefs de train et les ingénieurs, reste néanmoins plus serré qu’il ne l’a été depuis des décennies et cela prend jusqu’à neuf mois pour former quelques équipages.

Le porte-parole du CN, Jonathan Abecassis, précise que le chemin de fer avait mis en place une capacité de stockage temporaire à Montréal et à Toronto, comme l’avait fait le port de Vancouver en février. Le président et chef de la direction de CP, Keith Creel, a assuré aux analystes lors d’un appel le mois dernier que l’entreprise était flexible: «Nous avons la capacité. Nous ne retenons aucun fret dans les ports de la côte ouest ou de la côte est pour entrer dans nos terminaux intérieurs.»

C’est une piètre consolation pour Bob Ballantyne, qui attend toujours la réparation de ses stores. Aux dernières nouvelles, le composant pourrait être remplacé d’ici le mois prochain, mais il n’y a aucune garantie.