L’obsession électrique: viser 2 millions de voitures est une erreur
Pierre-Olivier Pineau|Publié le 04 mai 2023"Pas besoin d’être un savant expert du climat pour comprendre qu’ajouter des VÉ ne réduit pas les émissions si, en même temps, on continue de faire grossir le parc de véhicules brûlant des produits pétroliers." (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Le gouvernement du Québec a annoncé récemment qu’il rehausse la cible du nombre de véhicules électriques (VÉ) sur les routes du Québec à 2 millions pour 2030. Cette annonce a été faite moins d’un an après une annonce similaire, qui a fait monter à 1,6 million la cible des VÉ au Québec en 2030.
Sous des apparences de modernité et de leadership dans la lutte contre les changements climatiques, ces surenchères ne font que cacher une profonde incompréhension des tendances mobilité, et des priorités qu’on devrait avoir.
Entre le début des subventions en 2012 et mars 2022, les montants donnés aux acheteurs de VÉ se sont élevés à près de 1 milliard de dollars (le programme Roulez vert).
150 000 acheteurs de VÉ appuyés
Pas moins de 150 000 acheteurs de VÉ ont été aidés, sans parler de l’installation d’un peu plus de 60 000 bornes de recharge.
Pendant ce temps, le nombre de véhicules de promenade immatriculés à la SAAQ a augmenté de 18 %, pour atteindre près de 5 millions de véhicules à la fin 2021.
Cela représente 765 000 véhicules en plus sur les routes qu’en 2012.
Pendant qu’on ajoutait 150 000 VÉ au Québec, 500 000 nouvelles voitures et camions légers roulant à l’essence sont apparus. Or, la population n’a augmenté que de 6 % durant cette période.
Pas besoin d’être un savant expert du climat pour comprendre qu’ajouter des VÉ ne réduit pas les émissions si, en même temps, on continue de faire grossir le parc de véhicules brûlant des produits pétroliers.
Or, c’est exactement cela qu’on a fait depuis 10 ans.
Les émissions des véhicules de promenade sont restées stables à 17 millions de tonnes (de 2012 à 2021).
Si elles n’ont pas augmenté, c’est parce que l’efficacité des nouveaux véhicules s’améliore. Mais au lieu de réduire les émissions et les ventes d’essence grâce à ces gains, on les annule en faisant rouler plus de véhicules.
Pelleter les problèmes en avant
Non seulement la stratégie actuelle d’électrification des transports ne réduit pas les émissions, mais pendant que le gouvernement passe son temps à réviser les cibles, il ne le passe pas à régler les multiples problèmes que sa stratégie va créer.
Les VÉ n’utilisant pas d’essence (bien que les VÉ hybrides vont continuer d’en utiliser), ils ne payeront pas les taxes sur les carburants, et le financement du réseau routier sera de plus en plus problématique.
Une taxe kilométrique devrait être planifiée pour régler ce problème.
Avec 2 millions de VÉ qui vont se brancher, les pointes de demande sur le réseau électrique seront amplifiées. Une refonte de la tarification est urgente pour gérer ces pointes.
Le sujet des tarifs d’électricité est très sensible. Aussi, le gouvernement devrait dès maintenant préparer les changements.
Si on continue de verser une subvention 7 000 $ par VÉ, l’ajout de 1,8 million de VÉ en plus (il y en a 200 000 actuellement) pourrait coûter jusqu’à 12 milliards de dollars.
Ce montant n’est pas réaliste: il faut donc annoncer comment le gouvernement va s’y prendre pour soutenir la demande de VÉ lorsque l’État ne pourra plus être aussi généreux.
Les Québécois n’achètent que des VUS ou presque.
Par conséquent, la consommation supplémentaire de 2 millions des nouveaux VUS électriques – par rapport à des voitures électriques – pourrait demander de 3 à 5 térawattheures (TWh) d’énergie.
C’est environ ce qu’un projet hydroélectrique comme Petit Mécatina pourrait produire.
Étudie-t-on le prochain barrage pour se permettre de faire rouler des VUS électriques, plutôt que de simples voitures ?
En plus de tout cela, l’arrivée de 2 millions de VÉ sur les routes, sans objectif de réduction du parc automobile, ne fera que contribuer à la congestion et à soutenir l’étalement urbain.
Un gouvernement économique responsable ferait tout, au contraire, pour réduire la congestion et aménager le Québec de manière à protéger son territoire et le rendre plus productif.
La priorité : réduire, transférer et améliorer
La politique de mobilité durable du Québec nous indique clairement l’approche à privilégier: réduire, transférer et améliorer.
Il faut réduire les besoins en transport, notamment par l’aménagement du territoire, mais aussi par le télétravail et les livraisons.
Il faut transférer vers une mobilité plus efficace, qui privilégie le transport en commun, le transport actif (vélo, marche) et le train entre les villes.
Enfin, il faut améliorer les véhicules restants – et c’est là que l’électrification entre en ligne de compte.
L’approche actuelle, plutôt que de prioriser la réduction et le transfert, sabote le plan de mobilité durable et les chances du Québec d’atteindre ses cibles de 2030 et 2050.
Cette stratégie est en plus économiquement problématique, tant à court terme qu’à long terme, car elle demande d’énormes investissements publics et privés pour des véhicules qui resteront stationnés 23 heures sur 24.
Ce sont actifs dispendieux, improductifs la majorité du temps.
C’est malheureusement la voie actuellement tracée par notre obsession électrique.