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Daniel Lafrenière

De kessé l'expérience client

Daniel Lafrenière

Expert(e) invité(e)

Comment rater le lancement de son application mobile

Daniel Lafrenière|Publié le 24 février 2022

Comment rater le lancement de son application mobile

Décortiquons le lancement de l'application ratée de la Société nationale des chemins de fer français... (Photo: Getty Images)

BLOGUE INVITÉ. Je parle rarement de ce qui se passe du côté de l’Hexagone. Cela dit, le fiasco entourant la refonte de l’application SNCF Connect mérite notre attention, question d’en tirer des leçons qui éviteront bien des tracas pour les clients et les entreprises.

La Société nationale des chemins de fer français (SNCF) a déployé récemment une nouvelle version de son application SNCF Connect, permettant d’organiser et de réserver tous ses déplacements, en train, en autobus et en métro. Elle permet aussi d’obtenir de l’information en temps réel sur les départs, de recevoir des notifications, etc.

Cela dit, la publication de cette nouvelle mouture fut pour le moins difficile. Criblée de bogues et critiquée de toute part, l’application SNCF devrait faire l’objet d’une étude de cas obligatoire pour les futurs informaticiens, spécialistes de l’expérience utilisateur/client et conseillers en marketing. Explications.

 

150 bogues, mais tout va bien (!)

J’ai entendu parler des déboires de cette application sur le journal télévisé de France 2. Vous n’avez qu’à effectuer une recherche sur le web pour en constater la couverture. Ce qui m’a frappé le plus, c’est la réponse du PDG de SNCF Voyageurs qui refuse de parler d’échec en disant dans les pages du quotidien Le Parisien: «Nous avons vendu 10 millions de billets en trois semaines, nous avons 2,5 millions de visiteurs quotidiens et l’application a été téléchargée 800 000 fois!» Ce n’est pas parce que des milliers de gens ont téléchargé une application que tout va bien.

Dans ce même texte, le PDG affirme que les 150 bogues — 150, vraiment?! — seront réglés d’ici la fin mars. Parlant de bogues, les clients évoquent notamment l’obligation de prendre le billet à la borne automatique parce qu’il ne s’affiche pas toujours sur l’application ou le portefeuille du téléphone intelligent, l’annulation d’une transaction causée par une erreur technique et l’absence de confirmation d’achat. L’application propose parfois un trajet de neuf heures incluant des correspondances d’autobus pour un train direct qui dure moins de 30 minutes, cite-t-on dans un texte publié dans Le Parisien datant du 3 février 2022.

Il semble y avoir un problème concernant les prix qui varient selon la langue choisie par le client, relate ce texte de la chaîne BFM Business. Par exemple, pour un même trajet de train, vous payerez 34 euros si vous êtes Français et 122 euros si vous êtes Belge. Intrigant n’est-ce pas? Après investigation, il semblerait que cette anomalie soit causée par des tarifs promotionnels en France qui ne s’appliquent pas à l’étranger, en plus d’une absence de géolopositionnement de l’appareil du client. Autre problème inquiétant: le code QR généré sur le billet électronique ne serait pas toujours lisible par le lecteur des contrôleurs.

 

Perte de réputation, de marché et d’argent

Tous ces problèmes, toutes ces difficultés d’utilisation et ces incohérences ne sont pas sans conséquences et ont bien entendu été relayés sur les médias sociaux.

Selon cet autre texte du journal économique et financier La Tribune: «Le problème de ce fiasco n’est pas seulement la grogne des utilisateurs, ni même la détérioration de l’image de marque: le risque que court l’entreprise ferroviaire française, c’est aussi celui d’une perte majeure de parts de marché pour son application.»

Déçus de la nouvelle mouture de l’application, certains clients se sont dirigés vers un concurrent, Trainline, qui propose tous les trains, et les bus qui circulent en France. Selon un texte paru sur le site de la station de radio Europe 1, les ventes sur la plateforme Trainline ont augmenté de 50 % la semaine suivant le lancement de SNCF Connect. Il en est de même pour l’application Kombo qui a aussi profité de la déconfiture de la société nationale.

Pour compenser les problèmes techniques de son application, la direction de la SNCF a embauché 30% d’effectifs supplémentaires pour répondre aux requêtes des clients insatisfaits. Quel est le coût d’une telle mesure compensatoire?

 

Quelques leçons à retenir

Nous ne sommes pas à l’abri d’un tel ratage informatique. Il suffit d’avoir lu les journaux ces dernières années pour le constater. Mais que faut-il faire pour prévenir une telle situation? C’est relativement simple, il suffit de:

1. Effectuer un minimum de recherche pour bien comprendre les attentes et les besoins des utilisateurs.

2. Concevoir un prototype, papier ou électronique, et le mettre à l’épreuve avec de vrais utilisateurs pour s’assurer de l’adéquation à la tâche, de la facilité de navigation et de la compréhension du vocabulaire utilisé. Pour la SNCF, à moins que cela n’ait été fait, il aurait été très facile de tester une maquette de l’application avec de vrais clients sur les quais avant l’embarquement moyennant rétribution (p. ex. une gratuité à bord, un rabais supplémentaire sur un billet).

3. Laisser suffisamment de temps aux équipes TI pour programmer et tester convenablement l’application. Aurait-on négligé l’assurance qualité en omettant de faire subir à l’application une batterie de tests unitaires, fonctionnels et intégrés? Les tests, doit-on le rappeler, sont essentiels, d’autant plus lorsque des centaines de milliers, voire des millions de personnes utiliseront l’application au quotidien.

4. Mesurer. Le nombre de transactions débutées, le nombre de transactions terminées et les problèmes techniques devraient être compilés quotidiennement pour appliquer rapidement les correctifs qui s’imposent.

Vite, vite, ça presse! Cela semble être la nouvelle devise du monde numérique. On développe de plus en plus rapidement, et parfois, pour ne pas dire souvent, au détriment de la qualité du produit, ce qui induit des bogues, complique la vie de l’utilisateur, crée de l’insatisfaction et engendre des coûts supplémentaires pour l’entreprise (comme devoir embaucher plus de monde au service à la clientèle pour compenser).

En matière de développement, n’oublions pas cette maxime issue du monde de la construction: «Mesurer deux fois, couper une fois!» … parce que reprendre coûte cher, très cher!