La transformation numérique du système de santé: ça presse!
Daniel Lafrenière|Publié le 27 janvier 2022Pour cerner la bonne solution, il faut marcher des kilomètres dans les souliers du personnel de la santé. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Je le savais, je l’avais constaté lors de visites de proches dans les centres hospitaliers. Quand j’ai vu les dossiers papier, les infirmières consigner des notes manuscrites sur des feuilles retenues par une planchette à pince, je me suis dit que la transformation numérique n’avait pas encore réussi à percer le monde de la santé, du moins au public.
Cela m’a encore plus frappé lorsque j’ai lu dans La Presse les phrases suivantes parlant du vécu des infirmières françaises recrutées à l’étranger pour travailler au Québec: «Tous (les infirmiers) sans exception pestent contre le retard dans l’informatisation des dossiers qui leur font perdre « certainement une heure et demie de soins auprès des patients »… Très au fait de son retard informatique, le gouvernement Legault vient d’annoncer l’embauche de 3000 agents administratifs pour prêter main-forte aux infirmières.»
Au sujet de cette embauche, selon un autre texte de La Presse: «La présidente par intérim de la FIQ, Nathalie Lévesque, qualifie le projet de « très ambitieux », au point de ne pas être certaine du tout qu’il pourra devenir réalité. Sur le fond, elle confirme que la gestion des tâches administratives alourdit la tâche des infirmières et qu’un coup de main à ce chapitre sera bienvenu. Elle estime que jusqu’à environ 30% du temps de travail des infirmières peut devoir être consacré à diverses tâches de bureau, comme le fait de remplir des formulaires, soit « une perte de temps considérable »».
Vous avez bien lu, 90 minutes (je présume par jour par infirmière) en perte de soins à cause du retard numérique. Vous avez bien lu, jusqu’à environ 30% du temps de travail consacré à remplir de la paperasse. Imaginez si l’on pouvait utiliser ce temps pour soigner des patients. 30%, ce n’est pas rien !
Cette situation est un autre exemple des conséquences d’une expérience employé diminuée par des outils désuets pour accomplir une tâche ayant bien entendu des répercussions sur le client, c’est-à-dire le patient.
Le système de santé craque de partout et la solution est d’embaucher 3000 agents pour compenser ? Je comprends la position du gouvernement, mais cette solution est ce qu’il convient d’appeler un «cataplasme sur une jambe de bois». Elle ne saurait être permanente.
Cela dit, le ministère de la Santé a annoncé en février 2021 un nouveau chantier monstre pour pallier à la situation après «2 G$ et 20 ans d’échec», lit-on dans un article du Journal de Québec datant du 1er février 2021.
Il faut transformer numériquement le système de la santé en considérant la réalité et le contexte de tous les acteurs, et ça presse !
Il faudrait peut-être cesser d’entreprendre ces projets dans une perspective purement technologique. La transformation numérique, dois-je le rappeler, est l’utilisation de la technologie pour améliorer l’expérience client (patient), l’expérience employé et l’efficacité opérationnelle. Ce n’est pas le choix d’une solution numérique qu’on impose à des employés.
Pour concevoir la bonne solution, il faudrait peut-être que ces projets cessent d’être pilotés par des directions de systèmes informatiques. Avant même de travailler sur une solution, il faut comprendre le problème. Et pour bien comprendre le problème, il faut poser les bonnes questions aux bonnes personnes au bon endroit, c’est-à-dire dans leur milieu de travail.
Il faut aller sur le terrain, marcher des kilomètres dans les souliers du personnel de la santé pour comprendre leur réalité au quotidien au lieu d’imaginer ou de choisir une solution dans des cubicules ou lors de rencontres virtuelles. Il faut comprendre qui produit l’information médicale, qui la consomme et à quelles fins (p. ex., communiquer, attirer l’attention, inscrire un geste, collaborer, diagnostiquer, évaluer, suivre l’évolution d’une situation). Il faut comprendre l’écosystème complexe du système de la santé dans sa totalité, et non plus avec une vision en silos. Il faut comprendre pour trouver des solutions à valeur ajoutée, pas seulement des logiciels qui viennent mécaniser des processus.
J’espère que les personnes concernées par cet immense projet ont pensé à engager des spécialistes en expérience utilisateur (UX) et en expérience client (CX) pour effectuer cette recherche sur le terrain, pour guider la conception et s’assurer que cette fois sera la bonne, que l’on implantera une solution qui viendra résoudre les vrais problèmes identifiés (sans en rajouter) et réellement soutenir la tâche du personnel de soins. Il est inimaginable, voire inacceptable qu’en 2022, 30 % du temps des infirmières soit consacré à des tâches administratives alors qu’on est en pleine pénurie de main-d’oeuvre et que notre système craque de partout. D’autant plus que les approches de recherche et de conception centrées sur l’utilisateur sont connues, qu’elles sont enseignées dans les universités et pratiquées depuis des décennies. Faudrait peut-être le rappeler à certains décideurs…
Comment faire un tabac en ligne quand on a peu de moyens? Le confinement et les restrictions sanitaires ont contraint nombre de PME à développer leur présence virtuelle in extremis. Entre services offerts par vidéoconférence et achats en ligne, toutes ne sont pas égales dans cette transformation numérique.