5 impacts complètement fous du bras de fer Trump-Xi!
L'économie en version corsée|Publié le 03 juin 2019Les Chinois ne boycottent pas, mais craquent pour les bolides américains... (Photo: DR)
Multiplication des produits surtaxés à la douane, bannissement de Huawei du marché américain de la 5G, possible restriction chinoise de l’exportation de ses terres rares envers les États-Unis… Le bras de fer économique que se livrent Donald Trump et Xi Jinping depuis mars 2018 vient tout juste de grimper d’un cran en intensité. Et la planète entière se demande bien comment tout cela finira, vu qu’aucun des deux présidents ne semble vouloir lâcher prise.
Les impacts de cette guerre économique larvée se font maintenant sentir un peu partout, il suffit de regarder les brusques sursauts de la Bourse à chaque tweet de Donald Trump à propos de la Chine pour le réaliser. Ils touchent même des domaines que l’on pourrait croire loin, très loin, du combat Trump-Xi. En voici cinq exemples frappants :
La Grande-Bretagne en profite pour tirer son épingle du jeu… (Photo: DR)
1. Les cerveaux chinois fuient les Etats-Unis pour la Grande-Bretagne
C’est une première. Il y a maintenant plus d’étudiants chinois qui étudient en Grande-Bretagne qu’aux Etats-Unis : le cinquième des étudiants chinois à l’étranger (20%) se trouvent à présent dans des universités britanniques, alors que les universités américaines n’en accueillent plus que 17%. Ainsi, le nombre d’étudiants chinois a bondi en cinq ans de 87.900 à 106.530, selon une étude du cabinet-conseil chinois EIC Education.
L’explication ? L’administration Trump a durci les conditions d’admission d’un visa pour les étudiants chinois, considérant que «[ceux-ci] viennent, en vérité, pour espionner les Etats-Unis». Et les parents chinois fortunés tiennent avant tout à ce que leurs enfants excellent en anglais, d’où leur vif intérêt pour la Grande-Bretagne et ses prestigieuses universités.
À noter que la même étude indique aussi que d’autres pays suscitent l’engouement des étudiants chinois depuis le bras de fer Trump-Xi, soit le Canada et l’Australie, et, dans une moindre mesure, l’Allemagne et la France.
2. Les ventes de voitures américaines importées explosent en Chine
La Chine a haussé les taxes douanières de nombreux produits, à commencer par les automobiles, un secteur d’activité névralgique pour les États-Unis. En conséquence, on aurait pu logiquement s’attendre à ce que les ventes de voitures américaines accusent le coup en Chine. Or, c’est le contraire qui se produit!
Les ventes de voitures américaines importées ont en effet progressé de 9% en un an en Chine par rapport à celles des autres voitures étrangères importées, selon une étude de deux professeurs de marketing, Yanlai Chu, de l’Université Remnin de Chine, et Junhong Chu, de l’Université nationale de Singapour. Comme quoi, les voitures américaines gagnent en popularité auprès des Chinois, en dépit des appels gouvernementaux répétés au boycott.
Ce n’est pas tout. Les ventes de voitures américaines importées ont bondi de 16% en un an tandis que celles de voitures américaines fabriquées en Chine ont reculé de 3%. Globalement, les ventes de voitures américaines ont néanmoins reculé, car il se vend en Chine beaucoup plus de voitures américaines fabriquées en Chine que de voitures américaines importées. Si bien qu’on pourrait se dire a priori que le boycott fonctionne bel et bien.
Mais voilà, les deux chercheurs ont regardé au-delà des ventes, ils ont considéré les profits dégagés par les pays étrangers concernant leurs ventes d’automobiles en Chine. Ce qui leur a permis de mettre au jour le fait que les profits des constructeurs automobiles américains ont été, en vérité, boostés depuis le bras de fer Trump-Xi ! Comment cela se fait-il ? Deux facteurs expliquent ce curieux phénomène :
– Aucune hausse des prix. Les prix des voitures américaines importées n’ont pas augmenté : les constructeurs ont pris à leur charge les coûts entraînés par la hausse des taxes douanières, et n’ont donc pas refilé la facture aux consommateurs chinois. Ce que ces derniers apprécient grandement.
– Un surprenant effet de mode. Les appels gouvernementaux répétés au boycott ont agi auprès des consommateurs chinois comme autant de coups de publicité pour les marques américaines d’automobiles. À force de se faire dire qu’il ne fallait pas acheter Buick, Chevrolet et autres Dodge, les Chinois se sont rués sur le Web pour en savoir davantage à leur sujet, et… ils sont tombés en amour avec celles-ci. À tel point que de plus en plus d’entre eux font le choix de s’en procurer une, en dépit du mot d’ordre de l’administration Xi.
3. Les Chinois ne connaissent pas la fin de Game of Thrones
En guise de représailles, la Chine a carrément pris la décision de suspendre la diffusion de Game of Thrones. Les clients de Tencent Video sont ainsi privés du dénouement de la populaire télésérie américaine.
D’un point de vue officiel, cette interruption résulte d’un bête problème technique, lequel empêche de diffuser le tout dernier épisode. En revanche, le Wall Street Journal a obtenu une autre version de l’origine de l’interruption auprès du porte-parole de HBO, la chaîne de télévision américaine qui produit Game of Thrones : d’après ses sources locales, Tencent se serait fait tordre le bras par les autorités chinoises, en raison des tensions économiques grandissantes entre la Chine et les États-Unis…
Bien sûr, on peut imaginer que les téléspectateurs chinois ne sont pas restés les bras ballants face à cette curieuse interruption : on peut légitimement supposer que nombre d’entre eux se sont alors rués sur les sites pirates chinois, histoire d’avoir le fin mot de la saga.
4. La déforestation de l’Amazonie s’accélère brutalement
En 2018, les exportations américaines de soja vers la Chine ont chuté de 50% ; et ce, même si les mesures chinoises contraignantes ne sont entrées en vigueur qu’en milieu d’année.
Or, la Chine a un besoin criant de soja : 86% du soja qu’elle utilise – tant pour l’alimentation des êtres humains que pour celle des animaux – provient de l’importation ; et 34% des 95 millions de tonnes qu’elle a importé en 2017 provenaient des Etats-Unis, pour un montant évalué à 10 G$ US, selon les données du Bureau national des statistiques de Chine.
En conséquence, la Chine doit impérativement s’approvisionner ailleurs.
Où ça, au juste ? La réponse est simple : en Amérique du Sud. C’est que les trois principaux exportateurs de soja vers la Chine sont, respectivement : le Brésil, à hauteur d’environ 40% ; les Etats-Unis (34%) ; et l’Argentine (8%). Si bien qu’il paraît logique que le Brésil se plie en quatre pour rafler le gigantesque marché qui s’ouvre maintenant à lui.
Richard Fuchs est chercheur en géographie environnementale à l’Institut de technologie de Karlsruhe, en Allemagne. Avec l’aide de cinq collègues, il a analysé différents scénarios envisageables pour remédier à la soudaine pénurie de soja en Chine. Il a regardé si la Chine pouvait diminuer de manière significative sa consommation de soja. Et il a regardé si cela valait la peine pour les producteurs étrangers de booster leur production, et donc de défricher de nouvelles terres pour la culture du soja.
Résultat ? Dans le meilleur des scénarios – celui où l’ensemble des producteurs font un effort coordonné pour répondre à la demande chinoise –, le Brésil devra raser 5,7 millions d’hectares de la forêt amazonienne pour y cultiver du soja ; et dans le pire – celui où le Brésil comble seul les besoins de la Chine –, 12,9 millions d’hectares.
13 millions d’hectares ? Ça correspond à deux fois la superficie du Nouveau-Brunswick. À une fois et demie celle du Maine. À celle de la Pennsylvanie. Oui, imaginez-vous ça : toute la Pennsylvanie rasée juste pour en faire un phénoménal champ de soja!
«Notre analyse nous amène à lancer un cri d’alarme : il faut immédiatement arrêter de faire du soja un enjeu de la tension commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, sans quoi le Brésil va redoubler d’ardeur pour déforester l’Amazonie, le principal poumon de la planète. Dans le pire des scénarios, il pourrait être amené à en raser 13 millions d’hectares, ce qui représenterait un pic encore jamais atteint, les deux pics actuels étant ceux de 1995 et de 2004, qui avaient chacun frôlé les 3 millions d’hectares», note M. Fuchs dans son étude publiée dans le magazine scientifique Nature.
En passant, le tout nouveau président du Brésil, Jair Bolsonaro, a promis dans sa campagne électorale de favoriser l’accélération de l’exploitation de la forêt amazonienne, s’offusquant que «seulement la moitié de celle-ci soit aujourd’hui exploitée». Il a promis d’ouvrir des territoires autochtones à l’exploitation, minière comme agricole. Et il a menacé, si jamais des instances étrangères s’y opposaient, de retirer le Brésil de l’Accord de Paris.
Sa logique est on ne peut plus simple : «La croissance démographique explosive conduit à la déforestation. Parce qu’on ne cultive pas de soja sur sa terrasse et parce qu’on n’élève pas de bétail dans son jardin», a-t-il expliqué en conférence de presse, en avril 2018.
Bref, le feu est vert pour une déforestation accélérée de l’Amazonie…
5. La pauvreté s’aggrave en Afrique
«Les deux plus grandes économies du monde se livrent aujourd’hui à un bras de fer. Qui va vraiment en payer le prix ? Les sans-voix, les petits pays d’Afrique, comme le Ghana…» Voici ce qu’a dit Nana Akufo-Addo, le président de la République du Ghana, le 26 septembre dernier, lorsqu’il s’est adressé à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York.
Ses inquiétudes étaient fondées. Le Fonds monétaire international (FMI) vient d’abaisser ses prévisions pour l’Afrique, faisant passer sa croissance économique de 3,3% à 3,1% pour 2019, en raison des «tensions commerciales internationales» et du «ralentissement prévisible de la croissance de la Chine». Ses experts ont, par la même occasion, souligné que si les tensions commerciales persistaient, la croissance de l’Afrique pourrait globalement perdre 1,5 point de pourcentage juste à cause de celles-ci d’ici 2021.
Quels seraient les pays les plus touchés ? Ceux qui dépendent le plus de la demande chinoise en matières premières. En effet, la Chine exportant moins vers les Etats-Unis, elle va devoir se mettre à produire moins, et par suite, à importer moins de matières premières. Ce qui affectera surtout, selon les données de l’Observatory of Economic Complexity du MIT Media Lab:
– La République du Soudan du Sud, qui exporte 95% de ses matières premières vers la Chine ;
– L’Angola (61%) ;
– L’Érythrée (58%) ;
– La Gambie (52%) ;
– La République démocratique du Congo (45%) ;
– La Guinée (44%) ;
– Le Zimbabwe (44%) ;
– Le Gabon (42%) ;
– La République centrafricaine (41%) ;
– La République du Congo (40%).
Une récente étude du think tank américain Brookings a mis au jour le fait que, d’ici 2030, près de 90% des personnes les plus pauvres de la planète se trouveront en Afrique. Il est clair que le bras de fer Trump-Xi ne fait que renforcer la probabilité que cette prédiction se réalise bel et bien…
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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