Filière batterie: «on n’a pas eu notre part», dit Legault
La Presse Canadienne|Mis à jour le 26 septembre 2024(Photo: Jacques Boissinot La Presse Canadienne)
Québec — Le gouvernement fédéral a défavorisé le Québec par rapport à l’Ontario dans la filière batterie, selon le premier ministre François Legault.
«On n’a pas eu notre part», a-t-il déclaré jeudi matin, en mêlée de presse.
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Ottawa a financé trois usines de la filière batterie en Ontario, mais seulement une au Québec, soit la suédoise Northvolt en Montérégie, ce qui fait dire d’ailleurs à l’opposition officielle que le gouvernement Legault a mal négocié.
«Je trouve qu’il y a un manque d’équité» du fédéral, a conclu François Legault, alors que son adversaire libéral Marc Tanguay y voit un signe que le gouvernement caquiste a conclu un «mauvais deal» avec Northvolt.
Québec et Ottawa se sont respectivement engagés à l’origine à accorder plus de 1,3 milliard de dollars (G$) chacun dans le projet d’usine de Northvolt, dans la phase de construction, mais le fédéral n’a pas encore versé un sou tandis que Québec a déjà décaissé 700 millions de dollars (M$).
En comparaison, le directeur parlementaire du budget à Ottawa a estimé à plus de 18G$ l’aide totale accordée par le fédéral pour deux grandes usines de batteries en Ontario.
«On a négocié comme on a pu avec le fédéral», a admis M. Legault, en ajoutant qu’à terme, le fédéral devrait tout de même verser les deux tiers d’un total de 4,6G$ consentis à Northvolt en fonds publics.
«C’est lui [François Legault] qui a négocié et signé [l’entente], il n’a que lui-même à blâmer s’il n’aime plus son entente», a commenté le chef de l’opposition officielle, Marc Tanguay, sur le réseau social X.
«François Legault est-il en train de dire que Northvolt est un mauvais “deal” pour le Québec?»
«Rien de sûr»
«Il n’y a jamais rien de sûr en économie», a répondu M. Legault sur le risque que comportent des investissements dans la filière batterie.
«Je continue à avoir espoir que l’usine va se construire au Québec par Northvolt. Northvolt a un produit extraordinaire», a-t-il ajouté pour se montrer rassurant, en empruntant ensuite une métaphore au baseball.
«Ce qui est important, c’est la moyenne au bâton», a-t-il laissé entendre, en suggérant que l’Histoire lui donnera raison.
«Je suis convaincu que, dans quelques années, tous ceux qui chialent vont dire: bravo d’avoir investi dans la filière batterie!»
Le premier ministre a fait cette sortie au lendemain d’un avertissement lancé par le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne.
Il a mis en garde Québec contre la redistribution à d’autres entreprises, évoquée par le gouvernement caquiste, d’un bloc d’énergie de 354 mégawatts réservé à l’entreprise suédoise Northvolt pour son projet d’usine de batteries en Montérégie, dans un contexte de pénurie d’alimentation électrique pour les entreprises.
Ottawa laisse entendre que de retirer en partie l’approvisionnement électrique pourtant garanti ne serait pas de bon augure pour la réalisation de l’usine.
Northvolt est déjà en sérieuse difficulté financière et a dû licencier 1600 travailleurs, même si la direction nord-américaine assure que cela n’affecte pas la réalisation du projet prévu en Montérégie.
«Il n’est pas question de retirer le bloc d’énergie de Northvolt», a assuré M. Legault à la période de questions jeudi matin, alors que sa ministre de l’Économie et de l’Énergie, Christine Fréchette, avait ouvert la porte plus tôt cette semaine à affecter temporairement une partie de l’approvisionnement prévue pour Northvolt à d’autres entreprises en demande pour leur expansion ou pour décarboner leurs procédés.
«Dans le dossier de Northvolt, ils nous ont annoncé que le projet va être retardé d’un an, donc ça veut dire que, techniquement, [leur demande pour un bloc] d’énergie va être retardée d’un an», a tout au plus envisagé le chef caquiste.
28 milliards de dollars
L’an dernier, le directeur parlementaire du budget à Ottawa avait évalué à plus de 28G$ l’appui accordé par le fédéral et l’Ontario à deux grandes usines de batteries, Stellantis et Volkswagen — soit 18,8G$ du fédéral et 9,4G$ de l’Ontario.
Au Québec, le fédéral pourrait verser jusqu’aux deux tiers de 4,6G$ en incitatifs financiers à Northvolt pour la fabrication de cellules, en s’alignant ainsi sur les dispositions du Inflation Reduction Act mis en place aux États-Unis.
Ottawa a également attribué 322M$ à Ford pour une usine de cathodes à Bécancour.
Le gouvernement Legault se targue d’avoir généré plus de 16G$ d’investissements jusqu’à présent dans la filière batterie, un secteur où les États rivalisent avec des montants astronomiques pour attirer des joueurs, même si la demande en véhicules électriques semble ralentir.
Sur ce montant, 10,9G$ sont des investissements privés des entreprises, a fait valoir la ministre Christine Fréchette dans un débat mercredi. Le nombre d’emplois total dans le secteur de la batterie pourrait atteindre environ 10 000 emplois d’ici à 10 ans, a-t-elle estimé.
Le Québec demeure toutefois un petit joueur. Elle a rappelé que la Chine «domine l’écosystème de la batterie» actuellement: elle possède 90% de la production de cathodes, 97% de la production d’anodes, et les entreprises chinoises contrôlent près de 75% de la production de cellules, selon les données qu’elle a citées.
Cependant, le gouvernement Legault voit dans la filière batterie un autre atout dans sa stratégie pour mettre fin à la dépendance au pétrole et réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans les transports, conformément aux engagements internationaux d’en arriver à la neutralité carbone d’ici à 2050.
Pas moins de 43% des émissions de GES du Québec proviennent du secteur des transports.
Mme Fréchette a rappelé que le Québec importe pour plus de 10G$ en hydrocarbures chaque année, ce qui creuse le déficit commercial, alors que l’électricité qui alimente les véhicules à batterie est produite ici.
«La filière batterie nous permet de profiter des retombées économiques et permet de réduire les dépenses des ménages québécois, a-t-elle plaidé. Les véhicules électriques nous permettent de mettre fin à la dépendance des automobilistes à l’égard des pétrolières.»
Par Patrice Bergeron