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Adaptation au climat: les entreprises doivent se préparer au pire

François Normand|Mis à jour le 18 juin 2024

Adaptation au climat: les entreprises doivent se préparer au pire

L'industrie forestière au Québec est particulièrement à risque en raison des feux de forêt liés aux changements climatiques. (Photo: Getty Images)

En gestion des risques, c’est un classique, mieux vaut se préparer au pire, tout en espérant le meilleur des scénarios. Cette règle d’or et de prudence vaut également pour les entreprises qui devront s’adapter aux changements climatiques dans les prochaines années et décennies.

Voilà l’un des constats du rapport des membres du Groupe d’experts en adaptation aux changements climatiques (GEA), publié ce mardi. Réalisé par une quinzaine de spécialistes à la demande du gouvernement Québec, ce rapport comprend 20 recommandations, qui s’appuient sur plus de 90 moyens gravitant autour de cinq axes stratégiques.

«C’est une bonne approche de se préparer au 2,8 degrés Celsius», pour les entreprises, estime Alain Bourque, directeur général du Consortium sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques (Ouranos) et co-président du GEA.

Ce scénario à +2,8 degrés d’ici 2100 est celui qui devrait se réaliser si les États respectent leurs engagements actuels en matière de climat, sans bonifier leurs cibles de réduction d’émissions dans les prochaines années et décennies.  

Depuis le début de l’ère industrielle au 19e siècle, la température moyenne de la Terre s’est déjà réchauffée de 1,2 degré Celsius. Or, pour limiter les répercussions négatives sur l’environnement, la société et l’économie, l’humanité doit limiter la hausse de température à 1,5 degré d’ici la fin de ce siècle, selon l’Accord de Paris sur le climat de 2015.

Concrètement, l’objectif du traité est de maintenir «l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels», et de poursuivre les efforts «pour limiter l’augmentation de la température à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels».

 

Difficile de ne pas dépasser 1,5 degré

Or, force est de constater qu’il sera de plus en plus difficile d’atteindre cet objectif, du moins dans le cas d’un réchauffement global ne dépassant pas les 1,5 degré, selon divers spécialistes, sans parler des plus récentes statistiques sur le climat.

Ainsi, entre février 2023 et février 2024, la température moyenne de la planète a dépassé pendant 12 mois consécutifs la barre des 1,5 degré (1,52 degré), selon les données de l’observatoire européen Copernicus.

Selon Alain Bourque et Alain Webster, co-président du GEA et spécialiste dans la gestion des changements climatiques à l’Université de Sherbrooke, c’est la raison pour laquelle il faut redoubler d’efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) à travers le monde, mais en se préparant au fait qu’on se dirige probablement vers un monde plus chaud.

Sans être le pire scénario, une hausse de la température moyenne de la Terre de 2,8 degrés d’ici 2100 représentera tout un défi pour l’humanité et les organisations — l’essai La Terre inhabitable: vivre avec 4 °C de plus (Robert Laffont), publié en 2019, parle d’un monde dévasté avec des pénuries alimentaires, des incendies et des océans à l’agonie.

À 2,8 degrés de plus, les catastrophes naturelles seraient plus nombreuses et intenses, sans parler de la destruction d’infrastructures, des migrations massives de réfugiés climatiques ainsi que des incidences sur la santé humaine et celle des écosystèmes.

Le réchauffement serait pis encore au Québec, selon les données du rapport du GEA remis au gouvernement de François Legault.

On parle d’une hausse des températures d’au moins 4,3 degrés dans le sud du Québec, mais d’au moins 6 degrés dans le nord de la province, une situation qui concernerait en particulier les Inuits et les Premières Nations, comme les Cris et les Innus, qui vivent dans les régions nordiques.

C’est pourquoi le rapport du GEA recommande de bonifier substantiellement l’appui financier pour les projets identifiés par les Inuits et les Premières Nations (bâtiments et infrastructures, aires protégées d’initiatives autochtones, effets sur la santé, etc.). 

 

Les secteurs très à risque au Québec

Selon le rapport du GEA, les secteurs qui dépendent des services écosystémiques — ou des aléas de la nature, comme l’ensoleillement et la pluie — sont particulièrement à risque comme l’agriculture, l’industrie forestière et la production d’énergie.

Parmi les recommandations, le GEA recommande d’ailleurs de créer, en collaboration avec les principaux donneurs d’ordre tels qu’Hydro-Québec, un bureau d’analyse et d’accompagnement en matière d’adaptation aux changements climatiques servant les PME.

 «Les PME n’ont pas beaucoup de temps à consacrer à l’adaptation aux changements climatiques», fait remarquer Alain Webster.

Selon lui, un scénario de réchauffement à 2,8 degrés représenterait aussi un défi pour les entreprises minières au chapitre de la gestion de leurs résidus miniers à long terme.

Règle générale, les changements climatiques représentent trois grandes familles de risques pour les entreprises, comme le soulignaient plusieurs spécialistes dans un grand reportage publié par Les Affaires à ce sujet en avril 2023.

Premièrement, elles courent un risque physique, c’est-à-dire que leurs actifs sont détruits ou abîmés par les aléas climatiques, comme les pluies diluviennes ou la hausse graduelle du niveau de la mer.

Pour s’adapter, elles doivent donc renforcer leurs infrastructures physiques, notamment avec de nouveaux matériaux plus résistants ou en déménageant carrément leur usine.

Deuxièmement, les entreprises sont aussi confrontées à un risque d’approvisionnement, surtout dans le cas de celles qui ont des fournisseurs localisés en zones inondables. En cas d’une rupture des livraisons de leurs intrants, elles peuvent devoir suspendre leurs opérations à long terme.

Pour s’adapter, elles doivent donc diversifier géographiquement leurs fournisseurs, en n’ayant pas par exemple deux fournisseurs situés dans des zones inondables.

 

Vers des lois de plus en plus contraignantes

Troisièmement, les efforts pour réduire les GES et s’adapter aux changements climatiques rendront les lois de plus en plus contraignantes pour les donneurs d’ordre et leurs chaînes de fournisseurs.

Pour s’adapter, les entreprises doivent donc se préparer à des règles plus strictes, ce qui leur permettra de ne pas être exclues des chaînes de valeur très résilientes de donneurs d’ordre.

Une entreprise ne peut être trop résiliente face à un risque, en l’occurrence celui des changements climatiques, disent les experts en gestion des risques.

Aussi, même si une organisation devient à terme très résiliente en prévision d’un monde très chaud, elle ne pâtira pas de son haut niveau de préparation et d’adaptation si la planète ne se réchauffe finalement que de 1,5 ou de 2 degrés d’ici la fin du siècle.

Elle sera plus compétitive et plus attirante pour les entreprises à la recherche de partenaires fiables.

 

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