Le président de Chocolats Favoris, Dominique Brown. (Photo: courtoisie)
Les occasions d’acquérir des PME bien établies ne cesseront de se multiplier au Québec dans les prochaines années, il est donc urgent de sensibiliser les générations montantes au fait que «reprendre, c’est aussi entreprendre». C’est du moins l’avis des spécialistes qui ont pris la parole à Expo Entrepreneurs dans le cadre de l’évènement virtuel «Transfert et repreneuriat, quelle est la suite?» diffusé sur Facebook le 17 mars.
«Après deux décennies d’entrepreneuriat, on s’en va vers une décennie du repreneuriat, car les chefs de PME vieillissent», a déclaré d’entrée de jeu Vincent Lecorne, PDG du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ). Il a ajouté qu’«à la suite de la crise que l’on vient de vivre, il y aura plein d’entreprises à reprendre dans le commerce de détail, l’hébergement et le secteur manufacturier, entre autres».
Toutefois, l’écosystème économique québécois devra se mobiliser pour attirer davantage de repreneurs potentiels. «Il faut dire aux jeunes entrepreneurs que de partir en affaires c’est bien, mais de reprendre une entreprise, des fois, ça peut être mieux ; on peut aller beaucoup plus loin beaucoup plus vite», a fait valoir celui qui est également co-auteur du livre Génération repreneurs — Pérenniser le Québec inc. (CTEQ, 2020).
Pour illustrer ce propos, Expo Entrepreneurs avait invité l’entrepreneur en jeu vidéo Dominique Brown à revenir sur sa reprise de la Chocolaterie de l’Île d’Orléans puis des trois premières succursales de Chocolats Favoris. «Au départ, c’était des investissements que je voyais comme un beau petit projet satellite, mais quand j’ai quitté Activision [maison mère de Beenox] en 2012, je me suis retrouvé avec une clause de non-compétition d’un an, a-t-il raconté. Je me suis donc donné comme défi d’amener Chocolats Favoris ailleurs durant cette période.»
Tout le monde connaît la suite: la bannière de Québec possède aujourd’hui 42 000 pieds carrés d’espace de production, 53 chocolateries dans trois provinces canadiennes, emploie 1500 personnes et distribue des produits en épicerie. Et tout ça même si Dominique Brown a avoué qu’«au début, c’était choquant à quel point [il] ne connaissais rien au chocolat!»
D’où l’importance «de s’entourer des meilleurs dans toutes les disciplines et de ne pas penser devoir tout maîtriser — sauf tes finances», a souligné l’homme d’affaires. Et ce, dès les balbutiements du projet de reprise, a précisé Richard Quinn, directeur principal de transfert d’entreprise au Mouvement Desjardins. «Avant de penser aller chercher du financement, entourez-vous d’une équipe et faites une réflexion stratégique.»
Cela rejoint le conseil cardinal que donne Jessica Grenier, spécialiste du repreneuriat familial et présidente fondatrice de l’agence ORIA, aux futurs repreneurs: «Allez chercher des gens pour vous accompagner dans vos démarches, et assurez-vous qu’ils soient formés dans le type de repreneuriat que vous visez.»
La co-autrice de Génération repreneurs a effectivement insisté sur les nombreuses différences entre une reprise familiale, une réalisée en interne et une faite par une personne ou un groupe d’acquéreurs externes. «Une reprise familiale, c’est plus complexe parce que profondément humaine et relationnelle, mais, comme une reprise en interne, elle permet un temps d’appropriation plus long qu’une reprise externe», a-t-elle expliqué.
Ce n’est pas comme acheter une maison, sauf que…
Les parallèles entre le repreneuriat et un autre secteur en ébullition, le marché immobilier, ont été nombreux au cours de la discussion.
«Dans le milieu des achats et ventes d’entreprises, ça ne marche pas comme quand tu achètes une maison: il n’y a pas de pancarte “À vendre” devant l’entreprise… Ou quand il y en a une, ce n’est pas un bon signe!», a entre autres fait remarquer Dominique Brown.
C’est que, tout comme en immobilier, même si des offres sont publiées — dans l’Index de la CTEQ, par exemple —, un vaste marché caché existe. «Pour y avoir accès, il faut manifester son intérêt pour une reprise dans son cercle d’affaires élargi, a conseillé Vincent Lecorne. Il y a aussi de plus en plus courtiers en entreprises spécialisées dans ce genre de transactions.»
Le propriétaire de Chocolats Favoris a également imagé les débuts de sa reprise avec une métaphore immobilière: «Tu arrives dans la maison de quelqu’un d’autre, et ça crée des défis importants au début, parce qu’elle n’est pas à ton image dès le jour un, ce qui est le cas quand tu fondes une entreprise.» Ces défis concernent à la fois la philosophie d’affaires, la culture d’entreprise, les rythmes de travail et de croissance ou encore l’approche de l’innovation.
Dans tous les cas, Jessica Grenier a rappelé que des offres d’accompagnement personnalisé émergent actuellement. «Il y a de très beaux créneaux à développer pour la phase qui suit l’acquisition; les trois premières années après la transaction sont cruciales pour le repreneur.»
«L’écosystème du repreneuriat compte des acteurs qui pourront faire de l’accompagnement post-reprise, mais c’est encore à développer, a renchéri Vincent Lecorne. Même chose pour la sensibilisation, la formation… Il reste encore beaucoup de chemin à faire pour établir une véritable culture repreneuriale au Québec.»