Le chancelier allemand Olaf Scholz et le premier ministre du Canada Justin Trudeau sont sur le point de signer la semaine prochaine un accord sur l’hydrogène à Stephenville, à Terre-Neuve-et-Labrador. (Photo: La Presse Canadienne)
Ottawa — Certains experts du domaine de l’énergie préviennent qu’un accord pour vendre de l’hydrogène canadien à l’Allemagne ne constituera qu’une petite partie, lointaine et coûteuse, de la solution à la crise énergétique en Europe.
Le chancelier allemand Olaf Scholz et le premier ministre du Canada Justin Trudeau sont sur le point de signer la semaine prochaine un accord sur l’hydrogène à Stephenville, à Terre-Neuve-et-Labrador, lors de la visite officielle du chancelier Scholz au Canada. Un responsable gouvernemental qui a requis l’anonymat a confirmé qu’un accord sur l’hydrogène serait signé, point culminant de mois de pourparlers entre les deux pays.
Stephenville abritera une centrale énergétique à zéro émission où l’énergie éolienne sera utilisée pour produire de l’hydrogène et de l’ammoniac destinés à l’exportation.
L’accord entre le Canada et l’Allemagne devrait faire de l’Allemagne, avide de carburant, le premier gros client d’un projet unique en son genre au Canada.
L’Allemagne envisageait déjà l’hydrogène comme solution énergétique dans son plan climatique avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine en février dernier. Depuis, la Russie a menacé à plusieurs reprises l’approvisionnement énergétique de l’Allemagne, qui obtient généralement environ la moitié de son gaz naturel de Russie.
Les partisans de l’accord sur l’hydrogène affirment qu’il arrive à un moment charnière pour l’industrie canadienne de l’hydrogène vert, qui en est encore à ses balbutiements.
Mais certains experts répliquent que le produit naissant a un prix élevé et ne pourra pas aider l’Allemagne à court terme. Le Canada n’a pas encore l’infrastructure nécessaire pour produire de grandes quantités d’hydrogène vert ou l’exporter sur de grandes distances.
«La clé est que vous avez besoin de construire de nombreuses infrastructures associées avant de pouvoir exporter à grande échelle de l’hydrogène vers d’autres pays», a déclaré Amit Kumar, titulaire de la chaire de recherche industrielle du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG).
Pour être expédié, l’hydrogène devrait probablement être refroidi dans un liquide, chargé dans un pipeline ou un camion-citerne spécialement adapté, et réchauffé lorsqu’il a atteint sa destination. Le processus et l’infrastructure coûtent cher, tout comme la production.
La majeure partie de la production d’hydrogène dans le monde provient de la conversion du gaz naturel en hydrogène et en dioxyde de carbone. Si ce dernier est émis dans l’atmosphère, l’hydrogène est qualifié de «gris». Au Canada, l’objectif est de capter ces émissions et de stocker le carbone, ce qui rendrait l’hydrogène «bleu».
À ce jour, le Canada a évoqué des plans pour aider l’Allemagne avec de nouveaux projets de gaz naturel dans le Canada atlantique qui pourraient un jour être convertis en installations d’hydrogène bleu. Mais l’Allemagne recherche principalement de «l’hydrogène vert», qui est fabriqué en séparant des molécules d’eau à l’aide d’énergies renouvelables telles que l’énergie éolienne ou solaire. Cela a un prix beaucoup plus élevé.
«Vous envisagez ainsi une augmentation des coûts de trois à quatre fois», a déclaré le professeur Kumar, qui est à la faculté de génie de l’Université de l’Alberta ; il a été consulté lors de la rédaction de la stratégie albertaine de l’hydrogène.
Il a déclaré que la technologie doit être améliorée et que davantage d’investissements doivent être réalisés avant que le coût ne soit même relativement comparable à celui de l’alternative dérivée du gaz naturel.
La société à l’origine du projet terre-neuvien, World Energy GH2, a déclaré que la première phase devrait voir jusqu’à 164 éoliennes terrestres être construites pour alimenter une installation de production d’hydrogène. Les plans à long terme prévoient de tripler la taille du projet.
Dans sa proposition, World Energy GH2 a déclaré être à la pointe d’une nouvelle industrie verte.
La construction du premier parc éolien devrait commencer l’année prochaine. Cela signifie que la production d’hydrogène est encore loin, a déclaré Paul Martin, un ingénieur chimiste, qui ajoute que «cela prendra des années et des années», a-t-il déclaré. «Et puis vous avez le problème d’infrastructure.»
Paul Martin ajoute que les coûts d’infrastructure de production et de transport de l’hydrogène vert ne s’additionnent pas.
La stratégie du Canada en matière d’hydrogène consiste à passer à «l’hydrogène bleu» avant de passer éventuellement au vert, selon le professeur Kumar.
La stratégie de l’Allemagne, cependant, favorise clairement l’hydrogène vert alors que le rôle de l’hydrogène bleu est incertain, selon une analyse d’Isabelle Huber, chercheuse au Centre d’études stratégiques et internationales.
Le premier ministre Trudeau et Olaf Scholz, qui est devenu chancelier de l’Allemagne en décembre, ont d’abord discuté de l’hydrogène et des exportations énergétiques canadiennes lors de la visite de M. Trudeau à Berlin en mars. Lors du sommet des dirigeants du G7 dans les Alpes bavaroises en juin, Justin Trudeau s’est longuement entretenu avec d’autres dirigeants mondiaux sur la façon dont le Canada pourrait offrir des alternatives aux pays dépendants du pétrole et du gaz russes.
Lors d’une conférence de presse à la fin du sommet, le chef du gouvernement du Canada a suggéré que l’infrastructure utilisée pour transporter le gaz naturel liquéfié pourrait être adaptée pour transporter l’hydrogène, un exemple de la façon dont le Canada pourrait aider, selon lui.
«Nous envisageons également à moyen terme d’étendre certaines infrastructures», a alors déclaré M. Trudeau, «mais d’une manière qui atteigne cet objectif à moyen et long terme d’accélérer la transition — non seulement hors du pétrole et du gaz russes — mais hors de notre propre dépendance aux combustibles fossiles.»
L’hydrogène canadien pourrait n’être qu’un élément du plan de l’Allemagne pour abandonner le gaz dans une situation très difficile, a déclaré Sara Hastings-Simon, qui dirige la maîtrise ès sciences en développement énergétique durable à l’Université de Calgary.
«Ce n’est pas la fin de tout, cela ne va ni résoudre complètement le problème ni être la réponse unique», a-t-elle affirmé lors d’une interview.