L'accueil de ces deux obligations a été pour le moins chaleureux. Elles ont été sursouscrites environ six fois, celle de Bruce Power ayant «la moitié de sa souscription parmi les investisseurs ESG», rapporte Magali Gable.
En 2021, la société canadienne Bruce Power a émis la toute première obligation verte nucléaire au monde, une émission de 500 millions de dollars (M$) destinée à la remise en état de réacteurs nucléaires existants. L’émission de Bruce Power «a marqué un tournant, en changeant la façon dont l’énergie nucléaire peut être classée et financée, et en créant un nouveau catalyseur pour la dette durable», affirme Magali Gable, directrice de la finance durable chez BMO Marchés des capitaux. Neuf mois plus tard, Ontario Power Generation (OPG) a suivi, avec une obligation verte similaire de 300 millions de dollars.
Ensemble, cela représente 800M$ de capital pour un secteur relativement nouveau. «Le marché des obligations vertes est encore jeune, ayant été lancé en 2007 avec des émissions de la Banque européenne d’investissement et de la Banque mondiale», note le rapport de DBRS Morningstar sur le rôle croissant du Canada en tant qu’émetteur.
L’investissement durable a commencé avec les prêts verts et les obligations vertes. Nombre de ces investissements sont assortis d’une «utilisation verte du produit», ce qui signifie que le produit de ces obligations est affecté à des projets verts, mais qu’il est soutenu par l’ensemble du bilan de l’émetteur.
Six fois sursouscrites
L’accueil de ces deux obligations a été pour le moins chaleureux. Elles ont été sursouscrites environ six fois, celle de Bruce Power ayant «la moitié de sa souscription parmi les investisseurs ESG», rapporte Mme Gable.
«Cela fait partie d’une résurgence du soutien à l’énergie nucléaire dans le monde entier ; les gens réalisent de plus en plus que, pour atteindre des objectifs climatiques agressifs, on en a besoin», partage de son côté Tom Li, vice-président, énergie, services publics et ressources naturelles chez DBRS Morningstar.
«Les obligations vertes sont une innovation précieuse dans le domaine de la finance et, potentiellement, une force puissante pour décarboner l’économie mondiale», déclare Jackie Cook, directrice de la gestion des investissements chez Morningstar.
Mais il s’agit d’un nouveau domaine, et bien que prometteur, Mme Cook prévient qu’il existe un risque que les prêts verts puissent également soutenir par inadvertance des modèles commerciaux à forte intensité de carbone. «Les obligations vertes, en particulier, peuvent être une catégorie d’actifs vulnérable à l’écoblanchiment», note-t-elle.
Il n’y a pas que les grands réacteurs, les petits se développent aussi
Avec 440 centrales en service, l’énergie nucléaire fournit déjà environ 10% de l’électricité mondiale, selon l’Association nucléaire mondiale. Avec 50 réacteurs en cours de construction, le nucléaire devrait représenter 15% de la production totale d’électricité.
Ce chiffre ne tient pas compte de la capacité que les nouveaux petits réacteurs modulaires (PRM), les réacteurs modulaires avancés et les microréacteurs mettront en service d’ici 2050. Il ne tient pas compte non plus de la contribution des centrales à fusion nucléaire si les projets actuels se concrétisent. Le premier PRM de ce type, construit par China Huaneng Group, alimentait le réseau électrique de la province de Shandong en décembre 2021.
Au Canada, la Banque canadienne d’infrastructure s’est associée à OPG et a engagé 970M$ dans le premier PRM. Cette unité commencera probablement à fonctionner peu après 2028, selon Biao Gong, premier vice-président, financement de projets, chez DBRS Morningstar. Après cette première mise en œuvre, le Canada prévoit d’installer au moins cinq autres PRM.
Les réacteurs nucléaires traditionnels produisent généralement entre un et cinq térawatts d’électricité. Les PRM sont conçus pour fournir entre 100 et 300 mégawatts. Celui de Shandong fournit 200 mW.
Les PRM seront-ils l’avenir de l’énergie nucléaire?
On s’attend à ce que les réacteurs PRM plus avancés produisent beaucoup moins de déchets nucléaires que leurs cousins de l’ancienne génération, car ils recycleront leurs propres déchets dans le processus de production. Ils seront également beaucoup plus sûrs, car ils s’arrêteront passivement en cas de problème.
Selon Magali Gable, 26 entreprises de technologie PRM, qui ont levé environ 6,4 milliards $ de capitaux, se préparent déjà à desservir le marché. Cela signifie que les occasions pour les obligations nucléaires vertes vont se multiplier. Le déploiement de PRM «coûtera des milliards de dollars, déclare Tom Li de DBRS Morningstar, il y a donc encore beaucoup d’émissions à venir. Lorsque les gens reconnaîtront que le nucléaire est à nouveau vert, je pense que 10% des obligations énergétiques pourraient être nucléaires à l’avenir.»