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La transformation risquée de Boralex

François Normand|Publié le 24 janvier 2020

L'entreprise revoit de fond en comble sa stratégie d’affaires, incluant une direction plus centralisée à Montréal.

Sans tambour ni trompette, le producteur d’énergie renouvelable Boralex est en train de revoir de fond en comble sa stratégie d’affaires, incluant une direction plus centralisée à Montréal pour la multinationale québécoise. Une transformation qui comprend de nombreux défis et risques.

Boralex produit de l’hydroélectricité, de l’énergie thermique issue de la biomasse ainsi que de l’énergie éolienne et solaire au Canada, aux États-Unis et en France. Depuis sa fondation en 2001, Boralex Europe, la filiale européenne dirigée par Patrick Decostre (le premier employé de Boralex sur le Vieux continent), volait sensiblement de ses propres ailes, même si elle se rapportait au siège social montréalais.

À (re)lire: «Nous nous préparons pour le futur», dit Patrick Lemaire

Les choses ont changé ce printemps, avec le déménagement puis la nomination de M. Decostre à titre de vice-président exécutif de l’exploitation de l’entreprise dirigée par Patrick Lemaire.

Nicolas Wolff, un ancien dirigeant du manufacturier danois de turbines d’éoliennes Vestas, a succédé à M. Decostre à titre de vice-président et directeur général de Boralex Europe.

En entrevue à Les Affaires, MM. Lemaire et Decostre ont expliqué que la centralisation de la direction à Montréal visait à apporter davantage de cohérence et d’efficacité dans la gestion des opérations et la planification stratégique de la société.

«Il faut essayer de rapprocher les deux continents pour apprendre de nos bons et de nos mauvais coups des deux côtés de l’Atlantique. L’arrivée de Patrick à ce nouveau poste va nous permettre d’entamer ces synergies», explique Patrick Lemaire.

Même constat du côté du principal intéressé.

«J’ai développé et dirigé la filiale de Boralex en Europe, une période durant laquelle j’ai eu une grande autonomie. Telle chose marche bien ici, telle chose marche bien en France. Il faut donc prendre le meilleur des deux mondes», insiste M. Decostre.

Le président et chef de la direction Patrick Lemaire et le vice-président exécutif de l’exploitation Patrick Decostre (Photo: Boralex)

À la recherche de clients privés

Cette chasse aux gains d’efficacité et aux meilleures pratiques est devenue une obsession chez Boralex, car son plan stratégique 2019-2023 prévoit des changements majeurs, et ce, de la relation client au financement à la diversification des marchés.

De tous les changements, c’est la mutation du marché de l’énergie qui représente le plus grand défi, alors que l’appui des gouvernements aux énergies vertes est appelé à disparaître puisqu’elles sont devenues plus compétitives que les énergies fossiles.

Toutes les énergies vertes ont le vent dans les voiles, à commencer par la solaire. Selon une récente étude de Bloomberg, de 2010 à 2019, l’énergie solaire a ajouté davantage de capacités de production que n’importe quelle autre énergie fossile (charbon, pétrole, gaz naturel).

Dans ce contexte, les cinq clients de Boralex (Hydro-Québec, Ontario Hydro, BC Hydro, Énergie de France, New York ISO) n’auront bientôt plus d’incitatifs financiers à acheter l’énergie du producteur d’énergie renouvelable.

Bien entendu, ces utilities continueront d’acheter une partie de son électricité, mais Boralex doit néanmoins trouver d’autres clients commerciaux, industriels et institutionnels afin de diversifier ses sources de revenus.

Une situation qui nécessite d’ailleurs une petite révolution interne, fait remarquer Patrick Decostre.

«Il faut développer des clients, une marque, une capacité à l’interne pour signer des contrats, une analyse des risques, car le risque de vendre directement à des clients privés est beaucoup plus élevé que celui de vendre à des utilities», dit-il.

 

Des projets plus difficiles à financer

Dans un contexte de marché énergétique décentralisé (clients privés et publics), le financement des projets sera aussi un autre enjeu de taille pour Boralex.

Car, pour un producteur d’énergie, il est beaucoup plus complexe de prévoir ses revenus dans le temps quand l’acheteur est une entreprise privée évoluant dans un marché où les prix sont dictés par l’offre de la demande.

«C’est difficile pour le financement», fait remarquer Patrick Lemaire.

Actuellement, Boralex finance ses projets avec une structure de capital ayant 75% de dette et 25% de capitaux propres.

Or, dans un marché où les contrats sont signés avec des entreprises privés, ce ratio pourrait être respectivement de 40% et 60%, selon M. Lemaire. «Pour nous, ça change complètement notre modèle d’affaires!»

La diversification des marchés est un autre enjeu, à commencer par le développement de la filière de l’énergie solaire et du stockage de d’énergie dans l’État de New York, deux activités qui deviendront les principales nouvelles sources de revenus de l’entreprise dans les prochaines années.

«C’est un axe de développement très important pour nous», souligne Patrick Lemaire. Le stockage est fondamental pour réussir dans la filière solaire, car cette énergie n’est disponible que durant la période ensoleillée.

Comme il y a peu d’occasions d’affaires au Canada actuellement, l’autre axe de croissance de Boralex dans les prochaines années sera la France dans l’éolien, mais aussi dans le solaire, selon Patrick Decostre.

Le marché français est particulièrement intéressant.

Le gouvernement veut diminuer la proportion d’électricité produite avec le nucléaire, pour la faire passer de 72% à 50% entre 2017 et 2035. De plus, Paris veut sortir totalement le pays des énergies fossiles en 2035 pour la production d’électricité.

Autant d’occasions d’affaires pour Boralex, souligne M. Decostre. «On pense que l’équilibre entre l’offre et la demande sera très différent», dit-il.

Bref, la demande sera plus forte que l’offre.