«Brandt Tractor a des revenus annuels de plus de 250 millions, cette entreprise est donc en mesure de s’acheter la paix industrielle.» (Photo: 123RF)
Un texte de Kévyn Gagné, CRIA, M. Sc., directeur des ressources humaines, Franklin Empire
COURRIER DES LECTEURS. Le Québécois moyen n’aime pas les entreprises étrangères implantées au Québec qui menacent leurs employés de fermer une usine ou de délocaliser la production dans l’éventualité où ils décidaient de se syndiquer. Le Québécois moyen est rancunier envers les entreprises qui ferment et déménagent ailleurs, lorsque les demandes syndicales leur semblent déraisonnables et mettent en péril la profitabilité.
Mais qu’en est-il lorsque cette entreprise qui menace, abuse et harcèle ses employés est canadienne?
Si vous êtes comme moi, j’imagine que vous vous intéressez à ce qui se déroule chez Brandt Tractor depuis 2019. Je blague; soit que vous ne savez pas de quoi je parle ou vous vous en foutez un peu… Un peu comme cette entreprise qui se fout éperdument de vous, de moi, des lois, et du Québec.
Si je sais que les bénéfices enregistrés, les bénéfices anticipés, et tous les avantages que je peux en retirer sont plus grands que le prix de l’amende et des pénalités que je devrais débourser pour réparer les aspects illégaux de mes actions, sans ne jamais m’y conformer malgré le paiement, pourquoi me priverais-je des gains?
Si je peux agir impunément, à répétition, et dans le pire des cas, n’avoir qu’une simple réprimande, pourquoi me priverais-je?
Au Québec, pour avoir bonne conscience d’agir illégalement, nous pouvons acheter des droits. Des crédits carbone existent et se négocient pour avoir le droit de polluer davantage. Des taxes sur l’essence existent pour se donner le droit de consommer plus, donc de polluer davantage. Des permis et des certificats peuvent être achetés auprès du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec afin d’arroser ses légumes avec de l’eau contaminée.
Pourquoi en serait-il autrement dans le merveilleux monde du travail?
Prenez l’exemple de Brandt Tractor qui se fout orgueilleusement de la législation québécoise, des décisions des tribunaux, et bien évidemment, cette entreprise peut difficilement clamer se soucier du bienêtre de ses employés.
Pour la petite histoire, Brandt Tractor est une division de Brandt Group of Companies, et leur siège social est à Regina, en Saskatchewan. En affaires depuis presque 90 ans, l’entreprise exploite plus de 100 sites au Canada et aux États-Unis, et emploie plus de 3400 employés. Brandt Tractor est le plus grand concessionnaire d’équipements de construction et de foresterie John Deere au monde et le distributeur exclusif au Canada des produits de construction et de foresterie John Deere.
Que nous soyons clients ou non, nous connaissons ou du moins, avons tous vu un de leur produit peint en vert orné d’un chevreuil jaune. Ce que nous connaissons moins, c’est l’entreprise qui se cache derrière la vente de ces produits. Ce que nous connaissons moins, c’est la réalité des relations de travail de cette entreprise envers les travailleurs d’ici.
La loi interdisant l’utilisation de briseurs de grève, dite de loi anti-scab, est propre au Québec, et quoique nul n’est censé ignorer la loi, cette entreprise n’est pas confrontée à cette législation en Saskatchewan.
Brandt Tractor n’en est pas à ses premiers démêlés avec le Tribunal administratif du travail puisque le tribunal avait, dans un premier temps, donné raison au syndicat en déclarant que les offres patronales, depuis le début de ses négociations, comportaient des clauses déraisonnables et ordonnait du même coup à l’employeur de négocier de bonne foi. Ce jugement a été confirmé par la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel a rejeté, en février 2023, la requête de révision de l’employeur en mentionnant que la preuve de négociation de mauvaise foi sautait aux yeux.
En janvier 2024, le Tribunal administratif du travail concluait que l’entreprise avait employé des briseurs de grève, alors que les 10 employés de sa succursale de Chicoutimi étaient en grève générale illimitée depuis le mois de mai 2023. Pourtant, dès le mois de juillet 2023, un premier jugement défavorable à l’entreprise leur ordonnait de cesser d’utiliser des briseurs de grève. L’article 109.1 du Code du travail ne peut être plus clair. Pendant la durée d’une grève déclarée, il est interdit à un employeur d’utiliser les services d’une personne pour remplir les fonctions d’un salarié faisant partie de l’unité de négociation en grève.
Rappelons que ces travailleurs syndiqués sont sans convention collective depuis le 31 décembre 2020.
Rappelons aussi que cette entreprise canadienne de 3400 employés a des succursales syndiquées uniquement au Québec!
Plus tôt cette année, le syndicat des employés de Brandt Tractor de Chicoutimi a obtenu gain de cause puisque la Cour supérieure a rendu un jugement où elle affirmait que l’employeur continuait d’avoir un comportement illégal, malgré les injonctions, en ne respectant pas des ordonnances qui l’obligent à modifier le texte de son offre déposée aux salariés. Depuis 2021, quoique la somme des dommages punitifs ne soit toujours pas réglée, le syndicat a eu gain de cause dans neuf jugements.
Cette semaine, l’entreprise a été condamnée pour outrage au tribunal et devra finalement payer 25 000$ en lien avec ce refus de modifier le texte de la convention collective en dépit de l’ordonnance de la cour.
Brandt Tractor a des revenus annuels de plus de 250 millions, cette entreprise est donc en mesure de s’acheter la paix industrielle.
Malgré tout, nonobstant ce que disent le Code du travail, la Loi sur les normes du travail, les jugements du TAT, de la Cour supérieure et de la Cour d’appel, Brandt Tractor n’en fait qu’à sa tête depuis qu’elle est arrivée au Québec en 2019.
Désolé pour cette finalité, mais difficile de dire que ce n’est pas vrai!