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L’évaluation environnementale stratégique est incontournable

Le courrier des lecteurs|Publié le 13 février 2024

L’évaluation environnementale stratégique est incontournable

«Mais où installer la méga-usine? Nous avons discuté d’un principe fondateur raisonnable, le reste coulerait de source!» (Photo: Northvolt)

Un texte de Michel Pagé, Montérégie


COURRIER DES LECTEURS. Un texte d’opinion de messieurs Mario Denis et Louis-Gilles Francoeur publié dans Le Devoir sous le titre « Un détournement de l’esprit, sinon de la lettre de la Loi sur la qualité de l’environnement » fournit un éclairage utile sur la raison et le fondement de ladite Loi. Il situe les responsabilités du ministère de l’Environnement eu regard à l’obligation de mener des évaluations environnementales stratégiques. 

Cela nous amène à deux questions subsidiaires: 

1. L’évaluation en amont des effets cumulatifs des projets constituerait un préalable à la prise de décision éclairée et judicieuse du développement durable d’un gouvernement ou d’une entreprise écoresponsable, réfléchir et évaluer avant d’agir évite bien des situations de problèmes. 

2. Mais, s’il y a détournement de l’esprit et contravention à la lettre de la loi, n’y-a-t-il pas crime ou à tout le moins délit contre l’environnement, et alors matière à poursuivre les responsables ? Telle est la question que nous soumettons à l’ensemble des citoyens préoccupés par les dérives environnementales cumulatives potentielles de mégaprojets, tels ceux autour de la filière des batteries Li, question singulièrement liée à la non-acceptabilité sociale d’un projet aux multiples facettes, aux conséquences ou aux implications cachées, de l’implantation d’une giga-usine Northvolt-sur-Richelieu. 

Nous avions déjà soulevé la question de l’évaluation des impacts cumulatifs d’un projet juxtaposé à un ensemble d’autres projets préexistants ou planifiés dans le cadre de séances de consultation publique sur le projet de terminal portuaire Sorel-Tracy tenue par l’Agence d’évaluation d’impact du gouvernement du Canada (Contrecœur, Port de Montréal; Sorel, QIT). Nous avions alors donné à entendre que le concept suivant devrait dûment prévaloir: «Une exigence claire, préalable à l’élaboration de tout projet de ce genre, en plus de prendre en considération l’impact sur les milieux humides, les berges et les battures, devrait répondre à une exigence de cohérence du développement régional. Ce projet singulier aurait le potentiel de faire basculer un équilibre environnemental minimal des écosystèmes et de la qualité de l’eau, d’être une charge supplémentaire qui ferait basculer le verre, car justement on ne tient pas compte des effets cumulatifs d’un ensemble de projets ou de constructions d’infrastructures ou d’usines présentés à la pièce… » (novembre 2022, réitéré en 2023). 

Un ensemble de projets porturo-industriels ont une incidence globale, au-delà de la répercussion spécifique de chacun pris séparément, projet par projet.

Par ailleurs, la question du détournement de l’esprit de la lettre de la Loi sinon du non-respect de la Loi nous ramène à un texte en partie publié ici, par lequel nous évoquions la pertinence de conférer un statut juridique à l’environnement naturel. 

Un mouvement se profile par lequel des militants et des juristes du monde entier tentent de faire reconnaitre que les atteintes les plus graves portées à la nature constitueraient un crime. On aura fait avancer le concept d’écocide dans le droit international. C’est un levier moins connu pour contraindre l’activité industrielle, mais qui traduit bien qu’il faille faire avancer la loi pour protéger l’environnement. En France, un texte de loi mentionnerait désormais le délit d’écocide, grâce notamment à la convention citoyenne pour le climat. Un délit et non un crime contre l’environnement ? La précision aura son importance, car ce principe d’écocide est maintenant inscrit dans le droit européen. L’écocide concerne alors « la destruction intentionnelle, en tout ou en partie, de l’écosystème… » 

À l’heure où se combinent les entreprises d’extractions minières à des projets d’extraction et un régime de claims miniers tous azimuts pour des minéraux stratégiques ou des terres rares que requièrent les nouvelles technologies, des bouleversements subséquents ajouteraient aux précédents; il y aurait le risque que des régions basculent dans des chaos environnementaux insoutenables. Il est plus que temps d’introduire ces principes d’évaluation environnementale des répercussions cumulatives, globales et d’écocide. Ce serait-là s’extirper utilement de la saga en développement du dossier Northvolt et de la filière batteries-Li, sans que la population n’ait été dûment consultée. Il faut bien définir le cap avant de s’aventurer sans rigueur ni garantie, à l’aveugle!

Que veut la population faire de son avenir et de son destin, ici environnemental ? Tel est au fond le questionnement préalable d’intérêt pour tous, incluant les entrepreneurs et les grandes entreprises pérennes.

 

Et, à quoi sert une loi si elle est désarmée ?

À quoi sert une grande loi, si le gouvernement même en détourne l’esprit ou viole la lettre de la loi ? À long terme, la délinquance d’un tel gouvernement serait préjudiciable à un état de droit stable, voire à la viabilité d’un régime démocratique. L’incohérence deviendrait un obstacle même pour créer et pour entretenir un climat propice à la prospérité économique, et nommément à une économie écologique vitale. L’« ekois » d’économie ou d’écologie ramène à l’ordre dans sa maison. On ne peut pourrait plus être un bon économiste sans être minimalement un écologiste — on peut être comptable, mais point économiste de bon jugement —. Des lois claires, des orientations nettes, des balises contraignantes, mais bien définies et raisonnables ne rebufferont pas les investisseurs responsables, n’aboliront point des avantages comparatifs fondamentaux; le flou et l’arbitraire, les zones sombres voire ténébreuses, ne sont propres qu’à entrainer des désistements ou à alimenter un régime parallèle de tractations d’officines et de magouilles de profiteurs. En bout de piste, un climat d’opposition et de non-acceptabilité sociale en découlerait à coup sûr. Si cela est honnête et juste, que cela soit transparent et donne lieu à une reddition normale des comptes.

Au cumul, se conjugueraient le non-respect des Lois sur l’environnent et le manque de rigueur et l’improvisation au plan économique, dont tant aura été critiqué par un ensemble d’analystes économiques ou financiers : trop de subventions et de conditions préférentielles à de grandes entreprises, sans garanties ou exigences normales, sans transparence, sans analyses économiques validées… Cela ne présage point d’un enrichissement pour le peuple, mais d’un appauvrissement systémique, comme dans tant de dossiers antérieurs cautionnés par des gouvernements successifs. Et tout cela inscrit à terme un défi démocratique insoutenable, un climat de désobéissance civile, une fragmentation de la cohésion sociale.

Et, il ne faudrait pas alors s’étonner que le climat d’improvisation et le manque de rigueur ne mènent à des contestations à répétition devant les tribunaux, maintenant sous la fronde de la non-acceptabilité sociale ou de l’ensemble des mouvements environnementalistes, ultérieurement — qui sait? — pour des raisons de santé publique, d’accidents dans des milieux villageois, voire de catastrophes environnementales sur le Richelieu ou le fleuve. Il aurait mieux valu se plier dès l’origine à l’obligation de mener des évaluations environnementales stratégiques, la chose serait maintenant entendue et résolue! On n’apprend jamais, pourtant la Banque mondiale aura tiré depuis des lustres des leçons de ses échecs dans la mise en œuvre de grands projets dans des pays en voie de développement: créer l’acceptabilité sociale et évaluer les répercussions en amont.