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Northvolt: aller vite, en appuyant sur les freins 

Dominique Talbot|Mis à jour le 05 juillet 2024

Northvolt: aller vite, en appuyant sur les freins 

Dans les mois et les négociations qui ont précédé l’annonce, les gouvernements provincial et fédéral étaient-ils au courant de ces importants retards de production? (Photo: Getty Images)

ANALYSE. Moins d’un mois après l’annonce du début de la construction de sa méga-usine en Montérégie, Northvolt pourrait bien appuyer sur les freins. De nombreuses questions à propos de ce projet de 7 milliards de dollars (G$) refont surface, dont celle-ci: «Pourquoi fallait-il aller si rapidement?» Et une nouvelle: «Jusqu’à quel point Québec et Ottawa étaient-ils au courant des difficultés de l’entreprise?» 

Rappelons d’abord les actualités de la semaine. Dans une entrevue publiée mardi dans le quotidien économique suédois Dagens industri, le cofondateur et chef de la direction de l’entreprise, Peter Carlsson, a affirmé que Northvolt ralentira son plan de développement international pour concentrer ses efforts dans son usine de Skellefteå, dans le nord de la Suède.  

«Pour aller de l’avant en Allemagne et à Montréal, il est fondamental que Skellefteå soit l’usine mère sur laquelle repose le plan», a dit Peter Carlsson. Avant d’ajouter: «Nous avons été un peu trop agressifs dans notre plan d’expansion, et c’est ce que nous sommes en train de revoir». 

À (re)lire: Northvolt, des batteries «made in Québec» avec du contenu d’ailleurs

Le conseil d’administration de l’entreprise suédoise se réunira en septembre pour revoir sa stratégie et prendre des décisions à propos de son projet Northvolt Six, en Montérégie, et de celui de Heide, en Allemagne. 

Nous savions déjà que Skellefteå était la base de travail de Northvolt et que ses projets au Québec et en Allemagne seraient des copies plus ou moins identiques de cette usine. En revanche, la relation de cause à effet entre Skellefteå et les futures méga-usines de la Montérégie et de Heide était moins claire.  

Ce qui était aussi nébuleux en septembre 2023 lors de l’annonce de l’arrivée de la multinationale suédoise en Montérégie, c’est qu’il y avait beaucoup de problèmes de production à l’usine de Skellefteå. Et c’est dans les deux dernières semaines que nous mesurons l’ampleur de ces problèmes qui ont notamment mené à la perte d’une commande de 3G$. On y reviendra.  

En décembre 2023, Dagens industri révélait que l’usine avait produit environ 1% de sa capacité de 16 GWh dans les neuf premiers mois de l’année. C’est peu de cellules de batteries, lorsque le carnet de commandes est estimé à 55G$. En entrevue au Financial Times cette semaine, Peter Carlsson a précisé que son entreprise n’a pas produit 1GWh en 2023 et qu’il faudrait quintupler la production pour y arriver en 2024.  

À titre de référence, 1GWh permet de propulser 17 000 véhicules électriques, écrit le Times. Et c’est en 2023 que Northvolt prévoyait que Skellefteå produirait à plein rendement. La cible est maintenant en 2026. 

Et pendant ce temps, ajoute le Times, la jeune multinationale suédoise a perdu 1,2G$ en 2023 et 285M$ en 2022. À ce titre, elle est loin d’être la seule entreprise de ce calibre en activité depuis moins de 10 ans à perdre des sommes aussi importantes. Mais de 2022 à 2023, ses revenus sont passés seulement de 107 millions de dollars (M$) à 128M$. 

Revenons un peu en arrière et parlons production. Moins de 1GWh dans les neuf premiers mois de 2023, cela nous ramène à septembre, mois de l’annonce de l’arrivée de Northvolt au Québec. 

Dans les mois et les négociations qui ont précédé l’annonce, les gouvernements provincial et fédéral étaient-ils au courant de ces importants retards de production? Est-ce que Northvolt a communiqué son rythme de production du moment par rapport à son plan initial? Si la réponse est non à l’une de ces questions, ou les deux, il y a lieu de s’inquiéter. Si la réponse est oui à l’une de ces questions, ou les deux, il y a lieu de se demander quel a été le processus décisionnel des gouvernements pour aller de l’avant avec la jeune entreprise, sachant qu’elle cumulait déjà deux années de retard dans sa production.  

Ces questions sont importantes, parce que le temps est un élément central dans la venue de Northvolt au Québec. Il fallait aller vite, très vite. Pour s’assurer d’abord qu’elle ne choisisse pas de s’installer aux États-Unis. Pour cela, rappelons qu’Ottawa et Québec ont égalé toutes les aides financières dont Northvolt aurait bénéficié en vertu de l’Inflation Reduction Act. On parle ici de près de 2G$ de subventions, sans compter la prise d’équité dans l’entreprise et les autres subventions à venir, quand la production aura commencé.  

Il fallait aussi aller très vite pour que le projet ne soit pas ralenti par un examen du Bureau d’audiences publiques en environnement. Le fameux BAPE. Nous ne reviendrons pas ici sur toute cette saga déjà largement documentée. 

Mais l’entreprise et Québec ont notamment fait valoir que le calendrier était très serré, puisque Northvolt doit livrer ses premières cellules de batteries en 2026 à un important client… Qui demeure à ce jour confidentiel. Pas de temps à perdre, donc.  

Mais la semaine dernière, le géant allemand BMW — actionnaire de Northvolt — a jugé que du temps, il en avait assez perdu. Et il a annulé une commande de près de 3G$ en raison des retards de production en Suède.  

Difficile de ne pas se demander comment Northvolt réussira à livrer à temps la production de sa future usine québécoise à son client mystère en Amérique du Nord. 

Dans un communiqué diffusé mercredi en fin de journée, l’entreprise ne cache pas que la pression est forte du côté de ses clients, afin que les engagements liés à son carnet de commandes soient respectés. 

Tout en rappelant que son engagement et ses intentions au Québec demeurent intacts, elle avance que la revue stratégique de ses activités dictera les échéanciers de ses différents projets.  

Mais son client mystère, qui se serait engagé à acheter plus de la moitié de la production de Northvolt Six, voit-il les choses de la même manière ? Si nous savions de qui il s’agit, nous lui poserions la question.  

Parce que pour le moment, ce client fait affaire avec un autre fournisseur, et cette entente se termine en 2026, nous avait confié Paolo Cerruti, PDG de Northvolt Amérique du Nord, au cours d’une longue entrevue au mois d’avril dernier. Si ce client perd aussi patience, Northvolt a-t-elle un plan B de ce côté-ci de l’Atlantique? 

Beaucoup de questions dont il est souhaitable d’obtenir des réponses cet automne. En espérant que celles-ci ne nous proviennent pas d’un quotidien suédois.