Aux risques et à l’improvisation, opposez un devoir de précaution
Le courrier des lecteurs|Publié le 01 mars 2024(Photo: 123RF)
Un texte de Michel Pagé, Montérégie
COURRIER DES LECTEURS. Un texte publiée dans Le Devoir en date du 19 février 2024 (Les sols contaminés du site de Northvolt posent-ils un risque pour la rivière Richelieu?; Le Richelieu sera-t-il menacé par les travaux?) me rappelle une synthèse que j’avais laissée en plan au début du mois de novembre précédent, la rivière Richelieu, des écosystèmes et l’environnement aquatiques seraient à risques, et globalement tout un axe de la région par les développements subséquents.
Selon l’entreprise Northvolt même, on excèderait un déclencheur environnemental de concentrations de matériaux par le recyclage des batteries, et on devra accéder à un port d’exportation. Ces éléments auront passé sous le radar des opposants locaux au projet, lesquels auront porté leur attention immédiate à la biodiversité du site et à faire valoir l’exigence normale de mener une évaluation par le BAPE.
En fait, tout du dossier requérait une évaluation financière, économique, une gestion rigoureuse et prudente des avoirs publics, le respect de règles démocratiques, le respect de la lettre et de l’esprit des lois, ici environnementales, par les gouvernements mêmes.
Pour aller plus vite, en précipitation, le gouvernement aura ignoré des mises en garde de ses propres experts, aura renié les raisons environnementales données pour rejeter un projet immobilier beaucoup moins draconien, se sera livré à de la désinformation, aura modifié les règles d’évaluation environnementale stratégique normale, aura manipulé des avis scientifiques, réduit l’accès à l’information…
Sur la base d’un ensemble de révélations journalistiques, un rappel de normes d’Éthique politique deviendrait essentiel, et il y aurait lieu de mener des enquêtes par la Commissaire à l’Éthique et la Vérificatrice générale du Québec.
Tout ce contexte nébuleux indique l’urgence de mener une évaluation de toute la filière dite des batteries Li, et non seulement des opérations de fabrication, de récupération et de manipulation de matériaux et de recyclage des batteries d’une giga-usine, voire de la stratégie Saint-Laurent et de la stratégie industrielle s’appuyant sur une production massive des ressources hydro-électriques.
Des analystes économiques auront aussi remis en question les bénéfices et les avantages du giga-projet et de la filière batteries, sous des conditions préférentielles opaques, voire cachées…
Le Québec a besoin d’une vraie éthique de l’Environnement, voire d’une éthique politique tout court. L’attitude paternaliste ou infantilisante, selon le point de vue, du gouvernement aura fait surgir une méfiance de la population à l’endroit de ses grands projets, alimenté la discorde, fragmenté la cohésion sociale. On aura déclenché un vent de tempête, il serait difficile, pourtant salvateur, de revenir en arrière!
Certes, grâce à des pressions, le ministre de l’Environnement aura annoncé qu’une partie ultérieure du projet de recyclage serait soumis à un examen environnemental du BAPE. Mais, entre-temps, l’entreprise aura complété la destruction du site, déployé en toute latitude ses plans d’aménagement et construit ses hangars, dès maintenant Northvolt pourra précéder aux travaux majeurs sans obtenir l’aval étatique sans devoir mener une évaluation environnementale, ni tenir compte des répercussions cumulatives.
Ce giga-projet, par la manière et son ampleur, déployé au bord du Richelieu, donnerait à craindre des risques pour la population, les écosystèmes aquatiques et la qualité de l’eau de la Rivière. La contamination des sols en profondeur et des eaux souterraines du site constitueraient un cocktail drastique de contaminants.
Ce qui en émanerait là s’étendrait par des ruissèlements, des glissements ou des écoulements d’eaux de surface vers le Richelieu, dériverait jusqu’au fleuve, puis du fleuve aux grandes eaux jusqu’au-delà du Lac Saint-Pierre, Réserve mondiale de la biodiversité, déjà fort malmenée. Ne pouvant se fier ni au ministre de l’Environnement ni à l’entreprise, les citoyens auraient intérêt à mener une surveillance des rejets d’eau du site, dans le cadre des travaux et après, vers la rivière Richelieu.
À l’évaluation systémique, on oppose que suffiraient des mesures relevant d’une attitude d’improvisation à la manière d’un «on traversera le pont quand on y arrivera». Cependant, rien ne supplantera un devoir de précaution et une préparation prévisionnelle. Il serait objectivement difficile de parer aux aléas environnementaux pendant les travaux majeurs, dont par l’enfoncement de poutres de soutènement ou le pilonnage par bélier mécanique préalables à la construction des fondations en profondeur des lourds mégas bâtiments.
Nous écrivions dès la fin d’octobre dernier que ce site ne pouvait convenir que cela et la manière de l’imposer précipitamment constitueraient déjà une cause de l’échec potentielle de l’affaire, et alimenterait la non-acceptabilité sociale. Un gouvernement clairvoyant aurait dû proposer un site plus en accord avec des principes de la cohérence de l’aménagement territorial, la conservation des écosystèmes et des milieux humides vitaux et la protection des cours d’eau, nonobstant le site, ici le Richelieu, là Bécancour, etc. Par pragmatisme, un site ailleurs, là où la dévastation ne serait pas aussi probante, et là où seraient minimisées les exigences encore cachées du transport massif des produits intrants et des produits fabriqués…
Car aux exactions initiales suivraient celles d’un ministère des Transports habitué à dévaster les milieux humides et de bonnes terres agricoles. Rappelons encore que l’entreprise Northvolt a établi son usine en Suède sur des zones rocheuses, sans valeur agricole apparente, à l’écart des agglomérations et en lien direct avec un port océanique, que l’acceptabilité sociale aurait été construite au fil des années, et que le projet aurait été analysé en profondeur par l’État, le temps requis, tout en impliquant la population régionale.
Déjà dit et redit et repris! Alors, quelle est la contribution utile du présent article? Une analogie révélatrice à la tour de Pise. Dès la fin de l’ajout du troisième étage, vers l’an 1178, la tour avait commencé à pencher. La construction sera interrompue pendant 90 ans. L’inclinaison était due à l’instabilité du terrain liée à la composante argileuse et sableuse du sol de Pise. Une analyse de sol révélera la grande vulnérabilité de la résistance mécanique des sols, mais la construction par étapes aura permis aux sols de fondation de se consolider sous l’effet les charges appliquées successivement. Un mot d’humour révèle une sagesse utile: on aura rogné sur les études de faisabilité technique afin de précipiter le début des travaux et économiser en temps et en coûts, et voilà les résultats auront penché du côté de la catastrophe!
La sagesse de l’obligation de résultats et de l’éthique professionnelle de l’ingénierie
Ainsi, des contraintes de la résistance des sols, le pilonnage et le processus de compaction mécanique auraient le potentiel de révéler l’incongruité d’un mauvais choix de site, lequel présente certes un bilan environnemental négatif d’où les impacts désastreux si les contaminations enfouies sous la surface biorégénérée, par la force du temps, étaient libérées par des travaux majeurs, que des effets de vibration des sols initiait un phénomène de liquéfaction de la mécanique des sols argileux et sablonneux, une possibilité qu’il aurait été important de valider préalablement à la sélection de ce site, et maintenant qu’il faudra bien procéder à une caractérisation des sols cumulés et à l’analyse exhaustive des risques avant d’entreprendre quelconques travaux majeurs.
Le cas échéant, la destruction des sols, des milieux humides et de la flore et de la faune en hibernation du site serait totalement injustifiée, et assurément irraisonnable; elle relèverait d’une destruction volontaire et planifiée des écosystèmes et de la nature, alors même que tout ce remblayage se fait en précipitation en grugeant le flanc Est du mont Saint-Hilaire.
Est-ce progrès que de dévaster ainsi sans compter? Qui paiera le prix de ces destructions planifiées, voire de catastrophes écologiques sur le milieu aquatique, la biodiversité, des espèces menacées et la qualité de l’eau? Northvolt, le ministre de l’Environnement ou celui de l’Économie? Un projet de société doit prendre en compte tous les coûts environnementaux et sociaux. L’entreprise privée est vouée à la rentabilité financière pour ses actionnaires, l’État à une saine économie écologique pour ses concitoyens. À défaut de bien évaluer les projets et les coûts d’opportunité, l’entreprise engrange les profits et les avantages financiers, l’État cumule les déficits économiques et les coûts environnementaux. Est-ce un bon ou un mauvais projet, une bonne ou une mauvaise dette? On ne saurait l’évaluer, tout est laissé aux coups de poker, aux «deals», aux concessions cachées, dont la réduction sur le tarif industriel pour les grandes entreprises/usines. Quel effet auront les grands projets industriels sur les tarifs d’électricité?
Quelle saga! Pourtant, tout aurait pu être entendu à temps, et maintenant résolu si on avait identifié dès le départ un site adéquat et si une évaluation stratégique avait été amorcée dès le printemps 2023, semble-t-il, si des analyses économiques validées avaient été présentées…
Et l’entêtement de Northvolt et du ministère de l’Économie de ne point procéder à une évaluation environnementale stratégique serait d’autant plus déraisonnable que la Loi sur les espèces en péril risque bien de marquer un arrêt, voire d’arrêter net ledit projet au bord du Richelieu.