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La mise en marché du bois divise l’industrie à Québec

François Normand|Publié le 07 octobre 2021

La mise en marché du bois divise l’industrie à Québec

«Pour nous, ce système est plus efficace et prévisible, car la mise en marché collective marche bien», dit Vincent Miville, directeur général de la Fédération des producteurs forestiers du Québec. (Photo: 123RF)

L’initiative du Syndicat des propriétaires forestiers de la région de Québec de faire une négociation collective dans la forêt privée afin d’obtenir de meilleurs prix auprès des scieries est loin de faire l’unanimité dans le milieu.

Certains producteurs de bois, des scieries et le Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ) s’opposent à cette approche, dont la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec analyse depuis lundi des aspects techniques lors d’audiences publiques.

Ce tribunal administratif agissant également comme organisme de régulation économique a pour mission de favoriser «une mise en marché efficace et ordonnée» des produits agricoles et alimentaires ainsi que des produits de la pêche et de la forêt privée.

Le Syndicat des propriétaires forestiers de la région de Québec, affilié à l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), représente 14 600 propriétaires de boisés dans la région de Québec, et ce, des petites aux grandes exploitations.

«La Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec a déjà approuvé la modification règlementaire afin que le Syndicat négocie de façon collective les prix du bois de sciage dans les futures conventions de mise en marché», explique dans un courriel le directeur général du syndicat, Vincent Lévesque.

Il précise que le règlement est déjà en vigueur et est publié à la Gazette officielle depuis le 4 août 2021.

 

«Beaucoup de frustration et d’interrogation»

Pour sa part, Vincent Miville, directeur général de la Fédération des producteurs forestiers du Québec (dont est membre le syndicat), explique que le regroupement de propriétaires forestiers fait cette négociation collective afin de corriger une situation sur le marché qui a récemment suscité «beaucoup de frustration et d’interrogation» auprès des producteurs de bois.

En 2020-2021, les prix du bois d’œuvre ont explosé en Amérique du Nord en raison de la pandémie de COVID-19 qui a perturbé l’offre et la demande. Or, les producteurs de la région de Québec n’ont pas vraiment profité de cette bonification des cours, déplore Vincent Miville.

«Contrairement à d’autres acteurs de la chaîne de valeur, la rente ne s’est pas rendue jusqu’à nos membres», dit-il, en expliquant que le montant supplémentaire obtenu était à peine équivalent à l’inflation.

C’est la raison pour laquelle le syndicat a lancé cette approche avec laquelle il affirme pouvoir négocier de bien meilleurs prix auprès des scieries, et ce, au nom des 14 600 propriétaires de boisés.

«Pour nous, ce système est plus efficace et prévisible, car la mise en marché collective marche bien», dit Vincent Miville, en donnant les exemples de la commercialisation du lait et du sirop d’érable au Québec.

Tous les acteurs de l’industrie forestière ne sont pas d’accord avec cette approche, à commencer par certains membres du syndicat, mais qui craignent de s’exprimer sur la place publique.

Deux propriétaires qui avaient d’abord accepté de nous accorder une entrevue sous le couvert de l’anonymat — par crainte de représailles — se sont finalement désistés au dernier moment.

Un grand propriétaire forestier affirme que la négociation collective «alourdirait le processus» de commercialisation de son bois de qualité. (Photo: 123RF)

Perte de liberté et approche hybride

En revanche, un troisième membre du syndicat, un grand propriétaire forestier de la grande région de Québec, qui produit du bois de qualité, a accepté de nous parler à la condition que l’on protège son identité.

«Je suis un grand propriétaire, et j’ai donc déjà un pouvoir de négociation auprès des scieries. En étant inclus dans ce système, on perd cette liberté et ce pouvoir de vendre nos produits de manière optimale. On pourrait même perdre de l’argent», affirme cette personne.

Elle dit en revanche comprendre la raison pour laquelle les petits propriétaires sont en faveur de la négociation collective, puisqu’ils n’ont pas de pouvoir de négociation sur une base individuelle.

Notre source affirme aussi que la négociation collective «alourdit le processus» de commercialisation de son bois de qualité.

Ce propriétaire sait de quoi il parle, puisqu’une «partie importante» de sa production (le bois de qualité inférieure) est déjà commercialisée par le truchement d’une négociation collective, en l’occurrence pour le vendre aux producteurs de pâtes et papiers.

«On le voit déjà de notre côté ; la négociation collective alourdit le processus administratif, notamment au niveau financier.»

Ce grand propriétaire pense que la meilleure approche serait que la négociation collective dans la région de Québec soit implantée sur une base volontaire. Ainsi, les petits producteurs pourraient se regrouper pour se doter d’un rapport de force, tandis que les grands producteurs pourraient continuer à négocier directement avec les scieries.

En revanche, cette liberté de choix pour les membres du syndicat ne devrait pas se traduire par «une pénalité», en raison par exemple d’une hausse des cotisations syndicales, souligne notre source.

 

Incompréhension du marché, selon le CIFQ

Pour sa part, le CIFQ est contre la négociation collective dans la région de Québec, car plusieurs propriétaires ou gestionnaires d’actifs forestiers sont capables de bien tirer leur épingle du jeu pour vendre leur bois aux scieries.

En entrevue à Les Affaires, son PDG Jean-François Samray a expliqué qu’il faut faire attention aux conclusions hâtives à propos des prix du bois et de la vitesse à laquelle une variation se transmet aux producteurs.

Il souligne par exemple que le prix du bois en bille se négocie sur un marché local, alors que celui de la planche (ou du bois d’œuvre) est négocié sur un marché continental.

«Les producteurs peuvent signer des ententes annuelles avec les scieurs, et plusieurs le font. Si le prix varie en cours d’année, celui-ci sera ajusté lors de la renégociation, ce qui explique qu’il y a toujours eu un décalage d’environ 6 mois entre la hausse ou la baisse des prix payés aux producteurs», affirme Jean-François Samray.

De plus, le PDG du CIFQ fait valoir qu’il faut également tenir compte de la notion de prise de risque dans ce débat sur l’opportunité au non d’implanter une négociation collective dans la région de Québec.

«En définitive, le producteur en forêt privé a le choix de vendre ou de ne pas vendre son bois si le prix affiché ne lui convient pas. Le scieur, lui, doit continuer à opérer, peu importe le prix qu’il reçoit, car s’il met son usine sur le mode pause, il perd ses employés et ses clients et ne les retrouvera pas.»

Bref, les scieries sont essentiellement les seules à prendre des risques.