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Hydro-Québec: possible réouverture de Gentilly-2

La Presse Canadienne|Publié le 10 août 2023

Hydro-Québec: possible réouverture de Gentilly-2

Le nouveau PDG de l’organisation, Michael Sabia, «a déjà affirmé avoir l’esprit ouvert au sujet du nucléaire, compte tenu de ce contexte de forte croissance de la demande» (Photo: La Presse Canadienne)

Hydro-Québec évalue actuellement la possibilité de rouvrir la centrale nucléaire Gentilly-2, à Bécancour, au Centre-du-Québec, alors que la demande d’électricité augmente dans la province. Toutefois, le nucléaire ne serait pas la solution à privilégier au Québec, selon un expert.

La nouvelle, d’abord rapportée par le Journal de Montréal, a été confirmée jeudi à La Presse Canadienne par la société d’État, dans un courriel. 

«Concernant la centrale Gentilly-2, une évaluation de l’état actuel de la centrale est en cours, afin d’évaluer nos options et d’alimenter nos réflexions sur l’offre énergétique future du Québec», a indiqué l’équipe des communications d’Hydro-Québec. 

Le nouveau PDG de l’organisation, Michael Sabia, «a déjà affirmé avoir l’esprit ouvert, compte tenu de ce contexte de forte croissance de la demande», a aussi souligné la société d’État. 

L’organisation affirme aussi par courriel que la demande d’électricité propre «augmentera de manière très significative» dans le but de décarboner l’économie du Québec, et qu’il s’agit d’«un défi immense». Hydro-Québec estime qu’il serait irresponsable d’exclure certaines filières énergétiques à l’heure actuelle, comme le nucléaire. 

Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, doute que de relancer l’énergie nucléaire soit rentable au Québec. 

En 2012, le gouvernement péquiste de Pauline Marois avait accepté la recommandation d’Hydro-Québec de fermer la centrale nucléaire de Gentilly-2, notamment en raison des coûts importants reliés à la réfection de la centrale. La société d’État avait alors évalué les coûts de réfection à 12 cents le kilowattheure.

«Plus de 10 ans plus tard, les coûts ne pourront qu’augmenter, parce qu’on a entamé un démantèlement, donc il faut revenir en arrière. Mais on le sait, dans les projets de construction, tout coûte plus cher depuis dix ans. Donc, la facture du nucléaire pourrait s’avérer très élevée si on allait dans cette voie-là, et je ne pense pas qu’à 15 (ou) 16 cents le kilowattheure on soit intéressés», explique Pierre-Olivier Pineau, en entrevue. 

Le professeur «doute que les circonstances du nucléaire soient favorables» au Québec, alors que la province compte plusieurs options, comme l’efficacité énergétique, l’énergie éolienne et solaire, qui seraient moins chères, et qui devraient être examinées avant de se tourner vers le nucléaire. 

«On est de très gros consommateurs d’électricité, on peut avoir de meilleures enveloppes thermiques dans nos maisons, on peut mettre des thermopompes, on peut faire de la géothermie. Tout ça peut nous amener à réduire notre consommation, et ça serait moins cher. Ça éviterait des débats qui sont toujours difficiles sur des technologies comme le nucléaire, où il y a des risques (et) il y a une gestion des déchets qui n’est jamais faciles», détaille Pierre-Olivier Pineau. 

Dans un contexte mondial, il ne faut toutefois pas faire une croix sur le nucléaire, selon lui. 

«Il y a des pays sur Terre qui ont besoin du nucléaire parce qu’ils ont tellement de charbon et n’ont pas accès à des énergies comme l’hydroélectricité ou l’éolien de manière très accessible. Ils doivent considérer le nucléaire», explique-t-il. 

Malgré les dangers reliés à la radioactivité du nucléaire, cette source d’énergie peut être une meilleure option pour la santé des populations dans les pays dépendants du charbon. 

«Quand on regarde à l’échelle planétaire les dommages que le charbon cause sur la santé des travailleurs dans les mines, la santé des populations qui sont exposées à la pollution atmosphérique liée à la combustion du charbon, c’est extrêmement plus dommageable que le nucléaire», évoque Pierre-Olivier Pineau. 

Au Québec et au Canada, on pourrait toutefois «probablement se passer du nucléaire» avec une meilleure organisation. 

De vives réactions

Cette annonce survient alors que le ministère de l’Énergie mène une consultation sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec. Le ministère s’est engagé à déposer un projet de loi à ce sujet cet automne, visant, entre autres, «à moderniser le cadre légal et réglementaire du secteur de l’énergie, la Loi sur Hydro-Québec et la Loi sur la Régie de l’énergie», peut-on lire sur le site web du gouvernement du Québec. 

Dans son mémoire déposé dans le cadre de cette consultation, le Conseil du patronat du Québec (CPQ) avait suggéré de ne pas exclure d’emblée des sources d’énergie comme l’hydrogène ou le nucléaire. 

«Aujourd’hui, le nucléaire génère des déchets. Par contre, on sait que la science et la technologie évoluent. (…) Si on ferme la porte maintenant peut-être qu’on peut se priver d’opportunités pour demain», avait alors dit le président et chef de la direction du CPQ, Karl Blackburn, en entrevue avec La Presse Canadienne. 

L’organisme Greenpeace Canada s’était plutôt opposé au nucléaire dans son mémoire. 

Pour Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace, la possibilité de rouvrir une centrale nucléaire est donc préoccupante.

«Le nucléaire est dangereux, autant pour les humains que pour l’environnement à cause des risques d’accident, les enjeux avec la gestion des déchets nucléaires avec lesquels on est pris pendant des millénaires. Surtout, le Québec a un bassin énorme de solutions, a-t-il affirmé, en entrevue. Il est certain que si le gouvernement et Hydro-Québec veulent aller de l’avant à nouveau avec du nucléaire au Québec, il y aura une levée de boucliers sans précédent.»

Des membres de la classe politique ont aussi réagi vivement à l’annonce de l’évaluation de Gentilly-2 par Hydro-Québec.

Le chef du Parti libéral du Québec, Marc Tangay, a demandé au gouvernement de «lancer une véritable discussion nationale sur l’avenir énergétique du Québec». 

«Le retour au nucléaire est une énorme décision et il est impératif d’entendre les Québécois et les experts avant d’aller de l’avant. Il est inacceptable que l’avenir énergétique de notre nation soit décidé à huis clos, derrière des portes closes», a-t-il dit par voie de communiqué, jeudi. 

Haroun Bouazzi, responsable de Québec solidaire en matière d’énergie, a plutôt qualifié la décision d’Hydro-Québec «d’inquiétante». 

«On a fait le choix collectif de se sortir du nucléaire au Québec. C’est inquiétant que Michael Sabia et Pierre Fitzgibbon veuillent aujourd’hui rouvrir le dossier sans avoir fait la démonstration que c’est nécessaire pour remplir nos objectifs de transition écologique, sans le moindre débat public, sans même avoir présenté le début d’un plan de transition énergétique», a-t-il affirmé, par écrit. 

Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, a plutôt dit que «le gouvernement Legault est incohérent: il refuse d’exploiter notre gaz naturel alors que son exploitation a une grande acceptabilité sociale, un impact économique positif pour nos régions et un bénéfice environnemental, mais il ouvre la porte au nucléaire sans préalablement vérifier cette même acceptabilité sociale».

«Utiliser la transition énergétique pour justifier un retour au nucléaire, c’est de l’écoblanchiment pur et simple», a écrit dans un communiqué Martine Ouellet, cheffe de Climat Québec, qui était la ministre des Ressources naturelles lors de la fermeture de la centrale. «Il faut mettre un frein au développement à tout prix. Il faut être plus judicieux et intelligent dans nos choix», a ajouté celle qui se présente comme candidate pour l’élection partielle dans la circonscription de Jean-Talon. 

En juin dernier, le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, avait dit avoir un intérêt «intellectuel» pour l’énergie nucléaire. «Mais aujourd’hui, au Québec, on n’est pas là. Il n’y a aucun projet nucléaire au Québec», avait-il déclaré en mêlée de presse, rappelant que la province allait un jour manquer d’énergie électrique, et qu’il fallait envisager d’autres sources d’énergie. 

Par Coralie Laplante avec la collaboration de Stéphane Rolland