Acerum: le p’tit nouveau à rapporter dans les bagages
Émilie Parent-Bouchard|Édition de la mi‑juin 2022Il faudra parfaire l’éducation des consommateurs à ce nouvel alcool (Photo: courtoisie)
INDUSTRIE DES ALCOOLS DU QUÉBEC. La traditionnelle conserve de sirop d’érable qu’on offre en cadeau ou qu’on rapporte en souvenir du Québec pourrait bientôt être détrônée par un produit tout aussi identitaire. L’acerum, alcool produit à partir de la distillation du sirop d’érable, pourrait devenir d’ici la fin de l’année la première Indication géographique protégée (IGP) à mettre l’érable en valeur.
«C’est à cause de l’acerum qu’on a acheté la distillerie», lance d’emblée Hugo Bourrassa, propriétaire et président de la Distillerie Shefford depuis 2020. Sa famille, également propriétaire de La Cabane à Boubou, en Estrie, dispose de 50 000 entailles et produit annuellement quelque 20 000 gallons de sirop d’érable qu’elle décline en divers délices sucrés.
«On était rendus à l’étape de la diversification de nos produits, poursuit celui qui est aussi administrateur de l’Union des distillateurs de spiritueux d’érable (USDÉ). L’acerum, c’est le summum de la transformation de l’érable : on prend du sirop pour en faire un alcool d’une qualité exceptionnelle.»
La plupart des distillateurs font cependant l’inverse : ils achètent du sirop des membres de l’organisation Producteurs et productrices acéricoles du Québec pour le mettre en valeur dans des boissons alcoolisées. C’est ce que fait notamment la distillerie O’Dwyer, qui produit aussi gin, crème et whisky.
«Je pense que c’est plus facile comme ça, fait valoir Michael Briand, copropriétaire de la distillerie de Percé, en Gaspésie. J’aimerais qu’on fasse notre acerum de A à Z avec notre propre sirop d’érable, mais pour l’instant, avec l’investissement que ça prend, les ventes ne sont juste pas là.»
Produit de l’innovation québécoise
La Société des alcools du Québec (SAQ) parle effectivement d’un «marché de niche», «embryonnaire», alors que seulement six acerums se retrouvent sur ses tablettes.
«Le mot acerum a été inventé ici, c’est vraiment de l’innovation, soutient Stéphane Denis, directeur de compte au développement des affaires, Origine Québec et Nouveau Monde à la SAQ. C’est un produit qui va devenir très identitaire en raison de sa nature. Le sucre d’où provient l’acerum, c’est unique au Québec ou presque.» Avec 71 % de la production mondiale, la province trône effectivement en première place.
Également conseiller technique pour le développement de l’IGP Acerum du Québec auprès du Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV), Stéphane Denis note que le produit pique déjà la curiosité des «découvreurs, passionnés, connaisseurs», particulièrement au sein des 25 à 44 ans, une «jeune clientèle qui trippe sur les alcools».
«La SAQ a été vraiment speed to market [vite pour la mise en marché] ; on a réussi à introduire les produits assez rapidement.» Il fait le parallèle avec le cidre de glace, dont la notoriété au début des années 2000 a mené à l’obtention d’une IGP en 2014. Cette appellation « vient ensuite bonifier la mise en valeur», précise-t-il.
La demande de réservation de l’IGP Acerum du Québec a été déposée au CARTV en mai 2020. Les producteurs sont fébriles de voir le projet se concrétiser. «Il faut que ça se fasse vite, parce que l’idée de fermenter le sirop d’érable commence à être populaire dans d’autres provinces ou même au Vermont», plaide Michael Briand.
Les producteurs sont toutefois conscients qu’au-delà de l’appellation, il faudra parfaire l’éducation des consommateurs à ce nouvel alcool, qui se boit «sec ou sur glace, comme un whisky – pour les produits vieillis – ou en cocktails pour l’acerum blanc», décrit Stéphane Denis.
Hugo Bourrassa ajoute que la pandémie a aussi eu des répercussions sur ce «long processus». «On veut le faire rapidement, mais pas mal le faire, analyse-t-il. C’est bien aussi de le faire tôt dans la vie de l’acerum, les balises sont déjà en place pour tous les nouveaux producteurs.»
Exporter le savoir-faire québécois
Tous entrevoient qu’au même titre que l’appellation Cidre de glace, l’appellation Acerum pourrait être une belle carte de visite pour la promotion du produit à l’étranger, notamment en Europe, où le système d’appellations est déjà bien ancré.
«Ça donne une notoriété au produit et une certitude quant à de son origine, souligne Hugo Bourrassa. Quand on apporte des produits de l’érable déjà transformés en Europe, c’est bien reçu. Nous possédons l’expertise pour la transformation du sirop d’érable.»
C’est justement derrière cet argument que se range le CARTV. «La filière des boissons alcooliques est en plein essor, note l’agronome Marie-Josée Gouin, PDG du CARTV. L’acerum, c’est la mise en valeur de notre production patrimoniale de sirop d’érable, de notre savoir-faire. On veut s’assurer d’élaborer un cahier de charges à la fois strict et souple, qui résiste à l’épreuve du temps, mais qui permette aussi l’innovation.»
Elle espère que le projet d’IGP puisse être déposé auprès du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation pour approbation d’ici la fin de l’année… juste à temps pour les marchés de Noël!