Le Québec sera-t-il un simple exécutant dans sa propre filière batterie?
Dominique Talbot|Mis à jour le 10 octobre 2024Le parc industriel de Bécancour est au coeur de la filière batterie au Québec. (Photo: courtoisie)
ANALYSE. Le rythme des annonces de projets de la filière batterie au Québec est peut-être passé au neutre, mais pour les entreprises québécoises qui souhaitent intégrer les chaînes d’approvisionnement, le temps s’accélère.
Pour le Québec, le risque de n’être qu’un exécutant de son projet économique phare des prochaines décennies est réel.
Il suffisait d’assister la semaine dernière à un événement consacré à la filière batterie organisé par Les Affaires pour constater que le désir des entreprises de profiter de cette manne est sans équivoque. Mais que le chemin pour y arriver est un grand chantier.
Au moment d’écrire ces lignes, le total des projets annoncés dans la filière avoisine les 17 milliards de dollars. À eux seuls, les projets de Northvolt, Ford EcoPro, Ultium Cam (GM), Volta et Nemaska Lithium dépassent les 10 milliards.
Bien sûr, il y a Lithion Technologies, qui semble être l’entreprise québécoise la mieux positionnée dans toute la chaîne. Il y a Lion, qui malgré ses difficultés, offre tout de même un produit innovant. Sans oublier de jeunes pousses, comme Eleqtrion, qui pense déjà à la prochaine génération de batteries, cette fois avec de l’aluminium, que le Québec produit en grande quantité et d’une qualité reconnue partout dans le monde.
Le problème, c’est que le déficit d’innovation et de productivité dans les entreprises du Québec plombe les ambitions de plusieurs. Des exemples? Depuis 2000, les dépenses en recherche et développement des entreprises au Québec ont fondu de 25%, selon le dernier rapport du Conseil de l’innovation du Québec.
En 2024, 34% des entreprises de la province ont investi pour adopter de nouvelles technologies. La même année, en Ontario, province de toutes les comparaisons, ce chiffre était de 54%.
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Sachant que l’Asie — surtout la Corée du Sud et la Chine — a au minimum une décennie d’avance sur tout ce qui touche de près ou de loin l’ABC d’une voiture électrique, ce ne sont pas des chiffres encourageants.
Précieux mégawatts
À cela, il faut ajouter la rareté de l’électricité, à laquelle les entreprises québécoises sont confrontées depuis peu. Elles doivent maintenant se battre contre des entreprises étrangères pour obtenir quelques précieux mégawatts. Et elles perdent souvent. Tout en payant, dans le cas des PME, leur électricité plus chère que les grandes entreprises d’ailleurs qui s’installent ici et bénéficient du tarif L.
Évidemment, les entreprises de construction de la province profitent pour le moment de toutes ces structures qui sortent de terre à Bécancour et en Montérégie. Et qui constitueront l’héritage économique du gouvernement de François Legault.
Mais une fois terminées, ces usines auront des besoins bien différents. Elles auront d’abord besoin d’équipements à la fine pointe de la technologie et adaptés aux batteries. Le type d’équipements que le Québec ne produit à peu près pas. Et qui doivent aussi répondre à des normes de certification spécifiques à l’industrie de l’automobile.
Elles auront aussi besoin de minéraux critiques et stratégiques, que le Québec possède en grande quantité, mais qu’il n’a pas eu l’habitude de transformer dans son histoire. À part les usines en construction de Nemaska Lithium et à venir de Nouveau Monde Graphite, les projets sont rares.
Finalement, toutes ces entreprises auront besoin d’un savoir que le Québec possède peu ou pas. À ce sujet, bien des programmes de formation ont déjà été mis sur pied ou sont en voie de l’être dans une dizaine d’institutions, afin de fournir une main-d’œuvre qualifiée.
Mais selon les plus récentes données consultées par Les Affaires, environ 70 % des milliers d’emplois qui seront bientôt disponibles sont destinés à l’opération quotidienne des usines. Des emplois qui nécessitent des formations collégiales ou professionnelles et qui, en tout respect, relèvent beaucoup plus de l’exécution que de l’innovation.
Sans compter que le gouvernement de François Legault semble se traîner les pieds dans le financement de l’École de la batterie, qui doit voir le jour à Bécancour.
Et il ne faut pas oublier que dans ses négociations pour attirer ici les géants de la batterie au moyen de généreuses subventions, souvent calquées sur celles offertes aux États-Unis, le gouvernement ne les a pas soumis à des investissements en recherche et développement en territoire québécois.
Que resterait-il s’ils pliaient tous bagage dans 5, 10 ans ? Poser la question, c’est y répondre en grande partie.
Pour le moment, force est de constater que la filière batterie est donc principalement composée d’entreprises étrangères qui installent ici des technologies étrangères dont la propriété intellectuelle est ailleurs. Pour des voitures qui seront construites à l’extérieur du Québec.
Un exemple ? À peu près toutes les machines qui équiperont l’usine Ultium Cam, coentreprise formée par GM et la sud-coréenne Posco, viendront de Corée du Sud, confiait la semaine dernière Simon Thibault, leader, achat global, chez GM.
Tout porte à croire qu’il en sera de même chez le compétiteur Ford EcoPro BM, un autre consortium formé d’un constructeur américain et d’une entreprise sud-coréenne du secteur des batteries pour véhicules électriques.
Beaucoup d’incertitude plane au-dessus du projet de Northvolt, mais en Suède, son usine phare de Skellefteå est équipée de machines asiatiques, notamment de la Chine. Et sa recette de batterie est en Suède.
Moindre coût
Les grands donneurs d’ordre qui participaient à la conférence Les Affaires la semaine dernière ont été clairs sur deux aspects. D’abord, la bonne nouvelle. Pour des raisons stratégiques et d’efficience, elles cherchent une chaîne d’approvisionnement la plus courte possible.
Mais la mauvaise, c’est que si une entreprise d’ici propose des équipements ou des technologies qui coûtent le double de ce qui se fait actuellement en Asie ou ailleurs, ce sera non. Autrement dit, être une entreprise locale, c’est bien gentil, mais ce n’est pas assez. Il faut coûter moins cher, offrir des équipements innovants et standardisés. Le défi est de taille dans une province qui n’innove pas suffisamment, ce qui a un effet direct sur la productivité.
Au printemps dernier, l’ancien vice-président Achat québécois et développement chez Investissement Québec, Stéphane Drouin, avait lui aussi sonné l’alarme. « Au Québec, nous avons un retard de productivité, qui, malheureusement, se reconfirme avec tous les projets à venir. Ces grands projets-là vont nous échapper si on ne fait pas les bonnes choses », avait-il confié à Les Affaires.
Le chemin pour intégrer les chaînes d’approvisionnement de la filière batterie s’annonce ardu pour les entreprises québécoises. Le défi de l’innovation est immense pour qu’elles ne soient pas de simples spectatrices de la grande parade de l’électrique qui défilera dans leur cour arrière. Avec des milliers d’employés qu’elles convoitent tant.
Triste ironie dans une province qui, pendant des décennies, ne savait plus quoi faire de toute son électricité.