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L’industrie pétrolière pourrait créer une crise financière

François Normand|Publié le 14 février 2020

Un rapport-choc d'une agence gouvernementale finlandaise fait jaser de plus en plus dans le secteur de l'énergie.

Décarboner l’économie est non seulement crucial pour l’environnement, mais c’est aussi une nécessité afin d’éviter que les problèmes de l’industrie pétrolière ne provoquent une nouvelle crise financière comme en 2008.

Voilà l’une des conclusions d’un rapport publié le 22 décembre par la Geoligical Survey of Finland (GSF), une agence gouvernementale finlandaise, et qui s’intitule Oil from a Critical Raw Material Perspective (voir conclusions à la section 20, Prognosis and conclusions).

Passé sous l’écran radar des grands médias internationaux, ce volumineux rapport de 510 pages analyse de fond en comble les activités de l’industrie pétrolière, et ce, de l’offre à la demande en passant par la santé financière des producteurs.

Or, selon ce rapport, l’industrie pâtit de plusieurs problèmes qui risquent d’avoir bientôt un impact désastreux sur l’économie et le système financier.

PROBLÈME #1 – Les nouvelles découvertes de pétrole sont limitées

Les nouvelles découvertes de pétrole «sont limitées», souligne le rapport. Par exemple, en 2017, le taux de succès des activités d’exploration s’est établi à un plancher historique de 5%.

Les quantités de pétrole découvertes en 2017, 2018 et 2019 affichent d’ailleurs les niveaux les plus faibles enregistrés depuis les premières découvertes de pétrole. En fait, le taux de découverte durant ces trois années représente environ 10% du taux observé dans les années 1960.

 

PROBLÈME #2 – La production de pétrole est plus difficile et coûteuse

Environ 70% de la production mondiale provient de champs de pétrole découverts avant 1970. De plus, la qualité du pétrole extrait «se dégrade», car la plupart du brut puisé est de plus en plus lourd et acide, affirment les auteurs.

Cette situation fait à la fois augmenter les coûts d’exploration des pétrolières et les investissements requis (CAPEX) pour exploiter ces installations.

 

PROBLÈME #3 – L’offre peine de plus en plus à répondre à la demande

Même si l’Arabie saoudite demeure le deuxième producteur de pétrole (12,97% de l’offre), elle n’est pas en mesure d’accroître suffisamment sa production pour répondre à la demande qui continue de croître malgré la lutte aux changements climatiques.

Aussi, selon le rapport, le marché mondial est «maintenant dépendant» du secteur du pétrole de schiste aux États-Unis (16,6% de la production) pour répondre à ses besoins.

Or, la productivité américaine par plateforme (telle que mesurée par l’Energy Information Administration, une agence fédérale américaine) est en déclin, car la productivité observée en 2018 est inférieure à celle en 2016.

Une situation qui fait dire aux auteurs du rapport que la production américaine de pétrole de schiste «s’approche de son pic de production assez rapidement».

La santé financière des producteurs de pétrole de schiste est aussi un enjeu préoccupant.

La plupart d’entre eux affichent des flux de trésorerie négatifs (c’est-à-dire que les entrées d’argent sont inférieures aux sorties), sans parler du fait qu’ils ont de plus en plus de difficulté à se financer sur les marchés.

 

PROBLÈME #4 – Pic de production et explosion des prix

La production de pétrole traditionnel a atteint un plateau en 2005, car l’Arabie saoudite n’arrivait plus à répondre à la demande.

Les prix du pétrole ont alors explosé (un phénomène accentué par une bulle spéculative), tirant également vers le haut les prix des ressources naturelles, mais aussi les coûts d’autres carburants fossiles comme le gaz naturel et charbon.

Le baril de pétrole (le Brent de la mer du Nord) a même atteint un sommet historique de 143,68 $US le 11 juillet 2008 -il s’échange actuellement à 57,23$US.

Plusieurs facteurs ont contribué à déclencher la crise financière en 2008. Par contre, à compter de l’été 2007, la crise des prêts hypothécaires aux États-Unis a été l’élément déclencheur qui a plongé l’économie mondiale en récession en 2008-2009.

Or, les prêts hypothécaires ont provoqué la crise parce que les consommateurs endettés ont justement été pris à la gorge par l’explosion des prix de l’énergie et des denrées, les empêchant ainsi de payer leur dette.

Depuis 2008, la révolution américaine du pétrole de schiste a certes réussi à répondre à la hausse de la demande mondiale, permettant au prix de l’énergie de redescendre à des niveaux plus raisonnables.

Par contre, il y a un risque que l’économie et le système financier subissent le même stress qu’en 2008, si jamais les États-Unis n’arrivent plus dans les prochaines années à répondre à la demande mondiale, comme l’Arabie saoudite, en 2005.

Le cas échéant, les prix de l’énergie et des denrées pourraient exploser.

Cette situation plongerait à nouveau le monde dans une crise financière, et ce, en raison de «notre dépendance au pétrole» et de la vitesse insuffisante à laquelle les pays décarbonent leur économie, souligne le rapport.