Kruger Énergie veut des appels d’offres pour de petites centrales
François Normand|Publié le 18 avril 2023Kruger Énergie exploite 30 petites centrales hydroélectriques en Amérique du Nord : 27 aux États-Unis, trois 3 au Canada, mais une seule au Québec, à Bromptonville (sur la photo), près de Sherbrooke. (Photo: Kruger Énergie)
Comme elle le fait déjà pour la filière éolienne, Hydro-Québec devrait lancer des appels d’offres dédiés exclusivement à l’achat d’électricité produite à partir de petites centrales hydroélectriques, affirme le producteur d’énergie renouvelable Kruger Énergie. Cette stratégie stimulerait l’économie de communautés locales, en plus de renforcer la résilience du réseau d’Hydro-Québec.
«Si on fait compétitionner la petite hydraulique avec l’éolien, elle ne gagnera pas parce que son coût de production s’établit à 9 ou 10 cents le kilowattheure », affirme à Les Affaires Jean Roy, vice-président principal et chef l’exploitation de Kruger Énergie, en précisant que les coûts de production de l’énergie éolienne au Québec s’établissent à 6 cents environ.
Jean Roy – qui nous a accordé un entretien avant la dernière tempête de verglas qui a causé des pannes d’électricité majeures – explique que des appels d’offres dédiés sont nécessaires afin de relancer la construction de petits barrages au Québec, qui stagne depuis une dizaine d’années.
Kruger Énergie – une division du manufacturier de papier, de carton et d’emballages Kruger – a des sites de production d’énergie renouvelable (l’hydroélectricité, l’éolien, le solaire, la cogénération de biomasse et le stockage d’énergie) au Canada et aux États-Unis.
Dans les prochaines années, ses trois axes de développement seront la logistique verte (elle exploite déjà deux camions électriques), les petits projets d’énergie solaire dans les communautés aux États-Unis, ainsi que la production d’énergie éolienne.
30 barrages en Amérique du Nord, dont un au Québec
Kruger Énergie exploite 30 petites centrales hydroélectriques en Amérique du Nord : 27 aux États-Unis, trois 3 au Canada, mais une seule au Québec, à Bromptonville, près de Sherbrooke.
Cela dit, Kruger veut continuer à développer la filière hydroélectrique dans le marché québécois.
« On croit que cette filière a de la valeur. C’est local, ça peut aider au développement économique. Il y a des municipalités qui sont prêtes à investir dans ces projets », dit Jean Roy, en précisant que l’entreprise a actuellement pourparlers avec des communautés autochtones, dont il préfère taire le nom pour l’instant.
Le Québec compte de 90 à 100 petites centrales hydroélectriques, qui appartiennent à des entreprises privées, à des communautés autochtones ou à des municipalités, selon une estimation de l’Association québécoise des producteurs d’énergie renouvelable (AQPER).
Le dernier programme d’achat d’électricité produite à partir de petites centrales d’Hydro-Québec remonte à 2009, et ce, dans le cadre de ses activités de distribution d’électricité.
« Ce n’était pas un appel d’offres, mais un programme d’achat avec conditions approuvé par la Régie de l’énergie », précise dans un courriel Maxence Huard-Lefebvre, porte-parole de la société d’État.
En 1991, Hydro-Québec avait aussi lancé un « appel de propositions restreint » auprès des producteurs privés d’énergie pour satisfaire ses besoins en énergie électrique, notamment auprès de petites centrales hydroélectriques.
La société d’État gère ces contrats dans le cadre de ses activités de production d’électricité.
Quatre obstacles pour les petites centrales
Joint par Les Affaires, le spécialiste en énergie, Jean-Thomas Bernard, professeur auxiliaire à l’Université d’Ottawa, trouve intéressante la proposition de Jean Roy qu’Hydro-Québec fasse des appels d’offres dédiés pour la petite production hydraulique.
En revanche, il y voit quatre obstacles potentiels à son développement au Québec:
1. (Prix) – L’écart des coûts de production entre la petite hydraulique et l’énergie éolienne est beaucoup trop élevé, soit de 9 à 10 cents comparativement à 6 à 7 cents.
2. (Résilience) – L’ajout de petites centrales hydroélectriques aux quatre coins du Québec aurait relativement peu d’impact sur la résilience du réseau d’Hydro-Québec, étant donné la quantité relativement petite d’énergie qu’elles produiraient.
3. (Impact économique) – Outre la phase de construction et les redevances versées durant des années, l’impact économique d’une petite centrale hydroélectrique dans une région serait somme toute limité. Par exemple, il y aurait très peu d’emplois permanents créés une fois la construction terminée.
4. (Acceptation sociale) – Il risque d’y avoir parfois des enjeux d’acceptabilité sociale dans certaines régions.
Si le coût de production des petites centrales est plus élevé que l’énergie éolienne, Jean Roy fait valoir que leur coût d’intégration au réseau d’Hydro-Québec « risque d’être plus faible que pour les grands projets éoliens ». Les petits barrages ont une aussi une durée de vie très longue, sans parler du fait qu’un appel d’offres dédié permettrait d’obtenir des coûts de production compétitifs dans cette filière.
Pour ce qui est de la résilience, Jean Roy souligne que les barrages sont la plupart du temps situés dans des régions où il n’y a pas de parcs éoliens. « La diversification géographique de la production demeure un atout. Dans un contexte de transition énergétique, les petites centrales hydrauliques ont donc un rôle à jouer. »
À propos des retombées économiques, Jean Roy affirme que l’impact des petites centrales « peut paraître limité » à l’échelle du Québec, mais qu’il peut être « significatif » pour les communautés locales. « De plus, les modèles d’affaires développés ces dernières années permettent au milieu municipal de participer à l’actionnariat de ces projets, ce qui augmente leur contribution au milieu. »
Quant à l’acceptabilité sociale, Jean Roy indique que l’industrie a tiré les leçons du passé et qu’elle implique les communautés locales tôt dans les projets. « Si certaines régions peuvent demeurer réfractaires au développement de centrales, d’autres, au contraire, l’encouragent, d’autant plus qu’il s’agit souvent de remettre en état des infrastructures qui sont laissées à l’abandon. »
Lors de son dernier appel d’offres en énergie renouvelable, Hydro-Québec a retenu sept soumissions qui totalisent une puissance installée de 1303,36 mégawatts. Or, à l’exception d’une soumission d’Hydro-Québec production (HQP), les six autres sont uniquem
L’éolien grand gagnant des appels d’offres
Le résultat d’un récent appel d’offres d’Hydro-Québec semble donner raison à Jean Roy à propos des difficultés des petites centrales à compétitionner avec l’énergie éolienne.
Le 13 décembre 2021, la société d’État a lancé un appel d’offres pour l’achat d’électricité produite à partir de sources renouvelables (330 mégawatts de source éolienne et 480 d’autres sources renouvelables).
Au terme de ce processus, Hydro-Québec a retenu sept soumissions qui totalisent une puissance installée de 1303,36 mégawatts. Or, à l’exception d’une soumission d’Hydro-Québec production (HQP), les six autres sont uniquement des projets éoliens.
Le coût moyen des sept soumissions s’élevait à 6,1¢/kWh (en dollars de 2022), ce qui exclut le transport et l’équilibrage.
Deux entreprises ont présenté des soumissions pour de la petite production hydraulique, mais leur offre n’a pas été retenue.
Kruger Énergie, qui exploite pourtant de nombreuses centrales hydroélectriques au Canada et aux États-Unis, n’avait pas soumissionné pour cette filière – l’entreprise a en revanche présenté une soumission pour un projet éolien, mais qui n’a pas été retenu.
La commission Doyon a-t-elle encore un impact?
Jean-Thomas Bernard rappelle que l’industrie de la petite production hydraulique au Québec a peu fait de progrès depuis le dépôt du rapport de la fameuse Commission Doyon, en 1997.
Le gouvernement péquiste de Jacques Parizeau avait créé cette commission d’enquête sur la politique d’achat d’Hydro-Québec auprès de producteurs privés sur fond de rumeurs de favoritisme politique et de blanchiment d’argent durant les années 1990.
Le gouvernement libéral précédent avait alors confié à des producteurs privés plutôt qu’à Hydro-Québec la construction et la gestion de petites centrales.
Le rapport Doyon a écarté ces histoires de scandales.
En revanche, la commission Doyon a conclu « au laxisme et à l’inefficacité » de la politique des petites centrales préconisée à l’époque par les libéraux (qui avaient aussi incité Hydro-Québec à embrasser ce programme), rapporte La Presse dans un éditorial publié le 17 avril 1997 (La culture du Klondike).
Plus de 25 ans plus tard, Jean Roy ne croît pas les conclusions du rapport Doyon puissent hypothéquer l’éventuel développement de nouveaux projets de petites centrales proposés par des producteurs privés, et dont l’électricité serait achetée par Hydro-Québec.
« Si l’appel d’offres d’Hydro-Québec impliquait une participation significative des communautés locales, qu’il s’agisse de municipalités ou de Premières Nations, le débat porterait avant tout sur la pertinence de lancer un tel programme, plutôt que sur la participation des producteurs privés », insiste-t-il.
Par ailleurs, le vice-président principal et chef l’exploitation de Kruger Énergie fait valoir que le secteur de la production d’électricité par des entreprises privées « s’est beaucoup diversifié depuis 1997 et il y a une plus grande acceptation de cette production privée dans l’opinion publique ».