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Northvolt: batteries «made in Québec» avec du contenu d’ailleurs

Dominique Talbot|Mis à jour le 13 juin 2024

Northvolt: batteries «made in Québec» avec du contenu d’ailleurs

Le PDG de Northvolt Amérique du Nord, Paolo Cerruti, avec la spécialiste des communications et affaires publiques de l'entreprise, Emmanuelle Rouillard-Moreau, s’est rendu dans les bureaux de Les Affaires, où il a répondu aux questions de Marie-Pier Frappier, directrice de l’information, ainsi que Dominique Talbot et François Normand, tous deux journalistes, le 12 avril dernier. (Photo: Simon Prelle)

FILIÈRE BATTERIE. Entre la volonté de Northvolt de s’implanter en Amérique du Nord et d’y produire «la batterie la plus verte au monde», l’union avec le Québec semblait être un mariage de raison, même si les États de New York et du Michigan ont été sérieusement considérés. Mais avant de voir du contenu québécois autre que l’hydroélectricité dans les cellules de batteries que l’entreprise produira en Montérégie, il faudra être très patient. 

«L’une des grandes attractivités du Québec, c’est la possibilité d’intégrer l’ensemble de la chaîne de valeur. Partir de la ressource naturelle, de la transformer, de la raffiner, de la convertir en cathode et ensuite en batterie. Et ensuite le recyclage et la ramener en batterie», explique Paulo Cerruti, PDG de Northvolt Amérique du Nord, au cours d’une longue entrevue avec Les Affaires le 12 avril dernier.*

Sauf que pour le moment, les principales ressources naturelles qui seront dans les cathodes (pôle positif d’une batterie qui représente 40% du coût de celle-ci), et ensuite des cellules de batteries qui sortiront de son futur complexe Northvolt Six, en Montérégie, proviendront de l’étranger. 

L’essentiel de son approvisionnement en lithium provient de l’Australie. Un accord a été conclu avec la minière Vale pour du nickel canadien (Terre-Neuve-et-Labrador), et le graphite synthétique utilisé par Northvolt dans ses batteries est «quasiment, uniquement produit en Chine avec des standards environnementaux qui sont très discutables», convient Paulo Cerruti. 

Pour s’approvisionner localement en matériaux critiques et stratégiques (MSC), notamment en lithium et en graphite, Northvolt dit ne pas «s’être fixé d’objectifs fermes. Et même si nous nous en étions fixé, ça ne serait pas judicieux de les divulguer, dit Paulo Cerruti. Il faut comprendre que c’est dans notre intérêt de le faire. Et nous allons faire tout ce qui est possible pour y arriver. Aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de lithium qui sort du Canada et du Québec. Il y a des projets». 

Par exemple, illustre-t-il, «des projets réalistes, avancés de lithium, il n’y en a qu’un, et c’est Nemaska Lithium (propriété à 50% du gouvernement du Québec, avec qui aucun contrat n’est finalisé). Il y a des projets miniers et parmi ceux-ci, il y en a certains qui ont la volonté d’être intégrés verticalement, avec la raffinerie. Il y en a d’autres qui ne le sont pas. […] C’est un univers qui est très immature. Nous avons tout intérêt à faire en sorte que cet univers devienne plus mature et plus vite».

Selon le PDG, arriver à des produits qui sont compatibles à une utilisation dans des batteries de haute performance est complexe. «Tout le lithium n’est pas né égal. Pas tout graphite n’est pas né égal». Cela prend des validations qui sont «longues et pénibles. Ça prend des validations auprès de nos clients. Il faut être réaliste, ça va prendre des années», fait-il valoir. «Plus vos chaînes d’approvisionnement sont courtes, plus elles sont robustes», ajoute-t-il, en expliquant qu’il serait assez improbable que Northvolt prenne des participations dans des mines, notamment en raison des capitaux nécessaires pour mener de tels projets à terme. «Si on le fait, je ne pense pas qu’on le fera à la mine. On le fera plutôt au raffinage. Si on le fait, on le fera de façon très ponctuelle». 

Déjà, est-il important de souligner, Northvolt expédie en Suède du «nickel canadien», grâce à son accord avec Vale. D’autres matériaux qui entrent dans la fabrication de cellules de batteries pourraient aussi prendre le même chemin. 

« À ce stade, probablement que si on a du graphite naturel canadien, on voudra approvisionner la Suède aussi parce que ce que nous cherchons à faire, c’est de développer des plateformes de cellules qui sont des plateformes mondiales, dit le PDG. Pour avoir de la résilience dans nos chaînes d’approvisionnement, on voudrait avoir des back-ups. Ce n’est donc pas déraisonnable de penser qu’il y aura des matières canadiennes qui seront envoyées en Suède.»

Le PDG de Northvolt Amérique du Nord, Paolo Cerruti (Photo: Simon Prelle)

L’innovation et la R-D aussi, devront attendre

Pour l’implantation de la filière batterie dans la province, dont Northvolt est le plus important projet, le gouvernement du Québec ne semble pas avoir été très exigeant par rapport à un seuil minimal d’investissements en recherche et développement pour délier les cordons de sa bourse. En fait, aucune demande particulière n’a été faite, tant à Northvolt qu’aux autres entreprises étrangères qui s’installent ici.

Selon Paulo Cerruti, seul un quota de stagiaires, «d’heures que nous passons avec les étudiants», ont été exigés parmi les conditions pour l’octroi des 436 millions de dollars (M$) de «dette pardonnable» dont l’entreprise bénéficie.

Rappelons qu’en plus de cette dette pardonnable, le gouvernement a consenti un prêt de 367M$, en plus d’une prise de participation de 5% (567M$ d’équité) dans la société mère. Québec rallongera 1,5G$ jusqu’en 2032 en aides à la production si Northvolt produit et livre ses cellules. 

D’une certaine manière, donc, le Québec sera un exécutant de la technologie de Northvolt, principalement conçue en Suède. Mais Paulo Cerruti n’exclut pas la possibilité de développer localement un savoir qui est pour le moment quasi inexistant. 

«On regarde à localiser concrètement de la recherche et développement ici. Et cela a du sens parce qu’il y a une partie de l’application produit-marché qui est spécifique. Celle-là est assez agnostique de l’endroit où on le fait. C’est un projet, qui, à ce stade, est relativement embryonnaire et qui peut accélérer assez vite. On voit les intérêts de le faire. On est en contact avec un certain nombre de réalités académiques ici qui pourraient nous aider à faire ça», commente-t-il. Toutefois, aucun budget n’a été alloué dans la phase initiale de Northvolt Six par le conseil d’administration de la multinationale pour aller en ce sens, et qui a été validé par le conseil des ministres, exprime le PDG. 

«Faire des batteries c’est très complexe. Des talents qui savent industrialiser les batteries, ces gens-là, ils ne courent pas les rues. Il y en a très peu. On est allé chercher la plupart d’entre eux en Asie, entre le Japon et la Corée, avance Paulo Cerruti. On a à peu près asséché le pool de gens qui sont compétents, qui parlent un minimum anglais, qui ont la capacité et la volonté de relocaliser une famille en Occident.» 

«Quand vous voyez l’intersection de toutes ces contraintes-là, ce bassin-là, c’est quelques dizaines de personnes. Donc c’est très important de consolider une compétence, de faire croître cette masse critique là.» 

 

*La table éditoriale a eu lieu avant les derniers événements sur le site de la future usine de Northvolt.