Deux minières s’activent pour protéger les résidents de Fermont
François Normand|Publié le 03 avril 2020«Nous n’avons aucun cas; je touche du bois. Mais c’est une préoccupation», dit le maire de Fermont, Martin St-Laurent.
Plusieurs mines du Québec demeurent en partie en activité, car elles sont jugées essentielles par le gouvernement Legault, dont Champion et ArcelorMittal sur la Côte-Nord. La situation inquiète des citoyens de Fermont, même si les minières ont mis en place des mesures strictes pour les protéger.
Fermont est une ville minière qui compte environ 2 500 habitants. Avec Wabush et Labrador City, Fermont fait partie de la fosse du Labrador, un vaste centre minier où l’on extrait des minerais de fer, le quatrième poste d’exportation du Québec après les avions, l’aluminium et les turboréacteurs.
«Savez-vous qu’ici, à Fermont, ArcelorMittal n’a pas encore fermé sa mine et elle a même fait monter les travailleurs des autres régions, les fly in, fly out?», dénonçait il y a une semaine une citoyenne dans un courriel à Les Affaires.
«La production a peut-être diminué (chez ArcelorMittal), mais la mine roule encore beaucoup. Les employés demeurent inquiets et les familles aussi. La mine est loin d’être en mode «shut down» comme nous pensions que ce le serait à la suite des annonces gouvernementales», s’inquiète une autre personne.
«On nous affirme qu’ils (les employés de Champion) n’ont aucun contact avec la population de Fermont. Mais avec ce qu’on entend, on peut en douter», écrit une troisième personne dans un courriel envoyé à Jonatan Julien, ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, et responsable de la région de la Côte-Nord.
Ce résident trouve que cette pratique «est très risquée» étant donné que le virus de la COVID-19 touche à peu près toutes les régions du Québec à l’exception de rares endroits comme la ville de Fermont.
Dans la foulée de l’annonce, fin mars, que les entreprises non essentielles devaient se mettre en pause jusqu’au 13 avril, plusieurs sociétés ont fait valoir à Québec que leurs activités étaient essentielles, dont les producteurs de fer Champion et ArcelorMittal, qui sont actives dans la région de Fermont.
Ces deux minières ont fait valoir au gouvernement qu’elles font partie d’une chaîne d’approvisionnement mondiale de fer qui fournit du minerai aux aciéristes dans le monde, surtout en Europe et en Asie.
Aussi, au lieu de maintenir un minimum d’activités (sécurité et maintenance des sites miniers) comme l’anticipait récemment l’Association minière du Québec, Champion et ArcelorMittal continuent à produire et à exporter en partie du minerai de fer.
Jointe par Les Affaires, la minière Champion assure avoir pris, de concert avec le Syndicat des métallos local, toutes les mesures nécessaires afin de limiter les risques de contamination de la communauté de Fermont.
Les employés de Champion qui habitent en permanence à Fermont font du télétravail ou sont en arrêt de travail, explique David Cataford, chef de la direction de l’entreprise qui exploite le site de Minerai de fer Québec (une filiale de Champion), situé à une dizaine de kilomètres de Fermont.
«On rémunère tous les employés; personne n’est au chômage même si on a réduit notre production de 50%. C’est important pour appuyer les familles», dit-il.
Les employés qui assurent le fonctionnement de la mine sont exclusivement des travailleurs permanents non résidents (PNR ou fly in, fly out) qui sont originaires du sud ou du centre du Québec.
Par contre, Champion a pris plusieurs mesures pour protéger la population locale et ses travailleurs.
Les principales mesures de Champion
Un médecin d’entreprise et des infirmiers évaluent l’état de santé des PNR avant qu’ils ne prennent l’avion pour Fermont.
L’entreprise a aussi doublé le nombre de vols vers le nord afin de distancier ses employés dans les avions. Ainsi, un appareil de 50 places qui embarquent à son bord habituellement 50 travailleurs n’en contient maintenant que 25.
Autre mesure: la durée des périodes de travail et de congé est passée de 14 à 21 jours.
Cette mesure protège à la fois les employés PNR sur le site ainsi que les familles de ces travailleurs, car cette période de trois semaines permet d’identifier potentiellement un cas de contagion entre les déplacements.
Par exemple, un employé qui tomberait malade à la maison n’ira pas travailler, tout comme un employé qui développerait des symptômes à la mine ne retournerait pas dans sa famille.
À Fermont, c’est avant tout le complexe des PNR (dortoirs, cafétérias) qui suscite de l’inquiétude auprès des résidents, car il est situé au cœur de la ville.
(Photo : 123RF)
Là encore, Champion a resserré les mesures afin qu’il n’y ait pas de contact entre ses travailleurs et les citoyens de Fermont. Les PNR ne font que l’aller-retour entre le complexe et la mine, assure M. Cataford.
Rien n’est parfait malgré ces mesures, admet-il cependant en toute transparence.
Ces derniers jours, il a été porté à l’attention de Champion que le conducteur de l’autobus qui assure la liaison entre le complexe et la mine est un résident de Fermont. «Quand on a eu connaissance de cette situation, on a relevé cette personne», dit-il.
À ce jour, personne n’aurait été infecté par la COVID-19 à Fermont.
Dany Maltais, représentant du Syndicat des métallos qui représente les 340 travailleurs de la mine de Champion, se dit «entièrement satisfait» des mesures mises en place conjointement par les parties patronale et syndicale.
«On désinfecte le complexe, on protège les travailleurs, ainsi que le personnel qui fait le ménage», dit-il.
ArcelorMittal Exploitation minière Canada, qui exploite les sites miniers Fire Lake et Mont-Right, dans la région de Fermont, a décliné notre demande d’entretien.
La porte-parole Alexandra Dionne Charest nous a fait parvenir un communiqué dans lequel la minière fait état de l’entente conclue avec le Syndicat des métallos pour la poursuite des opérations réduites de l’entreprise.
«La protection de la santé et la sécurité de nos employés est un principe non négociable chez ArcelorMittal. L’annonce d’aujourd’hui envoie un message clair à nos employés: notre entreprise sera là pour vous pendant cette crise», déclare dans ce communiqué Mapi Mobwano, PDG par intérim d’ArcelorMittal Exploitation minière Canada.
Un équilibre entre la santé des travailleurs et le bien-être socioéconomique
Joint par Les Affaires, le représentant syndical Yves-Aimé Boulay affirme lui aussi être satisfait des mesures mises en place par ArcelorMittal, à la fois à Fermont et à Port-Cartier, où la minière exploite un port et une usine de bouletage.
«On pense qu’on a trouvé un équilibre entre la santé des travailleurs et le bien-être socioéconomique de la région», dit-il.
À Fermont, 320 travailleurs permanents non résidents d’ArcelorMittal ont été mis à pied, et ils sont retournés graduellement dans le sud du Québec, explique M. Boulay.
Près d’une dizaine d’entre eux sont toutefois demeurés sur place afin de s’occuper d’activités comme la gestion de bouilloires. «Ils habitent au complexe à Fermont, mais il n’y a aucune interaction avec les résidents de la ville», assure M. Boulay.
Pour sa part, le maire de Fermont, Martin St-Laurent, s’est dit relativement «à l’aise» avec les mesures mises en place par Champion et ArcelorMittal, même s’il comprend très bien l’inquiétude des citoyens de sa ville.
«Nous n’avons aucun cas; je touche du bois. Mais c’est une préoccupation», confie-t-il.
Reste à voir si toutes les mesures mises en place par Champion et ArcelorMittal permettront à terme de rassurer et de protéger les résidents de Fermont, car le risque zéro n’existe pas, et ce, peu importe la situation ou les circonstances.
Car, une éclosion de coronavirus dans cette région du Québec représenterait un défi de taille pour les services de santé locaux, qui ne sont pas outillés comme ceux dans les grands centres.
C’est d’ailleurs pourquoi le gouvernement Legault a récemment fermé plusieurs régions du Québec (sauf pour les activités jugées essentielles) comme le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie-Îles-de-Madeleine ou la Côte-Nord.