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Quand l’acier craque

AFP|Publié le 06 septembre 2022

Quand l’acier craque

Le recul est violent en Russie, dans ses satellites et en Ukraine: la production totale d’acier y accuse une chute de 18,8% à 50,5 millions de tonnes au premier semestre, selon World Steel. (Photo: 123RF)

Hausse des prix de l’énergie, incertitudes liées à la guerre en Ukraine, et surtout ralentissement des investissements chinois ont nettement freiné la production d’acier dans le monde cette année, mettant en pause l’ambitieuse transition énergétique lancée par la sidérurgie européenne.

Au premier semestre, la production mondiale d’acier brut a chuté de 5,4% par rapport aux six premiers mois de 2021, à 1,1 milliard de tonnes, selon l’association World Steel qui regroupe 64 pays producteurs.

Le recul est violent en Russie, dans ses satellites (Biélorussie, Kazakhstan, Moldavie, Ouzbékistan) et en Ukraine: la production totale d’acier y accuse une chute de 18,8% à 50,5 millions de tonnes au premier semestre, selon World Steel.

Symbole de cet effondrement, l’usine sidérurgique d’Azovstal à Marioupol, utilisée comme camp retranché par l’armée ukrainienne, a été réduite à l’état de ruine dans les combats acharnés contre les Russes. ArcelorMittal, deuxième sidérurgiste mondial, a par ailleurs annoncé dès le début de la guerre en mars l’arrêt de la principale usine du pays, à Kryvy Rig.

En Europe (27 pays), le recul s’est élevé à 5,6% pour 86 millions de tonnes (Mt) de janvier à juin.

Le recul le plus conséquent est perceptible dans le premier continent producteur, l’Asie, avec -4,8% à 812,6 Mt. Seul le Moyen-Orient tire son épingle du jeu, avec une production en hausse de 4,4% à 25,3 Mt.

 

Usines arrêtées

«Ce sont les marchés qui baissent, c’est d’abord la demande de nos clients qui baisse, l’industrie automobile par exemple. Et la flambée des prix de l’énergie en Europe est un facteur aggravant», dit ArcelorMittal.

Aux États-Unis, la baisse de la demande en acier a commencé au troisième trimestre 2021, mais après une envolée exceptionnelle due à la reprise post-covid, note Rystad Energy dans une analyse diffusée mardi. «Le marché américain continue de s’affaiblir alors que la peur de la récession s’intensifie» ajoute le cabinet, qui envisage un avenir «sombre» à court terme pour l’acier aux États-Unis.

En Europe, Arcelor Mittal a annoncé le week-end dernier qu’il mettrait à l’arrêt deux de ses hauts fourneaux, à Brême (en Allemagne) à partir de fin septembre, ainsi qu’à Gijon dans les Asturies (en Espagne).

«Les coûts élevés du gaz et de l’électricité pèsent fortement sur notre compétitivité», a expliqué Reiner Blaschek, le patron d’ArcelorMittal Allemagne.

En France, un des trois hauts fourneaux de Dunkerque (au nord du pays) est à l’arrêt depuis juillet dans le cadre de la décarbonation du site, et un deuxième le sera pour maintenance pendant au moins six semaines.

«La Chine qui a été pendant plus de 20 ans le moteur de la croissance de la sidérurgie mondiale en construisant infrastructures, routes, et usines, a annoncé qu’elle allait stabiliser voire décroître sa consommation d’acier», rappelle à l’AFP Marcel Genet, expert en sidérurgie et fondateur de la société Laplace Conseil. Or, la consommation chinoise représentait 90% de la croissance de l’acier des 20 dernières années.

Ce qui place l’acier européen, en pleine transition énergétique, en position particulièrement précaire.

 

Besoin de renouvelables et de nucléaire

«Jusqu’à l’an dernier, tous les sidérurgistes présents en Europe, l’allemand ThyssenKrupp, l’indien Tatasteel ou ArcelorMittal notamment étaient d’accord pour une transition ordonnée du secteur», rappelle M. Genet.

C’est-à-dire en remplaçant progressivement les vieux hauts fourneaux utilisateurs de charbon, qui émettent de l’ordre de deux tonnes de CO2 par tonne d’acier produite, par un principe dit «de réduction directe» alimenté par du gaz. Ce qui permettrait de diviser par deux les émissions de CO2 de la sidérurgie d’ici à 2040, rappelle M. Genet.

L’étape suivante de la transition énergétique était le passage à l’hydrogène dit «vert» (produit lui-même avec de l’électricité d’origine renouvelable) à la place du gaz, dans l’espoir de ne plus générer du tout de CO2 en produisant de l’acier.

Le plan a été validé par la Commission européenne, qui a fait entrer le gaz dans la taxonomie des énergies jugées acceptables pour la transition. Mais la guerre en Ukraine a interrompu tous ces scénarios, car le prix du gaz naturel a été multiplié par 10 depuis un an.

«Aujourd’hui, tous les projets de développement de l’acier européen sont en standby», dit M. Genet.

Selon lui, «il faudrait accélérer l’arrivée des énergies renouvelables et du nucléaire» si on veut continuer à faire de l’acier en Europe.