Les sociétés pétrolières et gazières soumises à un plafond d’émissions en 2030
La Presse Canadienne|Publié à 14h41Steven Guilbeault a rappelé que les profits du secteur pétrolier et gazier ont décuplé après la pandémie. (Photo: Adrian Wyld La Presse Canadienne)
Ottawa — Les producteurs de pétrole et de gaz au Canada devront réduire, entre 2030 et 2032, leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) d’environ le tiers par rapport au niveau de 2019, prévoit un projet de réglementation présenté lundi par le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault.
Le secteur du pétrole et du gaz est responsable du tiers des émissions de gaz à effet de serre au pays et il doit maintenant faire sa part et réduire ses émissions, a lancé le ministre de l’Environnement lors d’une conférence de presse lundi.
Steven Guilbeault a rappelé que les profits du secteur pétrolier et gazier ont décuplé après la pandémie, «passant de 6,6 milliards de dollars en 2019 à 66,6 milliards de dollars (G$) en 2022», et que ce secteur doit réorienter «ces profits records» vers la décarbonation.
L’industrie devra réduire ses émissions d’au moins un tiers d’ici 2030 selon le plan des libéraux.
La réglementation, qui a environ deux ans de retard sur le calendrier, pourrait affecter davantage les relations entre Ottawa et le gouvernement de l’Alberta, qui a récemment lancé une campagne publicitaire de 7 millions de dollars pour «supprimer le plafond».
Pour les libéraux, la réglementation remplit une promesse électorale de 2021 visant à forcer le secteur de l’énergie à faire sa part dans la lutte contre les changements climatiques.
Or, un éventuel nouveau gouvernement conservateur aurait tout le loisir d’annuler cette réglementation.
Il est prévu que le plafond entre en vigueur en 2030, mais celui-ci tombera s’il y a «abrogation», ont indiqué de hauts fonctionnaires au cours d’une séance d’information technique destinée aux médias. Il s’agit de la «même situation pour chaque réglementation», a-t-on soutenu.
En entrevue avec La Presse Canadienne, M. Guilbeault a dit que tout le monde devait «faire sa juste part».
M. Guilbeault a souligné que l’industrie pétrolière et gazière est une source majeure d’émissions, mais qu’elle a fait moins que la plupart des autres secteurs pour les réduire dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques.
«Je pense que la plupart des Canadiens — même ceux qui ne sont pas mes plus grands admirateurs — conviendraient qu’il n’est pas acceptable qu’un secteur ne fasse pas sa part, et c’est principalement l’objectif de ce règlement», a-t-il expliqué.
Les opérations pétrolières et gazières en amont, y compris la production et le raffinage, ont contribué à environ 31% des émissions totales du Canada en 2022.
Le règlement propose de forcer les émissions des opérations pétrolières et gazières en amont à diminuer de 35 % par rapport à 2019, entre 2030 et 2032.
Même si le système de plafonnement et d’échange n’entrerait en vigueur qu’à compter de 2030, de 2026 à 2029 «les exploitants seraient tenus de consigner et de déclarer leurs émissions et leur production».
Malgré tout, les exploitants bénéficieront d’un «délai de grâce» de quatre ans durant lequel ils n’auront pas à démontrer qu’ils réduisent de 27 % leurs émissions par rapport à leur niveau de 2026.
Les émissions du secteur ont déjà diminué de 7 % entre 2019 et 2022 – l’année la plus récente pour laquelle des statistiques sont disponibles – avec des niveaux de production similaires.
Par ailleurs, Ottawa estime que son «projet de règlement ne devrait pas avoir d’incidence sur le coût des articles de tous les jours, comme le carburant ou l’épicerie», peut-on lire dans les documents publiés lundi.
On fait valoir que «les prix du pétrole et du gaz correspondent à la demande du marché mondial et ne reflètent généralement pas le coût de production».
La production inchangée, selon Ottawa
M. Guilbeault est conscient qu’il y aura des réactions négatives, mais il dit être déterminé à atteindre les objectifs climatiques des libéraux. Le gouvernement est également catégorique sur le fait que le règlement peut être mis en œuvre avec la technologie existante, sans réduire la production.
Selon M. Guilbeault, les modèles fédéraux montrent que, même avec la réglementation, la production de pétrole et de gaz augmentera toujours de 16 % d’ici 2032, par rapport à 2019.
Le ministre plaide que la réduction des émissions du secteur pétrolier canadien est la seule façon pour le pétrole canadien de rester compétitif dans un monde qui recherche de plus en plus l’option la plus verte disponible.
«Dans un monde où les émissions de carbone sont limitées, les gens qui continueront à demander du pétrole demanderont du pétrole à faible émission, a-t-il indiqué. Et si nos entreprises et notre secteur pétrolier et gazier ne font pas les investissements nécessaires pour y parvenir, ils ne pourront pas être compétitifs dans ce monde.»
Le plafond ne dicte pas ce que les entreprises doivent faire pour atteindre l’objectif, mais M. Guilbeault a noté que la modélisation suggère qu’environ la moitié des réductions proviendra de la réduction des émissions de méthane. Ces réductions se produisent déjà, car les producteurs de pétrole installent des équipements pour empêcher les fuites de méthane qui étaient une source majeure d’émissions.
Le reste sera réparti entre diverses technologies, notamment la capture et le stockage du carbone. Ottawa devrait dépenser environ 12,5G$ en crédits d’impôt pour encourager et aider les entreprises à investir dans ces systèmes qui piègent le dioxyde de carbone et le renvoient dans le stockage souterrain.
Les grandes lignes de la politique ont été décrites il y a près d’un an lorsque M. Guilbeault a publié un «cadre» pour le plan, qui promettait de forcer les émissions de la production pétrolière et gazière en amont à baisser jusqu’à ce qu’elles soient entre 35 et 38 % inférieures en 2030 à celles de 2019.
Le projet de règlement, qui sera ouvert aux commentaires du public jusqu’en janvier 2025, a finalement choisi l’extrémité inférieure de cette fourchette. Le ministre Guilbeault affirme que cette décision a été prise après de longues discussions sur ce qu’il était possible de réglementer sans forcer la baisse de la production.
Un système de plafonnement et d’échanges
Des unités d’émission seront accordées aux installations pétrolières et gazières assujetties au système de plafonnement et d’échange.
Au fil des ans, le gouvernement accordera moins d’unités, ce qui devrait encourager les exploitants à réduire leurs émissions. Si un exploitant ne possède pas suffisamment d’unités pour couvrir ses émissions, il pourra alors en acheter à un autre exploitant.
Selon les plans du gouvernement, le système serait en place en 2030.
«La première période de conformité, soit 2030-2032, serait fixée à 27 % en dessous des émissions déclarées pour 2026, ce qui équivaut, selon les estimations, à 35 % en dessous des émissions de 2019», peut-on lire dans un document d’information remis aux médias.
Le gouvernement utiliserait donc les émissions déclarées de 2026 pour fixer le premier niveau de plafonnement.
Les grands émetteurs commenceraient à déclarer en 2027 leurs émissions et les petits exploitants commenceraient en 2029, selon le document.
Des conséquences attendues en Alberta
La première ministre de l’Alberta a vivement réagi à l’annonce du gouvernement fédéral.
«Ne vous y trompez pas, ce plafond viole la Constitution canadienne», a écrit Danielle Smith dans un communiqué en faisant référence à l’article 92A qui «confère clairement aux provinces la compétence exclusive sur l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables».
Selon la première ministre albertaine, «ce plafond nécessitera une réduction de la production d’un million de barils par jour d’ici 2030» et «mènera l’Alberta et notre pays vers un déclin économique et sociétal».
La fin de semaine dernière, les membres du Parti conservateur uni au pouvoir de Mme Smith ont voté massivement en faveur d’une résolution visant à abandonner les plans de la province pour réduire les émissions et à déclarer le dioxyde de carbone comme un élément essentiel à la vie et non comme un polluant.
Le chef conservateur fédéral Pierre Poilievre a également promis de supprimer la réglementation sur les plafonds d’émissions.
Mia Rabson, Émilie Bergeron et Stéphane Blais ont contribué à ce texte