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Bois d’oeuvre: les Américains ciblent les mesures climatiques

François Normand|Publié le 13 octobre 2022

Bois d’oeuvre: les Américains ciblent les mesures climatiques

«Nous déposons par la présente une réclamation concernant des subventions supplémentaires offertes aux fabricants canadiens de produits en bois résineux», prétend le groupe dirigé par la U.S. Lumber Coalition, dans un document de 56 pages déposé auprès du DOC. (Photo: 123RF)

Le conflit du bois d’œuvre prend une nouvelle tangente. L’industrie américaine s’attaque désormais aux programmes du gouvernement canadien qui vise à protéger la forêt dans la lutte aux changements climatiques, affirmant que ce sont des subventions.

Ressources naturelles Canada finance ces programmes. Il s’agit de mesures d’aménagement forestier qui visent par exemple à préserver un massif ou un bosquet. L’objectif est d’assurer une gestion durable de la forêt, incluant le stockage du carbone, une stratégie indispensable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Ces mesures font en sorte d’accroître parfois les coûts de l’industrie forestière au Québec et ailleurs au Canada, si une entreprise doit par exemple contourner un massif dans ses activités pour récolter des arbres.

Le cas échéant, Ottawa compense alors ces coûts supplémentaires, puisque ce sont des forêts publiques.

Or, l’industrie américaine y voit là une aide de l’État à ses compétiteurs canadiens.

En septembre, un groupe dirigé par la U.S. Lumber Coalition a porté plainte auprès du ministère américain du Commerce (Department of Commerce ou DOC). Il affirme que ces programmes d’atténuation des changements climatiques constituent des subventions injustes versées aux producteurs canadiens de bois d’œuvre.

«Nous déposons par la présente une réclamation concernant des subventions supplémentaires offertes aux fabricants canadiens de produits en bois résineux», prétend le groupe dans un document de 56 pages déposé auprès du DOC.

Actuellement, les États-Unis imposent une taxe de 8,59% sur les importations de bois d’œuvre canadien sur le marché américain — nous sommes dans la cinquième procédure contre le Canada en 40 ans, qui a débuté en novembre 2016.

Pour l’instant, la nouvelle plainte de l’industrie américaine n’a pas d’impact sur ce niveau de taxe, qui sera révisé à l’été 2023, et ce, à la hausse ou à la baisse.

 

L’incohérence de la Maison-Blanche

La nouvelle plainte déposée par la U.S. Lumber Coalition est vivement dénoncée par l’Ontario Forest Industries Association (OFIA) et le Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ).

En entrevue à Les Affaires, Jean-François Samray, PDG du CIFQ, dénonce «l’incohérence» de l’administration de Joe Biden, puisque le chapitre 24 de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM) reconnaît l’importance de la conservation et de la gestion durable des forêts.

«On fait ce que l’ACÉUM nous demande de faire, mais on nous le reproche par la suite!», laisse tomber Jean-François Samray.

Par exemple, l’article 24.23 (Gestion et commerce durable des ressources forestières) souligne le «rôle essentiel des forêts, pour ce qui est de la fourniture de nombreux services écosystémiques, y compris le stockage de carbone, le maintien de la quantité et de la qualité des eaux, la stabilisation du sol et des habitats pour la faune et la flore sauvages».

Selon Jean-François Samray, il y a une incohérence notoire entre ce que fait le United States Trade Representative — l’agence fédérale relevant de la Maison-Blanche qui développe et promeut la politique commerciale américaine, incluant l’application de l’ACÉUM — et ce que fait le ministère américain du Commerce, qui vient de recevoir la plainte de la U.S. Lumber Coalition.

L’économiste du CIFQ, Michel Vincent, voit un autre paradoxe par rapport à la nouvelle plainte de l’industrie américaine.

En vertu de l’article 24 de l’ACÉUM, les producteurs américains de bois d’œuvre actifs sur des terres publiques doivent eux aussi tenir compte de mesures d’aménagement forestier afin d’assurer une gestion durable de la forêt aux États-Unis.

Comme au Canada.

Cela dit, la majorité de l’industrie américaine exploite des forêts privées, alors que la majorité de celles exploitées au Canada est publique.

Sur les terres privées aux États-Unis, les producteurs de bois ne reçoivent pas de compensation de Washington. Aussi, s’ils doivent gérer la ressource de manière durable, ils refilent plutôt la facture de leurs coûts supplémentaires aux acheteurs de bois, précise Michel Vincent.