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Une révolution dans la chaîne mondiale de l’acier vert se prépare à Fermont

François Normand|Mis à jour le 22 juin 2024

Une révolution dans la chaîne mondiale de l’acier vert se prépare à Fermont

À un niveau de 69%, Minerai de fer Québec produira non seulement l’un des concentrés de fer le plus pur au monde, mais aussi celui de plus grande qualité au Québec. (Photo: Joe Alvoeiro)

L’immense camion jaune dans lequel nous circulons décharge sa cargaison de 240 tonnes de roches près du convoyeur dans un vacarme d’enfer. Une opération ordinaire dans la mine de fer à ciel ouvert du lac Bloom, exploitée par Minerai de fer Québec (MFQ). Toutefois, en 2025, cette opération servira à produire l’un des concentrés de fer le plus pur au monde, à un niveau 69%, afin de fabriquer de l’acier vert. Une nouveauté qui fera de MFQ un leader dans la chaîne mondiale de l’acier vert, en offrant aux aciéristes la possibilité d’éliminer le charbon dans leurs procédés de fabrication.

Grâce à son projet de réduction direct pour bouletage (RDPB), la mine située près de Fermont, sur la Côte-Nord, permettra de révolutionner la production de l’acier vert, faible en carbone, un intrant essentiel pour décarboner l’économie mondiale, explique Alexandre Belleau, chef des opérations chez MFQ.

«Le projet RDPB nous permettra de produire un concentré de 69% Fe qui dominera le marché des produits de qualité réduction directe (RD). Ce produit sera en demande partout sur la planète, et facilitera la pénétration de marchés pour MFQ, comme l’Europe et les États-Unis», dit l’ingénieur mécanique de formation qui nous fait visiter le concentrateur de la mine.

L’imposant bâtiment s’étale sur plusieurs étages. Çà et là, par étapes successives et minutieuses, divers équipements permettent de transformer de la roche contenant le minerai de fer en un concentré de fer.

Produire du concentré de fer est un procédé complexe, difficile à imaginer si on n’a jamais mis les pieds dans un concentrateur.

La minière, propriété de l’australienne Champion Iron, produit déjà un concentré à 67,5% à ses installations du lac Bloom, ce qui est considéré de haute qualité.

Un investissement structurant de 500M$

Mais MFQ, elle, veut faire mieux. C’est pourquoi elle investit actuellement 500 millions de dollars (M$) pour moderniser la moitié de la capacité de production de sa mine afin d’y produire ce concentré à 69%.

«Nous visons une mise en service durant le 2e semestre de 2025», précise Alexandre Belleau en nous amenant sur les hauteurs du site minier qui emploie 1000 personnes, dont environ 100 sont des travailleurs innus.

D’un point de vue technique, le plafond maximal de pureté pour un concentré de fer est de 70%.

À 69%, MFQ produira non seulement l’un des concentrés les plus purs au monde, mais aussi celui de plus grande qualité au Québec, assure la minière, dans laquelle Investissement Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) détiennent une participation.

Le Québec compte quatre mines de fer en activité.

Trois sont situées dans la région de Fermont, non loin de la frontière avec Terre-Neuve-et-Labrador. MFQ exploite une de ces mines, tandis qu’ArcelorMittal Exploitation minière du Canada possède les deux autres, soit à Fire Lake et à Mont-Wright.

Tata Steel Minerals Canada exploite la quatrième mine de fer de la province (DSO), qui est située plus au nord, dans la région de Shefferville.

fosse du Labrador
La fosse du Labrador, qui s’étend de la Côte-Nord jusqu’à l’extrémité nord du Québec, au Nunavik, contient l’un des minerais de fer le plus pur au monde, ce qui permet de produire au Québec un concentré de haute pureté, c’est-à-dire à plus de 67%. (Source: MFQ)

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La géologie exceptionnelle de la fosse du Labrador

La localisation des quatre mines dans un axe vertical Fermont-Shefferville n’est pas le fruit du hasard.

Elles sont en fait situées dans la fosse du Labrador, une longue ceinture géologique de centaines de kilomètres de long qui s’étend de la Côte-Nord jusqu’à l’extrémité nord du Québec, au Nunavik.

La fosse du Labrador contient l’un des minerais de fer le plus pur au monde, ce qui permet de produire au Québec un concentré pur à plus de 67%.  

Concrètement, à ce niveau de qualité, ce minerai de fer offre aux aciéristes la possibilité d’éliminer le charbon dans les procédés de fabrication de l’acier.

Par conséquent, ils peuvent passer de la vieille technologie du haut fourneau traditionnel, très polluante et émettrice de gaz à effet de serre (GES), à celle du four à arc électrique, à faible intensité carbone.

«De façon générale, 1 tonne d’acier produite dans des hauts fourneaux génère environ 2,2 tonnes de CO2. En contrepartie, une tonne de minerai de fer de haute pureté utilisée dans des fourneaux à arc électrique génère 1 tonne de CO2, un ratio qui peut baisser jusqu’à 0,3 tonne de CO2 dans les meilleures conditions», souligne Alexandre Belleau.

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Le marché paie plus cher du fer de qualité

Élément intéressant pour la minière: plus le concentré de fer est pur, plus les aciéristes sont prêts à payer cher pour s’en procurer, alors que la transition énergétique doit s’accélérer dans le monde pour limiter le réchauffement de la planète.

«Le fer de haute pureté offre la possibilité d’aller chercher des primes sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement de l’acier vert. On observe, par ailleurs, une demande croissante pour ce produit sur le marché, une accélération des ententes d’approvisionnement pour de l’acier vert et l’introduction de mécanismes de primes par des aciéristes et fournisseurs d’indices de matières premières», dit le chef des opérations de la mine du Lac Bloom. L’enjeu est de taille pour l’industrie mondiale de l’acier, selon une récente analyse de la firme Fastmarkets. D’ici 2030, elle estime que la production d’acier augmentera en moyenne de 1,4% par année.

«Si les méthodes de production n’évoluent pas, les émissions de CO2 de l’industrie sidérurgique risquent d’augmenter considérablement dans les années à venir et de continuer ainsi jusqu’en 2050», peut-on lire dans l’analyse.

Or, pour décarboner l’économie mondiale et limiter le réchauffement sous la barre des 2 degrés Celsius par rapport au début de l’ère industrielle, tous les secteurs doivent réduire leurs émissions de GES, incluant la sidérurgie, responsable à elle seule d’environ 7% des émissions mondiales.

C’est la raison pour laquelle le minerai de fer de haute qualité du Québec est si stratégique sur l’échiquier mondial.

Cela dit, ce marché demeure relativement petit dans le monde. Actuellement, le concentré de fer permettant de produire de l’acier vert ne représente que 5% du marché. En revanche, le concentré de haute qualité devrait représenter 25% des ventes en 2050, estime la firme MineSpans.

Le minerai de fer australien exclut de l’acier vert

Tous les pays producteurs de minerai de fer n’ont pas les attributs géologiques du Québec.  

Actuellement, le niveau de pureté du concentré de fer produit à travers le monde oscille grosso modo entre 56% et 69%, d’après les données de Wood Mackenzie, publiées en 2022.

L’Australie est le premier pays producteur de fer sur la planète. Or,les minières y produisent un concentré avec une teneur en fer allant seulement de 56% à près de 64%, principalement parce qu’une proportion importante du minerai exploité contient trop d’impuretés.

Par conséquent, on ne peut pas l’utiliser efficacement pour produire de l’acier vert.

Cette situation fait en sorte que l’Australie n’est vraiment pas capable d’intégrer la chaîne de valeur de l’acier vert, et qu’elle doit avant tout vendre sa production à la Chine, où produire une tonne de minerai de fer génère 2,4 tonnes de GES.

En revanche, le Brésil, le Canada, l’Ukraine et la Russie produisent un concentré avec un niveau de pureté supérieur à 64%.

Avec son futur concentré de fer à 69%, MFQ est donc très bien positionnée pour vendre sa production aux aciéristes qui veulent décarboner leur procédé de production, surtout en Europe et en Amérique du Nord.

Toutefois, elle n’est pas la seule mine à être bien positionnée au Québec.

ArcelorMittal produit aussi un concentré de haute pureté.

La minière peut fabriquer des boulettes de fer avec une teneur en fer de 67% et plus à son usine de bouletage de Port-Cartier, sur la Côte-Nord, grâce au concentré de qualité produit à ses mines de Fire Lake et de Mont-Wright.

Minerai de fer Québec
En 2022, MFQ a recyclé ou réutilisé 96% des eaux de procédé sur son site du lac Bloom. (Photo: Joe Alvoeiro)

Une mine de plus en plus durable

MFQ ne veut pas seulement contribuer à décarboner la production d’acier dans le monde ; elle veut aussi réduire au maximum son empreinte environnementale, comme nous avons pu le constater en visitant la mine et le concentrateur.

Par exemple, en 2022, la minière a recyclé ou réutilisé 96% des eaux de procédé. «Nous avons 40 kilomètres de conduits sur le site pour faire circuler l’eau», souligne Alexandre Belleau, en précisant que le site s’étend sur 25 kilomètres carrés.

MFQ dit aussi capter et traiter dans ses installations «chaque goutte d’eau» qui entre en contact avec son site minier.

De plus, selon MFQ, son processus de concentration actuel ne nécessite pas de produits chimiques, à l’exception d’une faible quantité d’agglomérant, produit qui est couramment utilisé dans les systèmes de traitement des eaux usées.

«En fait, la mise à niveau de nos installations, avec le projet RDPB, qui permettra de produire un concentré de fer à 69%, requiert cette faible quantité. Des investissements importants ont été réalisés dans nos systèmes de recirculation. Toute quantité d’eau susceptible d’être affectée sera traitée dans nos installations et aucun produit chimique ne sera actif dans nos résidus», explique Alexandre Belleau.

La minière a aussi grandement réduit ses émissions de GES depuis 10 ans. «Nous avons réalisé des investissements substantiels pour électrifier davantage nos processus et réduire l’intensité de nos émissions par tonne de production», souligne le chef des opérations. 

Ainsi, depuis 2014 (la dernière année d’exploitation de l’ancien propriétaire de la mine, Cliffs Natural Resources), les émissions de la mine ont diminué de 31% — la cible de réduction est de 40% en 2030.

Comme plusieurs entreprises dans divers secteurs, MFQ vise aussi la carboneutralité au milieu du siècle.

Pour atteindre la carboneutralité, la minière pourrait notamment électrifier à terme sa flotte de gros camions — elle en a actuellement 22 d’une capacité de 240 tonnes l’unité — si la technologie est disponible dans les prochaines années, sans parler de l’électricité.

À SUIVRE: Ombre au tableau: un rapport du BAPE défavorable

Ombre au tableau: un rapport du BAPE défavorable

En matière de développement durable, Minerai de fer Québec est généralement bien perçue en raison de ses pratiques environnementales. Une image de marque qui tient aussi aux nombreux emplois qu’elle crée sur la Côte-Nord, incluant ses achats locaux qui soutiennent de nombreuses entreprises.

Par exemple, durant la dernière année, MFQ a accordé des contrats pour une valeur de 15M$ à des PME des Premières Nations. Pour l’ensemble de la Côte-Nord, on parle d’achats locaux qui ont totalisé 429M$, selon les données fournies par la minière.

L’entreprise planche même sur un projet pour créer un fonds afin d’appuyer l’entrepreneuriat autochtone.

C’est pourquoi plusieurs observateurs ont été surpris par un rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), en mars 2021, qui a pointé du doigt le projet d’expansion du parc de résidus de MFQ, qui mènera à la destruction de huit lacs, de cours d’eau et de milieux humides au lac Bloom.

Pour mettre les choses en perspective, il y a plus de 17 000 lacs dans un rayon de 50 km autour du site du lac Bloom.

Malgré l’avis défavorable du BAPE, le gouvernement du Québec a autorisé par décret, en mars 2022, la minière à aller de l’avant avec son projet, mais à la condition de compenser les pertes permanentes d’écosystèmes dans les prochaines années.

Questionné à savoir si la destruction de ces écosystèmes ne démontrait pas une certaine incohérence chez MFQ étant donné ses bonnes pratiques ESG, Alexandre Belleau réitère que le «développement durable est ancré dans l’ADN» de l’entreprise malgré ce projet d’expansion du parc de résidus.

«Nous sommes conscients que les activités minières ont des impacts écologiques. Nous cherchons à les réduire au minimum et à les compenser de manière rigoureuse lorsqu’il est impossible de les éviter», dit-il.

Il affirme que le projet de compensation comprend plusieurs projets structurants sur le territoire québécois, qui s’appuient sur un plan élaboré avec une trentaine d’intervenants régionaux (communautés locales, experts et partenaires des Premières Nations).

«Notre objectif est de contrebalancer la totalité des superficies et la valeur écologique des milieux impactés par notre projet minier. Pour ce faire, nous prévoyons réaliser des interventions durables sur la Côte-Nord et ailleurs au Québec afin de revitaliser des habitats et favoriser la biodiversité», explique-t-il.

Malgré tout, la couverture médiatique qui a entouré le rapport du BAPE et la décision de Québec de donner le feu vert à MFQ a écorché l’image de l’entreprise dans une partie de l’opinion publique.

Du reste, c’est l’un des paradoxes de la transition énergétique, incluant la chaîne de valeur de l’acier vert en plein développement: décarboner l’économie mondiale implique nécessairement de construire des mines, des parcs éoliens ou des usines de batteries et de véhicules électriques.

Autant de projets qui peuvent avoir des incidences négatives sur l’environnement, même s’ils font partie de la solution.  

Notre journaliste François Normand a visité la mine du lac Bloom à l’invitation de Minerai de fer Québec.

 

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