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L’ère des surplus terminée, celle des choix a commencé

Dominique Talbot|Publié le 29 juin 2023

L’ère des surplus terminée, celle des choix a commencé

Départ de Sophie Brochu, pannes majeures de courant, verglas, construction de nouvelles infrastructures. Hydro-Québec a occupé une grande partie de l’actualité depuis un an.

Pour faire le point sur la situation énergétique au Québec, la rédactrice en chef du journal Les Affaires, Marine Thomas, s’est entretenue avec Dave Réhaume, vice-président, planification intégrée des besoins énergétiques et risques, chez Hydro-Québec, dans le cadre de la Conférence de Montréal.

En quelques années, nous sommes passés d’une ère de surabondance d’électricité, de surplus, à une ère de rareté. Certains analystes disent que c’est en raison d’un manque de planification de la part d’Hydro-Québec. Qu’est-ce que vous répondez à ces propos?

Avec la crise de 2008 et des changements dans les filières énergétiques, nous nous sommes retrouvés avec des surplus importants. Depuis les dernières années, on a environ 15% de l’électricité du Québec qui est invendue à l’avance.

Même les marchés autour de nous n’étaient pas prêts à contracter ces 30 térawatts-heures (TWh) d’énergie.

Mais il s’est passé trois choses. D’abord, il y a une matérialisation des politiques de décarbonation dans les entreprises d’énergie. Donc il y a des joueurs, à New York et au Massachusetts, qui ont signé des ententes fermes.

Deuxièmement, il y a une accélération importante de la demande énergétique au Québec en raison de l’électrification. Les véhicules, mais aussi dans les entreprises.

Dans un troisième temps, il y a un engouement sans précédent de clients énergivores, d’entreprises qui cherchent de l’énergie abordable et renouvelable.

Hydro est encore en surplus important, mais au cours de la prochaine décennie, on va passer de surplus à une rareté. Donc il faut développer des infrastructures et mettre en place des programmes d’efficacité énergétique pour compenser cette tendance. 

Pour accroître cette offre, le premier ministre veut augmenter la production de 50%. C’est un demi Hydro-Québec. C’est ambitieux, mais est-ce réaliste? Comment allez-vous y arriver?

C’est un chiffre qui provient de notre propre plan stratégique, donc nous sommes très à l’aise avec celui-ci. Le demi Hydro-Québec, dans notre plan stratégique, on a dit plus de 100 TWh. C’est ce qui était anticipé pour atteindre les cibles de décarbonation. On ne va pas y arriver demain.

Aujourd’hui, on communique quatre grands axes.

Le premier, c’est celui de l’efficacité énergétique. On le reconnaît, Hydro-Québec n’a pas mis de l’avant l’efficacité énergétique au maximum dans la dernière décennie. C’est normal, nous étions en surplus importants. Mais il ne faut pas attendre d’en manquer pour les mettre de l’avant. Dès aujourd’hui, malgré les surplus importants, il faut accélérer l’efficacité énergétique. Actuellement, on travaille sur un plan de 25 TWh. C’est trois fois le complexe de La Romaine.

Le deuxième : l’éolien. Aujourd’hui, énergie pour énergie, c’est la solution la plus compétitive au Québec. Donc il faut avoir une stratégie agressive de développement de la filière éolienne.

Le troisième : investir dans nos centrales existantes. Nous pensons avoir 2000 mégawatts de puissance supplémentaires que nous sommes capables d’aller chercher avec nos ouvrages existants. C’est de la gestion efficace de nos ressources.

Finalement, nous regardons pour le développement de nouvelles infrastructures. Nous avons annoncé une étude préliminaire pour la rivière du Petit Mécatina sur la Côte-Nord. Il faut toutes regarder les options.

Vous l’avez dit, vous venez de signer des contrats importants avec New York, notamment. Dans un moment où on essaie d’augmenter notre propre capacité, est-ce que nous ne devrions pas arrêter d’exporter vers nos voisins américains?

Je dirais que le rôle d’Hydro-Québec est multiple. Le rôle de rendre de l’énergie disponible aux Québécois est essentiel. C’est le métier de base. En même temps, l’enrichissement collectif, pour contribuer aux programmes sociaux, fait aussi partie du rôle d’Hydro-Québec. Donc, ce que nous avons, ce sont des marchés aux alentours qui sont prêts à payer des primes importantes par rapport à la valeur de l’énergie au Québec, donc qui aident à accroître notre richesse.

La deuxième chose que cela va permettre, ce que l’on voit s’en venir, c’est que les marchés autour de nous n’ont pas la même capacité d’entreposer l’énergie. Il y a une seule vraie façon de le faire (pour le moment). C’est quand tu as de l’hydroélectricité, tu peux stocker l’eau. Au Québec, nous avons des capacités de réservoir très grandes par rapport au reste du marché.

Et ce que l’on voit, ce sont les marchés autour de nous qui ajoutent de l’éolien et du solaire. Ils vont arriver dans des moments de la journée, de l’année, où ils auront plus de production que de consommation, donc des surplus. À ce moment, ce que nous pourrions faire, c’est réduire notre propre production, conserver notre eau et acheter leur électricité excédentaire. Et dans les périodes de faible production et de forte consommation chez eux, faire l’inverse. Turbiner plus d’eau et leur revendre.

L’accélération de la technologie fait que les énergies renouvelables sont de moins en moins chères et de plus en plus accessibles. Est-ce que vous pouvez nous parler du rôle de l’innovation, de la technologie, pour nous aider à relever le défi de la transition?

Je vais commencer par l’hydrogène. Il y a un an ou deux, il y avait beaucoup de discussions. Et on dit souvent que le but n’est pas d’électrifier, mais de décarboner.

À court terme, chez Hydro, nous avons réduit nos ambitions avec cette technologie parce que c’est très énergivore. Ça prend beaucoup d’électricité pour produire de l’hydrogène vert. Ce n’est pas l’énergie qu’on priorise.

À court terme, les technologies que l’on priorise tournent beaucoup autour de la gestion des pointes de consommation. On a annoncé il y a deux ou trois ans la filiale Hilo, qui vise à optimiser la consommation dans les périodes de pointe.

Au Québec, 50% de ce que l’on consomme est l’hiver, en pointe, en raison du chauffage. Au même moment, les appareils ménagers fonctionnent et le véhicule électrique qui est à 90% plein, continue de se charger. Peut-être même un jour, il renverrait de l’électricité vers le système.

Les technologies derrière le compteur électrique, au cours de la prochaine décennie, ça sera l’âge d’or de ce déploiement.

Le gouvernement a affirmé qu’il voulait qu’on devienne le premier état carboneutre en Amérique du Nord. En parallèle, on sait qu’il y a des entreprises qui sont attirées par l’énergie verte au Québec, surtout les plus énergivores. Comment on peut réussir la course à la carboneutralité tout en satisfaisant une demande qui va augmenter et sans refuser des projets intéressants pour le Québec?

Le Québec a deux longueurs d’avance par rapport à la concurrence. D’abord, on est plus électrifié qu’ailleurs. Et notre électricité est plus renouvelable qu’ailleurs. On est à 99,7% dans notre mixte énergétique.

Selon nous, ça nous place en excellente position pour être la première juridiction zéro carbone. La question est la vitesse avec laquelle nous allons y arriver et comment équilibrer la décarbonation d’une activité existante versus l’enrichissement collectif avec de nouvelles activités.

Au final, c’est au gouvernement de décider. Nous, chez Hydro, nous sommes là pour desservir.

De nombreux industriels se sont plaints du climat d’incertitude, du manque de prévisibilité. Est-ce qu’il y a une façon qu’Hydro-Québec peut répondre à ces inquiétudes pour permettre aux industriels de mieux planifier la suite?

On la sent cette pression. Ce n’est pas toujours facile quand des équipes rencontrent des développeurs pour dire que l’ère des surplus très élevés est presque terminée. Qu’ils ne peuvent pas travailler comme s’il n’y avait pas de contrainte de disponibilité.

Et quand ils nous demandent comment nous pensons que le classement des meilleurs projets va se faire, on dit la même chose que pour la question de l’accessibilité depuis des décennies. Est-ce que votre projet s’inscrit bien dans le milieu? Est-ce qu’il a l’appui des communautés locales? Est-ce qu’il s’inscrit dans la filière stratégique de décarbonation que le Québec veut privilégier? Et est-ce qu’il favorise l’enrichissement collectif?

Un des titres qui ont fait les manchettes cette année, c’est le départ de Sophie Brochu. Selon vous, quels sont les principaux défis de votre futur patron Michael Sabia?

Pour moi, le plus gros défi des sociétés modernes en matière de décarbonation, c’est la double acceptabilité des infrastructures versus les coûts.

La décarbonation va causer des coûts. Mais on ne peut laisser entendre que nous allons décarboner le Québec, l’Amérique du Nord, sans un coût supplémentaire sur notre système actuel. Aujourd’hui, ce coût est environnemental.

À mesure que nous voudrons affronter ce défi, il va y avoir une facture. Donc, la question de l’accessibilité, la vitesse à laquelle on déploie des infrastructures sur le terrain, mais aussi combinée à l’impact que cela aura sur le prix que les ménages paient me semble être un gros défi.

 

Les questions et réponses complètes de l’entrevue ont été éditées afin d’alléger le texte et faciliter sa compréhension.