Lithium Amérique du Nord est sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies depuis mai 2019. (Photo: courtoisie)
Une étape cruciale devait être franchie ce vendredi à la Cour supérieure du Québec dans la saga du rachat de Lithium Amérique du Nord (LAN) par l’australienne Sayona Québec, mais elle le sera plutôt le lundi 28 juin.
Ce matin, le juge Martin Castonguay devait entendre la cause, mais il a reporté l’audience au 28 juin, car il lui manquait des informations de la part du syndic Raymond Chabot Grant Thornton pour entériner la vente de LAN à Sayona Québec.
Dans 10 jours, le juge entendra aussi la requête de deux entreprises québécoises qui contestent le processus qui a mené Investissement Québec à choisir l’australienne Sayona Québec pour reprendre les activités de la mine en Abitibi-Témiscamingue.
Ces deux entreprises sont Central America Nickel et SRG Mining, qui ont leur siège social à Montréal. Elles ont présenté des offres d’achat pour acquérir LAN, mais qui n’ont pas été retenues.
La première est spécialisée dans le traitement et la purification des métaux dits énergétiques comme le nickel, le cobalt et le cuivre, tandis que la seconde a des projets miniers en Afrique de l’Ouest, dans le graphite et les métaux de base.
Le 28 juin, le juge Castonguay pourrait donc entériner la vente de LAN à Sayona Québec.
Toutefois, il est possible qu’il suspende temporairement ce processus afin de vérifier les allégations des deux entreprises. Le juge pourrait aussi écarter la soumission de Sayona Québec et ordonner qu’on recommence le processus d’appel d’offres.
Central America Nickel était l’une des deux entreprises toujours en lice à la fin du processus d’appel d’offres.
LAN est sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies depuis mai 2019. Elle est contrôlée par le manufacturier chinois de batteries CATL et Investissement Québec (le bras financier du gouvernement québécois), les deux actionnaires ayant des créances garanties.
Lithium Amérique du Nord cherche un investisseur pour prendre la place de la chinoise Jien International Investment (le troisième actionnaire, sans créance garantie), qui avait racheté en 2018 Québec Lithium avec IQ.
C’est le 27 mai qu’Investissement Québec a annoncé une entente en vertu de laquelle Sayona Québec — détenue à 75% par l’australienne Sayona Mining et à 25% par l’américaine Piedmont Lithium — a été choisie pour reprendre LAN.
Cette entente est survenue dans le cadre d’un long processus judiciaire supervisé par Raymond Chabot Grant Thornton (le contrôleur).
«Irrégularités sérieuses»
Or, la même journée, Central America Nickel et SRG Mining ont sommé le gouvernement de refaire ses devoirs, critiquant un processus entaché «d’irrégularités sérieuses».
Dans une lettre adressée au premier ministre François Legault le 27 mai dont Les Affaires a obtenu copie, les deux minières ont notamment souligné que le cabinet d’avocat engagé par Investissement Québec (McCarthy Tétrault) est le même cabinet que celui représentant Sayona Québec.
Aux yeux des deux minières, cette situation «les place tout au moins en apparence de conflit» d’intérêt, peut-on lire dans cette lettre signée par Me Jacques Bouchard, avocat au cabinet Gattuso Bourget Mazzone, qui représente les deux minières.
Cette semaine, Central America Nickel et ABF Mines, une entreprise de Val-d’Or (et un créancier ordinaire de LAN), ont produit une requête au dossier de LAN à la Cour supérieure du Québec — les deux sociétés sont représentées par Gattuso Bourget Mazzone.
Cette requête contient plusieurs nouvelles allégations, qui s’appuient sur un rapport fait par Raymond Chabot Grant Thornton.
- Selon les co-requérants, Sayona Québec aurait présenté deux offres d’achat (avec deux prix différents) pour LAN, alors que les autres entreprises intéressées n’en ont présenté qu’une seule.
- Selon les co-requérants, Sayona Québec n’aurait pas respecté la date butoir du 6 avril pour présenter au moins une offre.
- Selon les co-requérants, Investissement Québec n’aurait pas communiqué au contrôleur Raymond Chabot l’Assumption Agreement conclu avec Sayona Québec. Malgré tout, le contrôleur a recommandé à la société d’État de vendre LAN à Sayona Québec.
- Selon les co-requérants, la soumission de Sayona Québec acceptée avait un dépôt de 4 millions de dollars (M$), alors que ce dépôt aurait dû s’élever à 9,8 M$ puisque c’est la seconde offre la plus élevée de Sayona Québec qui a été retenue.
Dans la requête, les co-requérants demandent trois choses à la Cour supérieure du Québec: qu’on remplace le contrôleur Raymond Chabot Grant Thornton, qu’Investissement Québec communique l’entente conclue avec Sayona Québec et qu’on lance un nouveau processus d’appel d’offres.
Investissement Québec et Raymond Chabot Grant Thornton ont décliné notre demande d’entretien pour commenter ces allégations.
Central America Nickel dit avoir la meilleure offre
En entrevue à Les Affaires, le patron de Central America Nickel, Pierre Gauthier, ne s’explique toujours pas la raison pour laquelle Investissement Québec a préféré l’offre d’achat de Sayona Québec à la sienne — il se défend toutefois d’être un «mauvais perdant».
«On remboursait les créanciers de LAN, on remboursait Investissement Québec, on faisait de la deuxième transformation de lithium au Québec, en plus de bien positionner le Québec dans la transition énergétique pour les batteries de véhicules électriques», dit-il, en affirmant qu’il n’a jamais vu en carrière un processus d’appel d’offres avec autant «d’irrégularités».
Depuis le dépôt des soumissions en avril, Sayona Québec n’accorde pas d’entretien aux médias.
Selon nos informations, Sayona Québec s’est engagée à faire de la deuxième transformation de lithium au Québec, mais seulement d’ici 5 ans.
Cette minière a déjà deux projets en Abitibi-Témiscamingue: le projet Authier Lithium (extraction et concentration de minerai contenant du lithium) et le projet Tansim, une propriété sur laquelle la société détient des titres miniers.
Sayona Québec a aussi une entente avec l’américaine Piedmont Lithium (qui détient 25% de son capital), située en Caroline du Nord, pour lui vendre la moitié de la production future de ses projets Authier et Tansim, et ce, pour réaliser de la deuxième transformation de lithium aux États-Unis.