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Développer l’hydrogène vert au Québec ne sera pas facile

François Normand|Publié le 17 septembre 2020

Une étude fait une analyse FFOM (forces, faiblesses, opportunités, menaces) de l’environnement d’affaires au Québec.

L’hydrogène renouvelable fait rêver les gouvernements dans la lutte aux changements climatiques, incluant celui du Québec. Par contre, même si la province a des forces et des opportunités à saisir dans ce domaine, développer cette source d’énergie représente tout un défi étant donné la présence de nombreuses faiblesses et menaces.

Voilà l’un des constats importants qui ressort d’une étude sur le potentiel de l’hydrogène au Québec publiée le 19 août par Transition énergétique Québec, une société d’État dont la mission est de soutenir, de stimuler et de promouvoir la transition, l’innovation et l’efficacité énergétiques.

Des chercheurs de Polytehnique Montréal ont produit cette étude détaillée (en s’appuyant notamment sur les sources de l’industrie), dans la foulée de la création en mai 2019 d’un comité directeur composé de représentants de Transition énergétique Québec, du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, du ministère de l’Économie et de l’Innovation ainsi que d’Hydro-Québec.

L’étude comprend une analyse FFOM (forces, faiblesses, opportunités, menaces) de l’environnement d’affaires au Québec pour développer la filière de l’hydrogène vert, ce qui permet de comprendre rapidement les principaux enjeux dans les années à venir.

 

Les forces

Le Québec présente plusieurs forces, à commencer par le dynamisme des acteurs de l’écosystème, incluant l’allemande Hy2Gen et la française Air liquide, deux producteurs d’hydrogène.

Le Québec offre aussi de l’électricité renouvelable, vendue à l’industrie à des prix «relativement faibles», souligne l’étude, tout en précisant qu’Hydro-Québec s’est engagée à rendre disponibles des blocs d’énergie aux producteurs d’hydrogène vert.

Deux atouts très importants pour les entreprises, soulignait ce printemps à Les Affaires Cyril Dufau-Sansot, co-fondateur et PDG de Hy2Gen : «Cette électricité verte à 100% qui n’est pas chère est un grand avantage».

Enfin, sur le plan logistique, une autre force tient au fait que l’industrie a accès à la voie maritime du fleuve Saint-Laurent.

 

Les opportunités

Le Québec est aussi bien positionné pour profiter des opportunités dans la filière de l’hydrogène renouvelable, notamment en raison de la demande mondiale qui est appelée à augmenter dans les prochaines années.

Entre 2010 et 2020, la demande en hydrogène a connu une croissance de 40%, soit une moyenne de 4% par année. Selon l’étude de Polytechnique, l’augmentation de la demande proviendra en grande partie des secteurs pétroliers et chimiques (méthanol et ammoniac).

«Ce sont donc de bonnes cibles pour la valorisation de l’hydrogène vert», insistent les auteurs de l’étude.

Il y a aussi plusieurs opportunités pour l’ensemble de la société québécoise.

Par exemple, l’utilisation accrue d’hydrogène pourrait réduire le déficit de la balance commerciale du Québec (qui est négative), et ce, en raison de la diminution des importations de pétrole et de gaz naturel, mais aussi de produits chimiques.

Le développement d’une filière de l’hydrogène vert aiderait également le Québec à atteindre ses cibles de réduction de gaz à effet de serre (37,5% d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990), qu’il n’arrive pas toutefois à respecter à l’heure actuelle.

 

Les faiblesses

Par contre, plusieurs faiblesses freinent le développement du potentiel de l’hydrogène vert au Québec.

Par exemple, l’étude note des «coûts élevés» de construction des infrastructures et des technologies de production, de stockage et de distribution.

Les auteurs soulignent aussi l’«immaturité» de certaines technologies de stockage et de distribution, sans parler de l’absence de consensus sur le choix technologique à privilégier.

La «faible vitesse» à laquelle les gouvernements font évoluer le cadre réglementaire pour favoriser la filière de l’hydrogène vert est aussi pointée du doigt.

L’étude mentionne deux autres faiblesses importantes.

Premièrement, l’absence de mécanisme de marché qui permettrait aux entreprises de valoriser l’hydrogène vert par rapport à l’«hydrogène gris», c’est-à-dire celui produit à l’aide de sources d’énergie fossile (charbon, pétrole, gaz naturel conventionnel).

Deuxièmement, l’absence d’une feuille de route ainsi que d’un plan d’investissement et d’un soutien d’investissement pour développer la filière de l’hydrogène vert au Québec. Cela dit, le prochain plan vert 2030 que le gouvernement de François Legault devrait publier cet automne accordera une plus grande place à l’hydrogène, selon Radio-Canada.

Enfin, un autre facteur fondamental au Québec —mais ailleurs au Canada— est la faiblesse de la tonne de carbone, qui n’incite pas à investir dans des sources d’énergie renouvelable.

Au Canada, une taxe sur le carbone de 30$ la tonne s’applique depuis le 1er avril dans les provinces qui n’ont pas leur propre mécanisme de fixation du prix —le Québec a le sien, le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre (SPEDE).

Or, pour que le prix du carbone incite vraiment les entreprises à se tourner vers les sources d’énergie verte, la taxe sur le carbone au pays doit grimper graduellement à 102$ la tonne en 2030, selon le Directeur parlementaire du budget (DPB).

 

Les menaces

À l’instar des faiblesses, les menaces au développement du potentiel de l’hydrogène vert au Québec sont nombreuses, à commencer par les «incertitudes» perçues par les principaux acteurs de l’industrie au niveau de l’environnement d’affaires.

L’étude souligne aussi la faiblesse des coûts des combustibles fossiles, que la pandémie de la COVID-19 a contribué à abaisser en raison de la chute de la demande.

L’industrie déplore aussi l’absence d’un marché mondial du carbone, qui permettrait par exemple d’envoyer un signal de prix clair et transparent comme pour les prix du pétrole ou du gaz naturel.

Le cadre réglementaire au Québec est aussi perçu comme une menace. Par exemple, les acteurs déplorent la rigidité de certaines lois et règlements, en plus de l’incompatibilité des normes étrangères et québécoises.

Enfin, l’étude souligne deux autres menaces, liées cette fois à la connaissance même de l’hydrogène vert.

D’une part, au niveau de l’acceptabilité sociale, il y a une forte association de l’hydrogène au véhicule léger (uniquement) et au «caractère controversé» de cet usage (comprendre, le risque d’explosion).

D’autre part, les «connaissances généralement faibles» des usages et du fort potentiel technico-économique de l’hydrogène décarboné au Québec nuiraient au développement de cette filière dans la province.