Électricité: Québec plafonne les tarifs jusqu’à 2026
La Presse Canadienne|Mis à jour le 13 juin 2024La hausse des tarifs d’électricité sera plafonnée à 3% jusqu’après les élections de 2026, prévoit la réforme sur l’énergie déposée jeudi par le ministre Pierre Fitzgibbon. (Photo: Karoline Boucher / La Presse Canadienne)
Québec — La hausse des tarifs d’électricité sera plafonnée à 3% jusqu’après les élections de 2026, prévoit la réforme sur l’énergie déposée jeudi par le ministre Pierre Fitzgibbon.
Le projet de loi 69 ouvre la porte à une tarification modulée et prévoit un «fonds d’aide à la clientèle domestique d’Hydro-Québec», visant en fait à compenser la société d’État pour les pertes de revenus induites par le plafonnement à 3%.
L’opposition craint que la tarification dynamique constitue une augmentation déguisée, mais des organismes ont salué ce principe d’éco-fiscalité.
Il n’y aura «pas de hausse faramineuse» après 2026 ou de «choc tarifaire», a tenu à dire en conférence de presse le ministre de l’Énergie, pour tenter de rassurer les clients résidentiels et les entreprises.
Selon les modélisations, le gouvernement pourrait verser de 100 à 300 millions $ dans le fonds, mais pas avant 2028, soutient le ministre.
C’est la troisième tentative législative de la Coalition avenir Québec (CAQ) pour contrôler la tarification de l’électricité depuis 2019.
Le projet de loi fera l’objet de consultations cet automne et le ministre n’a pas voulu imposer d’échéancier serré pour son adoption.
Tarification dynamique
En vertu du texte proposé, la Régie de l’énergie devrait, à compter d’avril 2026, fixer «un ou plusieurs tarifs» de manière à «favoriser la diminution de la consommation d’électricité en période de pointe», c’est-à-dire permettre à Hydro de facturer plus cher son électricité aux heures de grande consommation, tant aux clients résidentiels qu’aux clients commerciaux.
«L’article (de loi) vise à forcer le débat, dans le fond, devant la Régie», a plaidé l’ancien sous-ministre du ministère l’Énergie, David Bahan, au côté du ministre.
«Donc, on va favoriser la modulation, puis on va voir ce qui va se passer dans le futur, puis on réagira au besoin», a ajouté M. Fitzgibbon.
«Est-ce que la tarification modulaire pourrait être utilisée comme une façon d’augmenter finalement les tarifs d’électricité ou pas?» a demandé le député péquiste Pascal Paradis en point de presse.
Québec solidaire est «très heureux» d’avoir un débat sur la tarification dynamique, a dit le député Haroun Bouazzi.
«Il y a des inégalités dans l’accès à l’énergie», a-t-il argué.
«Il y a des personnes qui vivent dans des passoires énergétiques: les 20 degrés dont ils ont besoin à la maison leur coûtent plus cher que d’autres. De l’autre côté, il y a d’autres besoins qui sont moins importants que de chauffer l’hiver: chauffer un bain tourbillon en plein hiver ou chauffer une piscine.»
Régie de l’énergie
Le projet de loi stipule également que la Régie de l’énergie devra tenir compte des préoccupations que pourrait lui communiquer le gouvernement.
Les futures hausses de tarifs annuelles seraient fixées à l’avance par la Régie de l’énergie, plutôt qu’en fonction du taux d’inflation comme le prévoyait une autre loi pourtant adoptée par la CAQ.
Également, le texte législatif prévoit que l’examen des tarifs résidentiels, commerciaux et industriels serait triennal, plutôt qu’aux cinq ans actuellement.
Ouverture au privé
Sans mettre fin au monopole d’Hydro-Québec, le projet de loi ouvre néanmoins la porte à davantage de production privée, mais aussi l’alimentation de clients par un producteur privé.
Ainsi, Hydro-Québec pourrait céder à des producteurs privés des barrages d’une puissance allant jusqu’à 100 mégawatts, alors que le plafond est de 50 actuellement. De même, un producteur pourra construire une centrale pouvant produire jusqu’à 100 mégawatts.
La Fédération québécoise des municipalités (FQM) a salué ce relèvement du plafond car des localités pourraient ainsi participer à des projets.
En outre, un distributeur privé d’électricité serait tenu de distribuer de l’électricité à toute personne qui le demande sur le territoire où il exerce son droit, mais devrait prouver qu’il a la capacité technique pour effectuer le raccordement.
Pour la décarbonation
Le gouvernement Legault souhaite par le projet de loi 69 modifier l’encadrement du secteur énergétique, notamment afin de répondre à la hausse de la demande exigée pour l’important défi de la décarbonation de l’économie du Québec d’ici à 2050: il faudra ainsi produire entre 150 et 200 TWh additionnels pour y arriver.
Le gouvernement veut que le Québec soit le premier État carboneutre en Amérique du Nord, a rappelé le ministre.
«Nos processus sont beaucoup trop lents, a affirmé M. Fitzgibbon. On n’était pas prêts (à la hausse de la demande), on aurait pu réagir plus vite.»
Hydro-Québec ne serait plus contrainte à procéder par appel d’offres pour ses contrats d’approvisionnement en électricité.
Le projet de loi édicte que le ministre devra déposer un plan de gestion intégré des ressources sur 25 ans.
«Ça définit notre vision d’ensemble pour le secteur de l’énergie» et il «fixe tant nos cibles climatiques que nos cibles économiques».
Réseau Environnement, qui regroupe un grand nombre de spécialistes dans ce domaine issus autant de l’industrie que des municipalités, a salué la démarche du gouvernement caquiste.
«Pour nos spécialistes, l’Important est d’avoir une cohérence dans l’ensemble de l’approche gouvernementale», a fait savoir le président de l’organisme, Mathieu Laneuville.
«On a bon espoir que le plan intégré des ressources énergétiques, si on le fait bien, en consultant, on va pouvoir y arriver.»
Il a appelé à réduire la consommation d’électricité par habitant au Québec, la plus haute au pays, et à augmenter le PIB par quantité d’énergie dépensée, qui est très loin derrière des pays comme l’Allemagne.
Réactions
Dans un communiqué, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a salué la réhabilitation de la Régie de l’énergie dans le processus de fixation des tarifs, mais a exprimé son inquiétude sur le «choc tarifaire qui attend les PME».
La Fédération des chambres de commerce du Québec redoute également que les entreprises soient les seules à assumer les coûts.
Les organismes écologistes ont tous émis des réserves. La Fondation David Suzuki et Équitterre s’inquiètent des larges pouvoirs confiés au ministre, ainsi que d’un glissement vers la privatisation, ce dont s’inquiète aussi Greenpeace.
Prise 3
Rappelons qu’en 2019, la CAQ avait d’abord adopté une loi qui fixait la hausse des tarifs en fonction de l’inflation en invalidant le rôle de la Régie de l’énergie.
Puis, en 2022, après l’explosion de l’indice des prix à la consommation durant la pandémie, le gouvernement caquiste a dû revenir à la charge avec une nouvelle loi, pour que l’augmentation soit fixée en fonction du taux le plus bas entre l’inflation et «le taux supérieur de la fourchette de maîtrise de l’inflation de la Banque du Canada». Ce taux n’avait pas dépassé 3% depuis plus de 20 ans.
Le projet de loi 69 constitue donc une troisième tentative de la CAQ pour modifier les mécanismes de tarification de l’électricité en cinq ans.
Patrice Bergeron